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Le son du grisli
24 décembre 2013

Interview de Nikos Veliotis

interview de nikos veliotis au son du grisli

L’archet de Nikos Veliotis en dit peut-être plus long que Veliotis lui-même : sur disques récents, il sculpte des drones en solitaire (Folklor Invalid), les emmêle sous cape de Mohammad (Som Sakrifis) ou encore se porte, avec un aplomb supérieur, au chevet du cœur fragile de Looper (ųatter). Adepte des notes longues et suspendues, Veliotis se répand ici en phrases brèves, mais instructives quand même…  

... Difficile de dire quel est mon premier souvenir de musique. Peut-être l’un des sons sortis du vieux (et beau) poste de radio de l’appartement de mon grand-père… Mon grand-père avait l’habitude d’enregistrer sur un magnétophone à bandes, qu’il pouvait actionner en ma présence. Par-dessus, il récitait sa propre poésie, des choses de ce genre…

Le violoncelle a-t-il été ton premier instrument ? Non, on m’a d’abord enseigné le piano classique, mais je n’ai jamais obtenu aucun diplôme. J’ai commencé le violoncelle assez tard, à l’âge de vingt-et-un ans. J’ai choisi cet instrument parce que j’en aimais beaucoup le timbre. Au début, j’ai dû me battre pour sortir quelques sons, d’autant qu’à l’âge que j’avais j’ai dû redoubler d’efforts pour apprendre les bases de l’instrument… Mes premières expériences avec le violoncelle ont fait avec la nécessité de gagner ma vie en tant que « violoncelliste classique » et mes toutes premières expérimentations, avec un son de violoncelle tout sauf classique, lui.

Quels musiciens écoutais-tu à cette époque ? Surtout Xenakis, au début. Xenakis et de la pop.

Quand et de quelle manière as-tu découvert les musiciens qui te restent chers aujourd’hui ? Je crois que j’ai toujours gardé les oreilles ouvertes aux choses « différentes », puis ensuite à celles qui sonnent « faux ». Par « différent », je veux parler de ces choses qui sortent de la norme. Par « faux », j’entends parler de cette expression artistique qui prend en compte, implique et embrasse tout à la fois, l’ « erreur » comme une esthétique valable. Par exemple, l’usage du non-vibrato absolu chez Xenakis (que j’adore et qui a été pour moi une grande influence) est un bon exemple de « différent » et de « faux » à la fois ! Et puis dans la musique pop aussi… un chanteur « terriblement faux » est-il un chanteur chantant faux ou un créateur micro-tonal ? Tout dépend de l’écoute de chacun.

Lorsque tu enregistres Folklor Invalid, par exemple, as-tu en tête cette différenciation « différent » / « faux » ? Peux-tu à ce propos me parler de cette pièce, et de la différence que tu fais entre penser la musique seul et l’élaborer accompagné ? Cette idée « différent » / « faux » est toujours là, oui. C’est ma façon d’écouter des sons et de faire de la musique. Il y a beaucoup de choses qui pourraient facilement paraître « fausses » dans Folklor Invalid, mais je ne rentrerai pas dans les détails. Je dirais simplement qu’elle contente mon amour pour les drones autant que mon amour de la pop… Travailler seul t’octroie un contrôle absolu sur le son. Mais la musique en groupe permet aussi la surprise !

Tes premières expérimentations ont été faites en solo ? Au début, oui, je faisais ça de mon côté la plupart du temps, pas même en solo puisque je ne donnais pas encore de concert ; plus tard, j’ai rencontré Rhodri Davies et nous avons formé CRANC avec Angharad Davies, un groupe qui existe toujours et reste actif. 

Comment s’est faite cette rencontre ?J’ai rencontré Rhodri et Angharad quand j’habitais Londres. Nous avions la même façon de penser la musique, ce qui est encore le cas aujourd’hui même si chacun de nous a évolué durant ces quatorze années de collaboration sous le nom de CRANC.

cranc filip  cranc

Combien de temps es-tu resté à Londres et quelles autres relations y as-tu nouées ? J’ai vécu deux années là-bas. Ça a été un plaisir d’apprendre à connaître le cercle expérimental de Londres et je crois y avoir en effet noué quelques relations. En dehors de Rhodri et de Mark Wastell, qui s’occupait (et s’occupe encore) du label Confront, j’ai aussi rencontré John Bisset, qui organisait à l’époque les concerts « 2:13 ». Plus tard, j’ai organisé sous le même nom une série de concerts et un petit festival à Athènes.

Parlant de « cercle expérimental », as-tu l’impression de faire partie d’une « scène » d’improvisateurs, qu’ils soient dits « libres » ou « réductionnistes »… ? Je ne crois pas appartenir à aucune scène. Je vis à Athènes, en Grèce, donc assez éloigné de tout… Maintenant, connaissant ces « étiquettes », je ne pense pas non plus que ma musique réponde aux idiomes de l’improvisation libre ou de ce que l’on appelle le réductionnisme. C’est en tout cas ce que je ressens…

Tu as cependant parlé plus tôt d’une « façon de penser la musique » que tu peux partager avec d’autres. Comment la décrirais-tu ? Disons qu’elle a à voir avec le choix d’un matériau sonore et avec la manière dont on traite ce matériau sur l’instant. Cette idée peut paraître simpliste mais elle peut être étendue à de nombreux domaines, comme celui du « goût » ou encore celui de la politique…

Les collaborations que compte ta discographie (prenons, pour exemples, tes enregistrements avec David Grubbs, Klaus Filip ou Dan Warburton) ont donné des résultats assez divers. Existerait-il, malgré tout, un point commun à ces disques ? Le point commun des collaborations que tu cites serait inévitablement « moi ». Ma touche sonore, telle qu’elle est. Après, l’interaction fait le reste et mène en effet à différents résultats.

Prenons un exemple… Lorsque tu rejoins Fred Vand Hove dans le FIN Trio J’ai rencontré Fred à un concert à Athènes, ensuite nous nous sommes revus à Anvers où je jouais avec CRANC, qui était plus ou moins ma seule autre collaboration à l’époque.

As-tu écouté beaucoup d’improvisation libre, disons, « historique », et cela a-t-il influencé ton travail ? Pas vraiment, je suis désolé d’avoir à avouer que je suis bien ignorant en la matière. C’est sans doute une influence mais pas une des principales. Certains des éléments de cette époque me touchent tout de même, notamment l’énergie à fort comme à bas volume.

looper mass  looper

On retrouve, à fort et à bas volume, cette énergie dans Looper, que tu composes avec Martin Küchen et Ingar Zach. Quelle est l’histoire de cette formation et quelle est la raison d’être des vidéos que tu réalises pour elle ? Ont-elles une influence sur la musique ou la musique une influence sur elles ? C’est toujours la même histoire : on visite des villes, on joue, on joue ensemble et puis on décide de former un groupe stable. Pour ce qui est des vidéos, je les envisage indépendamment du son. Pour moi, son et images sont deux flots (quasiment parallèles) d’informations qui doivent interagir dans l’esprit du spectateur.

Ecoutes-tu les autres projets de Martin et d’Ingar ? Ressens-tu, lorsque tu joues, et comme dans CRANC peut-être, une communion spéciale, si ce n’est rare ?Il va sans dire que nous écoutons tous les trois les différents projets de chacun. C’est une façon de maintenir les liens qui nous unissent. Et il va sans dire aussi que pour jouer avec d’autres il est nécessaire de ressentir cette communion spéciale, tout simplement parce que je fais de la musique en hédoniste avant tout. C’est pourquoi, ça doit être agréable à chaque fois !

A ce propos, la crise économique qui touche la Grèce a-t-elle un impact sur ton travail ? Beaucoup disent ce genre de crise « inspirante »… Je dois préciser que je n’ai pas attendu la crise pour être inspiré… Mais il est vrai que cette crise a déclenché un surplus d’activité artistique et bien que cela soit évidemment positif, c’est aussi assez décevant. Ainsi, lorsque la crise aura passée, toute cette activité cessera-t-elle sous prétexte que la vie sera plus facile ? En tant que musicien expérimental, je ne cesse de vivre dans la crise.

Un grand ouvrage « de crise » est celui qui a pour nom Cello Powder. Comment as-tu pensé ce projet ? Il y a deux versants à Cello Powder… Le premier est l’enregistrement : la palette sonore du violoncelle a été divisée en une centaine de quart de tons. Chacun de ces quarts de tons a été enregistré pendant une heure, pendant laquelle son volume et son timbre changeait (du doux au très fort et du ton d’origine au bruit, et retour en arrière). Le résultat représente une centaine d’heure de drones mixée sur une seule plage que j’ai appelé « The Complete Works for Cello » et qui a été tiré à une centaine d’exemplaires sur CD. Le second versant de Cello Powder a été sa performance : le violoncelle que j'ai utilisé pour l’enregistrement a été détruit (changé en poudre) en public, le 21 mars 2009 à l’INSTAL Festival de Glasgow. Pour ce faire, j’ai utilisé divers outils et appareils domestiques (hache, scie, déchiqueteuse, blender…) près d’enceintes qui jouaient l’enregistrement de « The Complete Works for Cello ». J’ai rempli quelques bocaux de cette poudre, que j’ai numérotés et vendus.

Sur Folklore Invalid, tu joues aussi de drones, jusqu’à les mener à composer une pièce qui peut suggérer le noise ou le metal. Es-tu d’accord avec ça ? S’ils existent, quels sont tes liens avec le noise ? Oui, je suis d’accord. Il y a bien des éléments du metal, c’est vrai. Quant au noise, j’en écoute mais pas autant que j’écoute de metal…

On retrouve ce « côté sombre », pour le dire simplement, chez Mohammad, qui sort ces jours-ci Som Sakrifis. Peux-tu me parler de cette association et de son état d’esprit ? Je n’ai pas grand-chose à dire de Mohammad. Notre histoire, à ILIOS, Coti et moi, remonte à une vingtaine d’années, et elle a toujours été motivée par notre désir commun de travailler ensemble, ce qui a longtemps été difficile pour des raisons pratiques (nous n’habitions pas la même ville). Quand nous nous sommes enfin retrouvés à Athènes tous ensemble, nous avons enfin pu démarrer notre projet. C’était en 2009 ou 2010. Je ne sais pas si nous avons un « état d’esprit » arrêté. Ensemble, nous ne faisons que continuer d’explorer…

Enfin, à ceux qui ne connaîtraient pas ton travail, quels disques recommanderais-tu ? Aucune idée… Je recommanderais tout !

Nikos Veliotis, propos recueillis en décembre 2013.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

16 juin 2015

Charlemagne Palestine : Ssingggg Sschlllingg Sshpppingg (Idiosyncratics, 2015) / Youuu + Meee = Weeee (Sub Rosa, 2015)

charlemagne palestine ssingggg sschlllingg sshpppingg

Je vous l’accorde (non, pas le piano) : le titre de ce disque n’est pas facile à retenir & il est donc inutile que je passe quelques minutes à l’écrire. D'autant que ce qui importe c’est ce que Charlemagne Palestine enregistré seul à Bruxelles en février 2013.

Pour ce qui est des instruments, on devra deviner : un cor, une sirène, sa voix of course, un synthé oui mais quel synthé, une ruche (est-ce possible ?)… Et au milieu de l’essaim d’abeilles, Charlemagne danse et chante. Sa voix de fausset (ce n’est pas une critique) s’enlise dans les drones et les field recordings (de manifestations, de bêlements, de prières…). Assez difficile à résumer, mais c’est une brouhaha magnifique : un Magnificat païen qui se tait d'un coup d'un seul. Palestine repart alors en faisant siffler un verre et en actionnant un jouet. Le jouet et l’homme entament un duo & bye bye. Great !

Charlemagne Palestine : Ssingggg Sschlllingg Sshpppingg (Idiosyncratics)
Enregistrement : février 2013. Edition : 2015.
CD : 01/ Ssingggg Sschlllingg Sshpppingg
Pierre Cécile © Le son du grisli 

charlemagne palestine rhys chatham youuu + meee = weeee

On les savait prolifiques et, ensemble, ils sont carrément impossibles à faire taire : Charlemagne Palestine & Rhys Chatham non sur un, ni sur deux, mais sur trois CD (= deux heures et demi). A Bruxelles, pendant deux jours, les vieux de la vieille minimaliste ont improvisé au piano et à l’orgue (pour CP), à la trompette et à la guitare (pour RC). Et que ça te tisse des drones psychédéliques et des couches de solos qui dispensent de beaux effets dans la longueur. Ce qui tombe bien !

Charlemagne Palestine, Rhys Chatham : Youuu + Meee = Weeee (Sub Rosa)
Enregistrement : 19-20 décembre 2011. Edition : 2015.  
3 CD : CD1 : 01/ First – CD2 : 01/ Second – CD3 : 01/ Third
Pierre Cécile © Le son du grisli

30 novembre 2015

Evan Parker : Seven (Victo, 2014) / Sant’Anna Arresi Quintet : Filu ‘e Ferru (2015)

evan parker seven elctroacoustic septet

Sur la pochette de ce disque, lire cet aveu d’Evan Parker : « Mon art de la composition consiste à choisir les bonnes personnes et à leur demander d’improviser. » Au 30e Festival de Musique Actuelle de Victoriaville, le 18 mai 2014, le saxophoniste donnait un concert en compagnie de Peter Evans (trompettes), Ned Rothenberg (clarinettes et shakuhachi), Okkyung Lee (violoncelle), Ikue Mori (électronique), Sam Pluta (électronique) et George Lewis (électronique et trombone). « Ceux-là sont les bonnes personnes », précisait-il.

C’est l’électronique qui se chargea d’abord d’arranger l’espace que l’ElectroAcoustic Septet aura tout loisir d’explorer : une forêt de sons brefs sous laquelle ont été creusé combien de galeries. Les musiciens s’y rencontreront, à deux, trois ou davantage, dans un jeu de poursuites ou au gré de conversations affolées. Ainsi aux notes hautes d’Evans et Lee, Rothenberg répondra ici par un motif grave et ramassé ; ailleurs, aux imprécations de l’électronique (dont les effets ne se valent pas tous), les souffleurs opposeront un alliage autrement expressif…

Mais à force de frictions, le terrain s’affaisse parfois et les plafonds de la galerie menacent. Et quand les vents ne retrouvent pas le chemin de l’air libre (ici le soprano de Parker, là le trombone de Lewis), les secondes peuvent paraître longues, aussi longues qu’elles sont bien remplies.

Evan Parker : Seven (Victo / Orkhêstra International)
Enregistrement : 18 mai 2014. Edition : 2014.
CD : 01/ Seven-1 02/ Seven-2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

sant anna arresi evan parker filu e ferru

Moins nombreux, les musiciens à entendre sur Filu ‘e FerruEvan Parker (au ténor), Peter Evans (trompettes), Alexander Hawkins (piano), John Edwards (contrebasse) et Hamid Drake (batterie), enregistrés début 2015 au festival de jazz de Sant'Anna Arresi, en Sardaigne – improvisèrent sous le nom de Sant’Anna Arresi Quintet. Sept fois, et dans le champ d’un jazz assez « cadré », l’association profite de l’accord que trouvent Parker, Evans et Edwards, qu’ont malheureusement du mal à saisir les délayages d’Hawkins et l’abattage de Drake.

Evan Parker : Filu ‘e Ferru (2015)
CD : 01/ Filu 1 02/ Filu 2 03/ Filu 3 04/ Ferru 1 05/ Ferru 2 06/ Ferru 3 07/ Ferru 4
Enregistrement : 2 janvier 2015. Edition : 2015.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

3 juin 2016

Ultraphallus : The Art of Spectres (Sub Rosa, 2016)

ultraphallus the art of spectres

Après Micro_penis, il fallait bien qu’Ultraphallus pointe le bout de son bout. Et c’est le label Sub Rosa qui le lui permet / ou le leur permet puisque cet ultra membre en compte en fait plusieurs : Phil Maggi (voix, synthés, samples, electronics), Xavier Dubois (guitares), Ivan del Castillo (basse) & Julien Bockiau (batterie). A quoi il faut ajouter de temps à autre les verves de Gabriel Severin (orgue et claviers et voix additionnelles) et de Sébastien Schmit (percussions électroniques).

Au nom de certains, on devinera la provenance de ce phallus de compétition : la douce Belgique, qui nous crache ce quatrième album (en plus de dix ans de carrière). Un gros goût de métal (dans le genre amateur de sludge = Swans / Lynyrd Skynyrd / Melvins, mais aussi avec un peu des premiers Ministry ou du Sepultura période Carlinhos) inoculé par une basse omniprésente, des tribal mantras (lest’ rock, mon gros bonhomme) et (parfois malheureusement) une théâtrale’poétique assourdissante. A qui aime les chansons, les guitares et les millefeuilles, cet Ultraphallus ne peut que faire de l’effet !





the art of spectres

Ultraphallus : The Art of Spectres
Sub Rosa
Enregistrement : août 2013. Edition : 2016.

CD : 01/ The Blood Sequence 02/ Madrigal Lane 03/ Let Him Be Alistair 04/ The Death of Mark Frechette 05/ Whitewasher 06/ Eva Ionesco 07/ Sinister Exagerator
Pierre Cécile © Le son du grisli

2 décembre 2016

Borbetomagus : The EastcoteStudios Session (Dancing Wayang, 2016)

borbetomagus the eastcote session

Il faudra voir A Pollock of Sound, documentaire de Jef Mertens qui revient sur l’œuvre de Borbetomagus à coups d’archives rares et de témoignages enregistrés – si l’on y entend bien les voix de Don Dietrich, Donald Miller et Jim Sauter, les musiciens ne s’expriment jamais face caméra. Images arrêtées et vidéos de concerts (CBG, Generator, Kitchen, plus récemment Cafe Oto et Instants chavirés…) y illustrent le parcours du trio depuis la fin des années 1970 quand quelques admirateurs et / ou collaborateurs (Thurston Moore, Hijokaidan, Chris Corsano, Norbert Möslang…) y redisent toute leur admiration.

Philippe Robert nous rappelait ici qu’avec Thurston Moore, le trio a enregistré en 1989 ce Snuff Jazz qui pourrait décrire un peu sa musique. Pour l’évoquer encore, on extraira du film une confidence (depuis que Brian Doherty a quitté le projet et sans l’aide occasionnelle d’Hugh Davies, Dietrich, Miller et Sauter ont toujours cherché à « sonner électronique ») et une citation (du peintre James Bohary, qui voit la musique de Borbetomagus comme des transcriptions des sons naturels que l’on trouve dans notre environnement et précise : je pourrais identifier certains de ces sons, mais j’aurais du mal à mettre un nom sur la plupart d’entre eux).

Au film qui célèbre la longévité de Borbetomagus fait aujourd’hui écho The Eastcote Studios Session, vinyle étiqueté Dancing Wayang – faut-il rappeler l’excellent travail (sonore autant que graphique) produit ces dernières années par le label ? Si c'est le cas, voici donc une série de chroniques à relire : Alps > Beyond Civilized and Primitive > Anicca > Bring Us Some Honest Food > Motion > Needs! > Tsktsking. Enregistrées à l’automne 2014, ces deux plages illustrent même la constance avec laquelle Borbetomagus continue de mettre son art de l’improvisation au service d’une campagne de démobilisation que l’on pourrait baptiser « Free Tinnitus! »

Insatiables, les saxophones et guitare préparés perpétuent une tradition bruitiste dont le trio s’est fait le chantre vindicatif. Loin du studio où DIS et DAT ont été consignés, l’auditeur pourra bien sûr baisser le volume, mais alors ? Déferleront quand même les sifflements provoqués par le raclage des cordes de guitare, les larsens et les râles sortis de l’ampli, les éructations provenant du cœur même des saxophones – indistincts au début du disque, ceux-là gagnent en présence au fil des minutes pour, au terme de l’expérience, chanter comme par strangulation – et enfin cet étrange code télégraphique qui, si on prenait le temps de bien le déchiffrer entre deux soubresauts, révélerait les principes d’un langage singulier. Celui que parle Borbetomagus depuis 1979, et qu’il continue même d’enrichir.

borbetomagus

Borbetomagus : The Eastcote Studios Session
Dancing Wayang
Enregistrement : 14 octobre 2014. Edition : 2016.
LP : A/ DIS – B/ DAT
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

24 février 2014

Matthias Schubert : 9 Compositions for the Multiple Joy[ce] Ensemble (Red Toucan, 2013)

matthias schubert 9 compositions

Profitant d’être à la tête du Multiple Joy[ce] Ensemble, Matthias Schubert célèbre quelques-uns de ses inspirateurs à travers neuf compositions aux senteurs pluri-contemporaines.

Ainsi Conlon Nancarrow (récits itératifs, scansion soutenue), Helmut Lachenmann-Axel Dörner (dérèglements salivaires, rauques harmoniques), Anthony Braxton (jaillissement de cuivres, alto torrentueux), Duke Ellington-Billy Strayhorn (trombone au blues profond), Fred Frith (succession de silences et de contusions), Pierre Boulez-Igor Stravinsky (clarinette loyale sur tapis de dissonances et fusées rythmiques), Olivier Messiaen (violon en péril) et John Cage-Hans Martin Müller (flûte enragée) voient quelques-uns de leurs traits exaltés par le saxophoniste allemand.

Et offre aux solistes convoqués (Philip Zoubek, Udo Moll, Frank Gratkowski, Matthias Muche, Holger Werner, Axel Lindner, Angelika Sheridan) l’occasion de s’éloigner de leurs registres habituels. Disque étonnant et à réécouter souvent.

Matthias Schubert : 9 Compositions for the Multiple Joy[ce] Ensemble (Red Toucan / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2012. Edition : 2013.
CD : 01/ Colon Zoubeck 02/ Moose 03/ Anthonykowski 04/ Duke Muche 05/ Frith Fields 06/ Boulevinsky 07/ Ende der zeit 08/ Akkorstudie 09/ John Müller
Luc Bouquet © Le son du grisli

24 décembre 2011

Billie Holiday : The Complete Masters 1933-1959 (Universal, 2011)

billie holiday complete masters 1933 1959

Cinq grandes anthologies paraissent ces jours-ci, qui rendent hommage avec exhaustivité et même élégance à l’art singulier de Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Louis Armstrong, Sydney Bechet et Charlie Parker...

Pour ce qui est d’Holiday, ce sont quinze disques et un livret qui reviennent sur une carrière aussi brève qu’imposante. A quelques titres près – à peine une poignée –, on trouve-là l’intégralité de ses enregistrements pour les labels Commodore, Columbia, Decca et Verve, classés dans l’ordre chronologique. Entre un premier titre enregistré dans l’orchestre de Benny Goodman en 1933 et ceux qu’elle signa en compagnie de la formation de Ray Ellis en 1959, on peut entendre la diva fasciner aux côtés de Teddy Wilson, Lester Young, Roy Eldridge, Charlie Shavers, Benny Carter, Oscar Peterson, Mal Waldron…  A quelques titres près – à peine une poignée –, c’est indispensable.

Billie Holiday : The Complete Masters 1933-1959 (Universal)
15 CD : The Complete Masters 1933-1959 (Universal)
Edition : 2011.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

18 mars 2014

Fri-Son 1983-2013 (JRP Ӏ Ringier, 2013)

fri-son 1983 2013

Par ordre alphabétique, d’abord, les noms (plus de quatre mille) des musiciens ou groupes passés entre 1983 et 2013 par Fri-Son, club autogéré de Fribourg. Le champ d’écoute est large, qui put recevoir aussi bien Sonic Youth, Alan Vega, And Also the Trees, Beastie Boys, Barn Owl, Eugene Chadbourne, The Ex, David Grubbs, Curlew, Einstürzende Neubaten, que Phill Niblock ou Irène Schweizer. Si convaincants soient-ils, ces gages donnés n’ont pas interdit l’endroit à des musiciens moins (bien moins, parfois) inspirés qu’eux – c’est, justement, que le champ d’écoute est large…

De celui-ci, un livre se fait aujourd’hui l’écho, qui raconte au gré de photos et de témoignages comment Fri-Son a été fabriqué : sur l’instant et parfois dans l’impromptu, en toute liberté capable de faire avec tel soutien institutionnel, surtout, en brassant toutes énergies plutôt qu’en les canalisant. A l’archive (noms et affiches), les auteurs ajoutent l’anecdote : et voici la rétrospective – habilement mise en forme par les éditions JRP Ӏ Ringier – d’une lecture agréable.

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Matthieu Chavaz, Julia Crottet, Diego Latelin, Daniel Prélaz, Catherine Rouvenaz : Fri-Son 1983-2013 (JRP Ӏ Ringier / Les Presses du Réel)
Edition : 2013.
Livre : Fri-Son 1983-2013
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

16 juin 2014

Musiques Innovatrices #22, Saint-Etienne, Musée de la Mine, 5-8 juin 2014.

musiques innovatrices 22 2014

Le festival intermittent – mais il s’agit tout de même de sa 22e édition ! – Musiques Innovatrices de Saint-Etienne est un peu parallèle à celui qui se tient en juillet, depuis 2001, à Marseille (MIMI). Il partage aussi avec lui le fait de se dérouler dans un lieu particulier. Les îles du Frioul pour ce dernier, le cadre du Musée de la Mine pour le Stéphanois. Se déroulant pendant les derniers jours d’une année scolaire, un peu avant les épreuves du bac, il m’a rarement été possible de m’y rendre. La configuration d’un emploi du temps combiné au weekend de la Pentecôte fut favorable à une troisième visite à ces Musiques Innovatrices.

Une programmation alléchante, sans être toutefois des plus avant-gardistes, motiva aussi ce déplacement de Strasbourg à Saint-Etienne. Certes, j’ai dû faire l’impasse sur la première soirée, qualifiée par l’organisateur de « soirée du souffle », souffle animé à la fois par les effluves issues du fado et de la bossa nova (Norberto Lobo et João Lobo) et les vents des Appalaches (Josephine Foster). Soirée qui suscita une forte adhésion.

La seconde se voulut plus aérienne, et servie avec un peu de psychédélisme, au fil de deux prestations. Celle du guitariste nîmois Thomas Barrière, suivie par celle que concoctèrent les deux italiens de My Cat Is An Alien. Devant un public quelque peu clairsemé, le premier sut remplir l’intéressante salle des pendus de la mine par des sons provenant d’une guitare à deux manches (douze et six cordes) et usant de divers procédés (frottages, dissonances, effets électroniques, ceux de la voix directement sur les cordes…) pour recréer une musique libre issue de détournement d’influences rock, blues voire arabisantes. Un peu plus tard, le concert de My Cat Is An Alien fut peut-être en-deçà des attentes. Fort d’une  bonne cinquantaine d’enregistrements sous tout format (et sans compter les albums solos et ceux parus sous d’autres noms), la formation des deux frères piémontais Maurizio et Roberto Opalio opère dans un style qu’elle qualifie de Psycho-System (coffret de six CD qui en détaille les divers aspects, sous les termes de delirium, catharsis, hallucination, enlightment…), une sorte de musique cosmique, générée ici principalement par les sons électroniques, offrant dans le déluge sonore quelques variations aux sonorités plus métalliques, parfois percussives et saccadées, mais qui rapidement semblent lasser une partie du public, laissant les autres sur leur faim.

my cat   konk

La troisième soirée s’annonça plus tellurique. Ce qui sied justement à cet endroit ouvert sur le ventre de la terre. En prélude et en fin d’après-midi, les festivaliers, plus nombreux que la veille, purent suivre la prestation de Toma Gouband pour un solo de lithophones et percussions. De grosses pierres et des cailloux plus petits étaient posés sur des cymbales et une grosse caisse. Et avec l’une ou l’autre de ces pierres, le musicien frottait, frappait les autres, esquissant des rythmes décalés qui s’interpénétraient, créant une atmosphère envoutante et curieusement aérienne. Peut-être un peu trop longue, la prestation perdit un peu de sa magie avec l’usage de la pédale de grosse caisse.

Le trio germano-britannique Konk Pack ouvrit la soirée par un set époustouflant, qui marqua la plupart des auditeurs, lesquels le considérèrent comme le climax du festival. Il est vrai que Tim Hodgkinson, Thomas Lehn et Roger Turner pratiquent leur improvisation de haut vol depuis une quinzaine d’années, forte de leur empathie et sans en bannir l’imprévisible. Armés l’un de sa guitare lapsteel, et accessoirement de sa clarinette, le second d’un synthétiseur analogique, et mus en permanence par l’impressionnant et imaginatif batteur, les musiciens créent une musique convulsive, tourbillonnante, électrique, alternant sauvagerie déferlante et accalmie parfois mélodique, une musique finalement très éruptive (un paradoxe dans un site minier…).

Plus prévisible fut le concert donné (en soliste) par Richard Pinhas. Un premier set d’une trentaine de minutes, un second d’une dizaine. Déclinant tous les deux des envolées étourdissantes nées du croisement de la guitare avec les ressources de l’électronique. Des sonorités parfois célestes pour lesquels on quittait l’environnement tellurique, d’autres plus incandescentes, entre terre et feu (on retrouve le côté éruptif de la prestation précédente !), ou plus majestueuses, les sons résonnant dans cette salle des pendus comme dans une cathédrale, dans laquelle les vêtements pendant des mineurs faisaient office d’exvotos ou de statuaires originales.

La Morte Young conclut cette troisième soirée. Les cinq musiciens, grenoblois, niçois et stéphanois conjuguèrent une musique qui partit d’un lent crescendo faussement planant pour aboutir à une saturation sonore bruitiste et bestiale, notamment par les effets de larsen, le travail sur les guitares et les diverses pédales (Thierry Monnier et Pierre Faure) sous-tendus par le batteur d’Eric Lombaert (Talweg), et le thérémine survolté de Christian Malfray et la voix de Joëlle Vinciarelli (Talweg). Plus onirique et apaisée fut la courte seconde pièce, bien que, elle aussi, s’acheva dans maelstrom étourdissant.

la morte young  lucio

Plus difficile de trouver un dénominateur commun à la quatrième et dernière journée de ces Musiques Innovatrices. Peut-être le souffle, si l’on associe le premier concert de l’après-midi (Lucio Capece) et le dernier avec son saxophone baryton (Joe Tornebene) ? Mais les deux autres… Finalement ce sera la journée des déambulations. Entre les lieux, entre les types de musique. Entre les lieux effectivement puisque le festivalier passa successivement de la salle des énergies vers celle des machines, avant de passer à l’auditorium et à la salle d’exposition. Entre les musiques aussi. La plus poétique fut celle que proposa Lucio Capece dans la salle des énergies : partant d’un souffle minimal cher aux adeptes du réductionnisme, il insuffla à sa musique une dimension particulière par l’emploi d’archet, ou de divers gadgets propres à varier les vibrations, avec des installations diverses, couplées ou non avec le saxophone, usant de petite boule, d’un ballon en déambulation, concoctant une mise en son de l’espace.

La salle des machines accueillit, elle, le duo Baise en ville, pour une confrontation entre une voix grave, usant d’onomatopées, de cris, de grognements (Natacha Muslera) et d’une guitare transpirant de sonorités sombres, de trituration des sons (Jean-Sébastien Mariage), s’inscrivant dans un univers d’improvisations plutôt rock, proposant, très occasionnellement, des passages plus évanescents, mais plus globalement dissonants et torturés. Sonar fut tout à fait différent. Plutôt rock aussi, ce quartet helvétique est une jeune formation (deux, trois ans) de vieux routiers, soit deux guitaristes (Stephen Thelen, Bernhard Wagner), un  bassiste (Christian Kuntner) – qui hantent la scène zurichoise depuis plus de deux décennies, en particulier le bassiste (Brom, Fahrt Art Trio, Kadash…) – et le batteur Manuel Pasquinelli, plus jeune et parfois en-deçà de la maitrise instrumentale de ses partenaires. Comme le suggère le nom de la formation, les quatre musiciens livrèrent une musique aux architectures sonores finement travaillées et ciselées, aux rythmes complexes, une musique percutante marquée par le sceau d’un rock progressif (Stephen Thelen aurait travaillé avec Robert Fripp !), aux lignes assez minimales et identifiables par l’usage d’accordages particuliers des deux guitares, une musique qui, au-delà de quelques riffs virevoltants, de quelques effets sur les cordes et de l’énergie qu’elle dégage, reste marquée par une approche calme, une sorte de lenteur suisse (cliché !), propre à illustrer le titre de leur troisième opus, Static Motion.

Un saxophoniste baryton quasi-inconnu eut la tâche de clore ces quatre journées de Musiques Innovatrices. Américain d’origine et lyonnais d’adoption, Joe Tornabene investit l’espace de la salle d’exposition en se déplaçant régulièrement, en proposant un travail sur le souffle continu et les sons multiphoniques. Un espace d’exposition qui fut, les trois premiers jours, investi par les installations de Thomas Barrière, faites de divers module, mobiles, avec des squelettes, répliques de bateaux à voile, mus par des ventilateurs et générant, bien sûr, des sons.

Musiques Innovatrices #22, Saint-Etienne, Musée de la Mine, 5-8 juin 2014.
Photos : Bruno Meillier © Les proliférations malignes & Pierre Delange © Merzbow-Derek.
Pierre Durr © Le son du grisli

11 mars 2015

Convulsif : CD3 (Get a Life, 2015)

convulsif cd3

La première chose que l’on remarque dans Convulsif, c’est la forte basse électrique. Normal, dirons-nous, puisque c’est Loïc Grobéty qui la tient et que Loïc Grobéty n’est autre que le noyau dur / soleil noir autour duquel tourne le metal hurlant (ou free metal, pourquoi pas, ou grind affranchi, qu’en sais-je ?) du groupe.

Ce qui change ici du metal classique, c’est l’instrumentarium. Car dans Convulsif on peut croiser un violon (Jamasp Jhabvala), de l’électronique ou une clarinette (Christian Müller) en plus du trust basse / guitare (Stéphane Loup) / batterie (Maxime Hänsenberger). Et cette particularité semble agir sur les compositions redessinées par l’improvisation. Ainsi un gimmick de basse pourra forcer le groupe au martellement sonore ou un retour d’ampli servir de drone répulsif à tout velléitaire.

Emules de Sunn O))), Lotus Eaters ou Wrekmeister Harmonies, la musique de Convulsif est là, prête à s’enrouler comme un jack dénudé autour de votre neck déboîté : sur CD et même en tournée à travers l’Europe en mars et avril.

Convulsif : CD3 (Get a Life)
Edition : 2015.  
CD : 01-05/ CD3
Pierre Cécile © Le son du grisli

22 mai 2015

Prants : Hot Shaker Meet Lead Donut (Notice, 2014)

prants hot skaker meet lead donut

Bhob Rainey & Chris Cooper ont des têtes bien pleines et donc des univers bien fournis. Leur addition dans Prants n’en est donc pas une mais plutôt une multiplication.

Une multiplication d’effets et d’expérimentations et en plus une diversité de points de vue… Du fer qui grince ou qui feedbaque, des cloches qui battent à la volée (et par deux fois, vain dieu), des electronics qui secouent tout le reste de l’ensemble chosé, des objets qui concrétisent des mélodies abstraites… C’est fou ce qu’une tape peut contenir, et tape encore, ce n’est pas fini…

Car Prants invite sur la face B des instruments à cordes (par ordre d’apparition sur la jaquette : harpes de Mary Lattimore et Jesse Sparhawk, violon de June Bender, violoncelle d’Eric Coyne & contrebasse de Matt Stein). Et voici leurs univers bien bousculés et leurs têtes bien pleines qui chavirent… et les nôtres avec (vous attendiez-vous à cette puissante et incitative conclusion ?).

Prants : Hot Shaker Meet Lead Donut (Notice Recordings)
Edition : 2014.
K7 : A/ Vapor Viper B/ Igotu Otius
Pierre Cécile © Le son du grisli

9 décembre 2015

LDP 2015 : Carnet de route #31

ldp 2015 2 novembre chicago

La trente-et-unième étape de ce carnet de route du trio LDP a pour cadre Chicago : l'Experimental Sound Studio, pour être précis, où Urs Leigrumber et Jacques Demierre donnaient un concert le 2 novembre dernier.

2 novembre, Chicago
Experimental Sound Studio

Heute spielen Jacques und ich im ESS, im Rahmen der Monday Serie of Improvised Music. Das Konzertprogramm wird von Tim Daisy und Ken Vandermark kuratiert. Das Experimental Sound Studio der Edgewater Anlage bietet als Ort ein umfassendes Angebot für jede Art von Produktionen; Recording, Mixing und Mastering. Es gibt eine Audio-Galerie, einen kleinen öffentlichen Raum für Ausstellungen, Tagungen, Workshops, Performances und Künstlerprojekte. Die Audio-Archive bieten eine unschätzbare Sammlung von Avantgarde Sound und Musik Aufnahmen aus den letzten fünf Jahrzehnten. ESS präsentiert in den verschiedenen Räumen des Studios, als auch an verschiedenen Partner Orten in Chicago über das ganze Jahr ein vielseitiges Programm für Performance, Installation, Workshop sowie Künstlergesprächen. ESS ist eine gemeinnützige, von Künstlern geführte Organisation. Die kulturellen und experimentellen Veranstaltungen, einschließlich Musik, Klangkunst, Installation, Kino, darstellende Künste, Lautpoesie, Radiosendungen und neue Medien sind dem Schwerpunkt Klang gewidmet. Das Ziel des ESS ist es, die Künstler in ihren Diziplinen zu begleiten, indem es ein Publikum bietet, das ihnen zuhört und ihre bis anhin ungehörten, kreativen Klang Dimensionen wahrnimmt. Das Engagement der beteiligten Musiker umfasst Produktion, Präsentation, Bildung und Entwicklung, und schliesst die Zusammenarbeit mit anderen Organisationen, Fachkreisen, Künstlern und Privatpersonen in Chicago mit ein.
Das Konzert wird aufgezeichnet. Jeder von uns spielt ein Solo. Ich spiele das Sopran und führe es durch multiphonische Klangwelten und schnelle staccato Läufe. Jacques setzt zu einem langen, bewegten und kraftvollen, rhythmischen Cluster Crescendo an. Dazwischen spielt er im Innern des Klaviers. Der Ausklang auf der Klaviatur stufenweise im Pianissimo. Nach einer Pause zeigen wir das Video mit Barre. Jacques und ich setzen ein. Wir spielen ein 30 minütiges Stück. Die Zuhörer, die Musiker Lou Mallozzi, Tim Daisy und andere sind begeistert ... „awesome“.
U.L.

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C'est en écoutant Urs débuter la soirée par un solo de saxophone soprano assis à côté du piano dont je dois jouer dès sa performance terminée, que me vient le souvenir de BLANC, un spectacle réalisé il y a plusieurs années de cela, avec le performer berlinois Christian Kesten, la clarinettiste-chanteuse Isabelle Duthoit et le vidéaste Alexandre Simon. L'unique raison de ce souvenir me semble être l'improbable lien qu'incarne le piano YOUNG CHANG, nouvellement installé à ESS, à l'intérieur duquel j'ai lu, au moment de la balance, le numéro G 050866, sous lequel est écrit YOUNG CHANG, en forme arrondie et en majuscules, et aussi, non loin, dans un rectangle en relief, la mention G-175, puis encore, levant et laissant mon regard traverser les cordes, d'abord le mot Trade, puis, séparé par une couronne de lauriers, celui de Mark, et légèrement en-dessous, en écriture gothique, YOUNG CHANG PIANO, suivi, dans une autre police, de YOUNG CHANG AKKI CO. LTD., pour terminer enfin avec l'inscription SEOUL. KOREA. Lien hautement improbable géographiquement car le spectacle BLANC prenait comme point d'appui L'empire des signes, un livre que Roland Barthes consacra au Japon, mais lien fortement en résonance avec la situation du solo que j'allais devoir affronter ce soir-là. L'écrivain français propose en effet dans son texte de se retrouver volontairement en prise directe avec le flux de la vie japonaise, où l’acte de porter un regard subjectif sur le Japon n’est en aucun cas une manière de photographier ce pays, mais plutôt une façon de se retrouver en « situation d’écriture », dans une position « où s’opère un ébranlement de la personne, un renversement des anciennes lectures, une secousse du sens, déchiré, exténué jusqu’à son vide insubstituable ». Situation d'écriture qui devient pour moi, ici, devant ce piano YOUNG CHANG et soumis au flux de mon propre environnement, situation de jeu, situation d'improvisation. J'aimerais faire mienne la proposition de Barthes lorsqu'il nous invite à « descendre dans l’intraduisible ». Comme il le propose, j'aimerais aussi pouvoir, à l'instant du solo, « arrêter le langage », c'est-à-dire atteindre ce nécessaire « vide de parole » qu'il évoque, et parvenir à « casser cette sorte de radiophonie intérieure qui émet continûment en nous, jusque dans notre sommeil ». Car c’est bien l’exemption du sens qui est au centre de la pratique du solo – mais cela vaut également pour les sons, la musique, en groupe – « exemption du sens, que nous pouvons à peine comprendre, puisque, chez nous, attaquer le sens, c’est le cacher ou l’inverser, mais jamais l’absenter. » Si le sens musical diffère du sens linguistique, son exemption n'en est pas plus facile. Un souhait : laisser le sens sonore et musical à lui-même et exprimer les sons « comme on presse un fruit ». Le choc, l'électrochoc de l'improvisation, quelle que soit sa durée, pourrait être celui que l'on éprouve à la lecture ou à l'écoute d'un haïku, où « le travail de lecture qui y est attaché est de suspendre le langage, non de le provoquer ». Pourtant loin de moi l’idée ou l'envie de donner une pertinence à un processus d'improvisation en suspendant « le langage sur un silence lourd, plein, profond, mystique, ou même sur un vide de l’âme qui s’ouvrirait à la communication divine [...], » car « ce qui est posé ne doit se développer ni dans le discours ni dans la fin du discours ». Etonnant, une nouvelle fois, d'observer combien la vision qu’offre Barthes de la vacuité formelle de cette forme poétique semble avoir été pensée pour l'improvisation : « le flash du haïku n’éclaire, ne révèle rien ; il est celui d’une photographie que l’on prendrait très soigneusement (à la japonaise), mais en ayant omis de charger l’appareil de sa pellicule. »
J.D.

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Photos : Jacques Demierre

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29 décembre 2015

Jean Guérin : Tacet (Souffle Continu, 2015)

jean guérin tacet

Si le tacet est un silence qui dure, celui de Jean Guérin n’en fait pas grand cas sur ce disque du même nom enregistré en janvier 1971. La référence Futura est aujourd’hui rééditée sur vinyle par le Souffle Continu.

Dans le film de Claude Faraldo que la musique illustre, Bof.. (Anatomie d’un livreur), il est question de vin : c’est d’abord au rythme de gouttes que Guérin arrange donc son ouvrage – d’autres effets liquides suivront. Et c'est bientôt l’auditeur qui oublie le « comment faire » (collages, appropriations, bruitages…) pour se plonger au mieux dans le son du film qui lui est associé.

Une trompette (Bernard Vitet) sur écho, des bandes manipulées, un saxophone (Philippe Maté) en lutte contre une électroacoustique dérangée, une voix (Françoise Achard) comme perdue dans le corps de quels instruments, une impression d’Afrique chassée par une électronique hirsute… Les expériences d’alors – quelques rapprochements : François Bayle, Jef Gilson, Alain Goraguer et Orfeu Negro pour dire que l’image parvient ici aussi à percer le son – se réentendent : et l’on peut même goûter cette musique d’ancien régime où le silence ne régnait pas encore en maître sur l’exploration sonore, où l’on reconnaissait le charme des écarts et même la beauté des excédents.



Jean Guérin : Tacet (Souffle Continu)
Enregistrement : janvier 1971. Réédition : 2015.
LP : A1/ Triptik 2 A2/ Mixage vert A3/ Maochat A4/ Ca va le comte – B1/ BM 37 B2/ Interminable hommage à Zaza B3/ Reflexion 2 et I B4/ Gaub 71
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

30 décembre 2015

Cabaret Contemporain, Linda Oláh, Isabel Sörling : Moondog (Sub Rosa)

cabaret contemporain moondog

Une simple soustraction des featurings (Linda Oláh & Isabel Sörling au chant) nous en dit plus sur ce Cabaret Contemporain : dedans il y a donc Fabrizio Rat (piano), Giani Caserotti (guitare), Ronan Courty (contrebasse), Simon Drapier (contrebasse itou) et Julien Loutelier (batterie). Et tout ce petit monde va droit au répertoire de Moondog (et dans le mur aussi) encouragé par deux résidences à la Maison de la Musique de Nanterre et Le Lieu Unique de Nantes (il faut bien aider la jeunesse sans idée).

Comme à tout groupe inconnu hommage est bon, pourquoi pas le vieil Hardin ? C’est la promesse assurée d’une certaine (espérons) couverture médiaticobranchouille, non pas ? Oui bien mais qu’en faire des mélodies de Moondog ? Eh bien (comme souvent) pas grand-chose. Certes certes on transpose le défunt aveugle dans des espaces faits pour qu'il chute (et qu’il aurait en conséquence sans doute détestés) : minimalisme gnangnan à la Stina Nordenstam (My Tiny Butterfly), dance pop à la Cardigans (I’m Just a Ho Head), rubik’s cube unicolore (Maybe), vocalises ECMisantes, cover pseudoexpée qu’aurait pu cracher les Brigitte comme Nouvelle Vague comme Pink Martini... Bref, queue d'chi là-dedans, mon pov’ Louis…



Cabaret Contemporain, Linda Oláh, Isabel Sörling : Moondog (Sub Rosa)
Edition : 2015.
CD / LP :  01/ My Tiny Butterfly 02/ I Love You 02/ Do Your Thing 04/ I’m Just a Hop Head 05/ Why Spend the Dark Night with You 06/ Maybe 07/ Paris 08/ Trees Against the Sky 09/ Enough About Human Rights 10/ All Is Loneliness 11/ High on a Rocky Ledge
Pierre Cécile © Le son du grisli

23 mars 2016

Bernard Vitet : La guêpe (Souffle Continu, 2015)

bernard vitet la guêpe

De Bernard Vitet, on sait à peu près le parcours – études de cinéma, première trompette sur le modèle de Miles Davis, entente avec Jef Gilson et jeux de free avec François Tusques, notes appuyées dans les grandes formations d’Alexander von Schlippenbach ou Alan Silva, autre sorte d’entente avec Parmegiani, etc. – et son goût pour les instruments que lui seul pouvait créer. Et voici que nous revient La guêpe.

Composant autant qu’improvisant – avec Jean-Paul Rondepierre (trompette, marimba), Jouk Minor (saxophones, violon, clarinette), François Tusques (piano et aprfois direction), Beb Guérin (contrebasse, piano), Jean Guérin (percussions, vibraphone, saxophone alto…), Françoise Achard (voix) et Dominique Dalmasso (magnétophones) –, Vitet fait sonner les mots d’un autre (Francis Ponge) avec une franchise qui lui correspond.

Une audace, voire. Entre ‘Bout Soul de Jackie McLean, Transit de Colette Magny – la place que prend la voix, quand même… et que faire d’elle en musique « libre » ? – et l’Intercommunal Music de Tusques, La guêpe de Vitet s’exprime sur un air de théâtre oulipèsque (c’est-à-dire : pas détaché de toutes conventions) qu’aurait enfanté Maeterlinck. « Les mots comme une matière », et puis comme une musique capable de se fondre dans le paysage. Celui de Vitet est de son époque : récalcitrant mais naïf, volontaire et charmeur, nébuleux et démonstratif...

Et puis (et même : d’abord), au piano comme au violon, c’est autre chose : une exploration de l’instrument qui se moque de toute explication, une revendication qui gratte et accroche, une expression qui pourrait être contemporaine – pourquoi ne pas entendre en Achard (qu'on retrouve en Tacet) une possible Berberian ? – si elle ne trahissait pas tant l’écoute du jazz et l'envie de s'en débarrasser. S'il faut, en quelques mots, résumer La guêpe, autant les emprunter à Ponge : « Si ça touche, ça pique ! »



la guêpe

Bernard Vitet : La guêpe
Souffle Continu
Enregistrement : décembre 1971. Edition : 1972. Réédition : 2015.
LP : A1/ Et Cetera A2/ Balle de fusil (1) / Hyménoptère A3/ Trolley grésilleur – B1/ La guêpe et le fruit B2/ Toujours fourrée dans la nectarothèque B3/ Balle de fusil (2)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

50Toute la journée, tchattez en direct avec les gars du Souffle Continu. Pour ce faire, un seul numéro de téléphone : 01 40 24 17 21.

 

8 juin 2017

Arto Lindsay : Cuidado Madame (Ponderosa / northern Spy / P-Vine, 2017)

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Un nouveau disque d’Arto Lindsay, c’est toujours un (petit) événement. Une envie de découvrir et une appréhension accrochée à la queue de cette envie : n’aura-t-il pas trop abusé des synthés ou de la basse de son fidèle Melvin Gibbs ? et les nouvelles chansons, comment sont-elles les nouvelles chansons ? Car il faut avouer que c’est souvent les montagnes russes, avec Arto. Un coup nous voilà parti dans une complainte brésilienne que n’aurait pas reniée le tropicalisme le plus triomphant, un autre c’est dans un marasme à couches électroquatrevingt qu’il peut vous plonger quand il n’essaye pas de vous perdre dans des expérimentations parfois alambiquées…

Sur ce nouvel album studio (plus de dix ans après Salt, même si depuis il y a eu la sortie de Scarcity, avec Paal Nilssen-Love), notre homme est accompagné  du fidèle Gibbs et s’est adjoint (entre autres) les services de musiciens qui promettent : le pianiste Patrick Wilson, le guitariste Patrick Higgins et le percussionniste Kassa Overall (qui a battu le tambour derrière Geri Allen ou Peter Evans). Avec Higgins, il cosigne par exemple cet Arto vs. Arto, un clash de guitares et de programmations qui renvoie à ses expérimentations les plus radicales (avec DNA mais aussi avec ses duos avec Peter Scherer ou ses exploits guitaristiques dans les Lounge Lizards).

Mais avant et après, il balance (oui, « balance »), comme à son habitude, entre des loops nonchalantes et des jeux de construction audacieux. Côté Brésil, Arto copie et colle le candomblé, met des mots sur une partition du violoniste Luis Filipe de Lima ou compose avec son amie Marisa Monte ou le jeune chanteur Lucas Santanna. Bref, il explose, comme à son habitude encore, toutes les frontières et si ça ne marche pas toujours on lui redira, pour Grain by Grain, Deck ou Uncrossed, tout le bien qu’on pense de lui, de son talent, de ses excès et même… de ses défauts !

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Arto Lindsay : Cuidado Madame
Ponderosa Music & Art / P-Vine / Northern Spy
Edition : 2017.
Pierre Cécile © Le son du grisli

 

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16 février 2015

Michael Pisaro : Melody, Silence (Potlatch, 2015) / Cristián Alvear : Quatre pièces pour guitare... (Rhizome.S, 2015)

michael pisaro cristian alvear melody silence

Quelque part dans « la surface égarée d’un désert », pour citer René Char : voilà où le guitariste Cristián Alvear a pris l’habitude de glaner ses partitions. Hier, signées Antoine Beuger (24 petits préludes pour la guitare) ; cette fois, que Michael Pisaro paraphe. Est-ce un refuge qu’Alvear a trouvé en Wandelweiser ?

Si Robert Johnson (pour ne citer que celui-là) n’avait pas existé, le guitariste (comme tant d’autres musiciens) donnerait-il dans l’abstraction et le silence, dans la note rare et suspendue ? Au contraire, chercherait-il l’accord parfait ou le détail révélé sous les effets du médiator qui fait d’une simple chanson un hymne irrésistible ? C’est-à-dire ce à quoi Michael Pisaro – « Melody, Silence is a collection of materials for solo guitarist written in 2011 » – a tourné le dos.

Les préoccupations du compositeur sont en effet autres (antienne reléguée, distance mélodique, fière indécision…), qui vont à merveille au guitariste classique. Cordes pincées et feedbacks valant bourdons, dissonances et « sonances » : autant de choses que le silence et la guitare se disputent, sur les recommandations de Pisaro (douze fragments à interpréter, voire à renverser, librement). Or, c’est la guitare qui l’emporte : à fils et non plus à cordes, elle avale les soupirs et les change en morceaux d’un horizon de trois-quarts d’heure. Aussi intelligent soit-il, l’art de Pisaro requérait un instrumentiste expert : et c'est Cristián Alvear qui a permis à Melody, Silence d’exister vraiment.

Michael Pisaro, Cristián Alvear : Melody, Silence (Potlatch)
Enregistrement : 1er juillet 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Melody, Silence (for Solo Guitar)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

cristian alvear quatre pièces pour guitare et ondes sinusoïdales

A la guitare (classique, certes, mais amplifiée quand même), Alvear ajoute, pour l’occasion (interprétations de pièces signée Alvin Lucier, Ryoko Akama, Bruno Duplant et Santiago Astaburuaga) les ondes sinusoïdales. Sur un « bourdon Lucier », une note unique de guitare dérive et défausse, que la seconde plage multipliera et la troisième imposera enfin. Pour clore ce précis d’électroacoustique contemporain, Alvear interroge sa guitare (et non ses ondes) au point de la renier. Là où les bourdons n’avaient pas suffi, son approche parfait les effets d’intelligentes combinaisons opposant guitare et ondes et accouche d’une autre façon de faire impression.

Cristián Alvear Montecino : Quatre Pièces Pour Guitare & Ondes Sinusoïdales (Rhizome.S)
Edition : 2015.
CDR : 01/ On the Carpet of Leaves Illuminated by the Moon 02/ Line.ar.me 03/ Premières et dernières pensées (avant de s’endormir) 04/ Piezo de escucha III
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

15 janvier 2010

The Ex : 30 (Ex Records, 2009)

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Saviez-vous que The Ex a trente (30) ans ? Il suffirait de le dire, d’écrire ici trente fois  « The Ex » en guise de remerciements puis de faire un lien vers un méchant site marchand qui vous vendrait la rétrospective 30.

Peu importe la manière, peu importe que vous donniez aux méchants ou aux gentils, il faut simplement se ruer sur ces deux disques : une rétrospective bien faite, qui se pose la question de son utilité (qu’est-ce ce qu’une compilation sinon une référence de plus qui présente à la fois de manière générale les grands travaux d’hier et fait état en même temps de ce qui vous anime encore aujourd’hui ?).

L’écoute de 30 offre un plaisir immédiat, vous remet en mémoire un morceau oublié ou vous fait découvrir un titre à côté duquel vous étiez honteusement passé, vous montre l’entreprise familiale aux côtés d’invités de marque (Getatchew Mekuria, Tom Cora, Han Bennink…). Plage après plage, ces deux disques vous enfoncent dans le crâne que The Ex est le plus grand groupe de rock à avoir émergé alors que vous marchiez à peine, que les mêmes The Ex ont subi une évolution qui les mena de premières influences punko-undertones-buzzcocksiennes à un statut de faiseur d’indispensables chansons rugueuses, frontales et entretenant parfois, dans le but de brouiller les pistes, un rapport étrange à la musique andalouse ou éthiopienne. Tout est là, sur deux disques : 30 années d’Ex No Future.

The Ex : 30 (Ex Records / Amazon)
Edition : 2009.
CD1 : 01/ Rules 02/ Blessed Box at the Backseat 03/ Sucked Out Chucked Out #1 04/ The Wellknown Soldier 05/ Jack Frost is Innocent 06/ Fire and Ice 07/ White Liberal 08/ Ay Carmela 09/ Knock 10/ Choice 11/ Rara Rap 12/ Headache by Numbers 13/ Shopping Street 14/ State of Freedom 15/ Blah Blah 16/ Bouquet of Barbed Wire 17/ Gonna Rob the Spermbank 18/ Lied ded Steinklopfer - CD2 : 01/ State of Shock 02/ Hidegen Fjnak A Szelek 03/ Stupid Competitions 04/ Former Reporter 05/ Travel On, Poor Bob 06/ Atoll 07/ Frenzy 08/ Time Flies 09/ Symfonie Voor Machines 10/ Huriyet 11/ Ethiopia Hagere 12/ The Big Black 13/ IF That Hat Fits The Suit 14/ The Lawn of Limp 15/ Listen to the Painters
Pierre Cécile © Le son du grisli

4 juin 2012

Rafael Toral : Space Elements Vol. III (Taiga, 2011) / Rafael Toral, Davu Seru : Live in Minneapolis (Clean Feed, 2012)

rafael toral space elements iii

Quelques mois après sa parution sur CD sous étiquette Staubgold, le label Taiga publie sur vinyle le troisième volume de Space Elements de Rafael Toral – élément enregistré d’un projet que l’intéressé présentait ici de la sorte : « The Space Program part d'une idée simple qui consiste à établir des manières de jouer de la musique électronique selon des valeurs qui trouvent leurs origines dans le jazz ».

Comme ses prédécesseurs, ce volume de Space Elements fait œuvre de collages et d’abstraction : Toral y déroute son discours et surprend son langage en empruntant autant à la pop qu’à la musique expérimentale et en recevant les propositions de quelques invités : le pianiste Riccardo Dillon Wanke, le guitariste Toshio Kajiwara, Victor Gama sur un instrument de son invention baptisé acrux, les percussionnistes Tatsuya Nakatani, César Burago, Afonso Simões et Marco Franco.

A l’électronique, Toral fait face au point de changer un capharnaüm en cabinet de curiosités rares : à la cisaille électrique, il taille structures rythmiques et cordes de guitares pincées ; à force d’ondes, il peut doubler la peau d’un tambour ou envelopper les bruissements du piano dans un même élan d’apaisement inspiré. C’est d’ailleurs là que se niche la nouveauté de ce troisième volume de Space Elements : dans la patience qui profite à l’arrangement des souffles et des rythmes atténués.

Rafael Toral : Space Elements Vol. III (Taiga)
Edition : 2011.
LP : 01/ III.I 02/ III.II 03/ III.III 04/ III/IV 05/ III.V 06/ III.VI 07/ III.VII 08/ III.VIII
Guillaume Belhomme © Le son du grisli



toral seru live in minneapolis

C’est avec un autre percussioniste, Davu Seru, que Toral mettait en œuvre son Space Program et interrogeait ses usages de l’électronique. Daté du 8 mars 2011, ce Live in Minneapolis se découpe en trois temps : Toral contrant d’abord la forfanterie du batteur à coups d’aigus puis de graves ; Toral et Seru faisant ensuite preuve de trop de précautions pour s’imposer vraiment ; Seru martelant enfin pour que revienne une opposition plus frontale et autrement démonstrative. Ainsi donc, l’intérêt fluctue.  

Rafael Toral, Davu Seru : Live in Minneapolis (Clean Feed / Orkhêstra International)
Enregistrement : 8 mars 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ First Third 02/ Second Third 03/ Third Third
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

6 mai 2013

Alexandr Vatagin : Serza (Valeot, 2013)

alexandr vatagin serza

La liste des musiciens invités par Alexandr Vatagin (Port-royal, Tupolev, Quarz) sur Serza est longue : Pawn, Hideki Umezawa, Fabian Pollack, Martin Siewert, Peter Holy, Lukas Scholler, Giulio Aldinucci et James Yates. Mais est-elle assez longue pour changer l’electronica ambient pop du monsieur en opus recommandable ?

Pas sûr, puisque l’album s’inscrit dans une lignée 12k / Häpna sans se montrer très original (et même, comme sur Mantova, tristement parodique). Les invités susnommés (Siewert mis à part, qui profite de sa présence pour donner un goût de Trapist au CD) se baladent dans un décor de carton-pâte qui manque de consistance. Gentil, trop gentil.

EN ECOUTE >>> Bows and Airplanes

Alexandr Vatagin : Serza (Valeot)
Enregistrement : 2007-2012. Edition : 2013.
CD / DL : 01/ Elisa 02/ Bows and Airplanes 03/ Elbe 04/ Mantova 05/ La douce 06/ March of the Dancing Barriers 07/ Insomnia 08/ Different
Pierre Cécile © le son du grisli

5 avril 2014

Philip Corner : Lifework: A Unity (Umlaut, 2014)

ensemble hodos plays philip corner lifework a unity

C’est dans un geste à la Fluxus que le label Umlaut édite la deuxième partie d’une intégrale Philip Corner par l’Ensemble Hodos (Lifework: A Unity) sans avoir édité la première. Corner est déjà trentenaire quand il écrit ces quatre pièces qui inaugurent ses travaux de partitions graphiques et ses happenings encadrés par des notes manuscrites.

L’indétermination est alors presque maladive chez lui, en tout cas... obsessionnelle. C’est pourquoi les percutantes « pulse polyphonies » de Crash Actions (Antonin Gerbal et Roméo Monteiro aux percussions) et les pointillés de In Intimacy - pulsation (Fidel Fourneyron au trombone et Joris Rühl à la clarinette), écrites toutes deux en 1963, ont un souffle commun mais une respiration différente. En regard, on visitera ‘Punkt (1961), un château imaginaire, pointilliste, crénelé sur toute sa circonférence, que Corner a peut être construit pour se défendre des assauts de la critique (dans le livret, il reporte des qualificatifs qu’elle lui réservât : « sculpteur sonore », « organisateur de chaos », « simple d’esprit », « jeune homme détraqué », etc.). Enfin, pour Compare with ‘’Exquisittely Sloppy’’ Om, c’est l’histoire de l’exploration d’une note et d’une seule qui commence. Nous sommes alors en 1975.

Le prochain volume de Lifework: A Unity reprendra peut-être à cette date, peut-être pas. Mais il est fort à parier qu’il s’intéressera aux œuvres de jeunesse de Philip Corner, puisque toutes les œuvres du compositeur sont des œuvres de jeunesse.

Philip Corner, Ensemble Hodos : Lifework: A Unity. 2. The World (Graphic Innovations & Indeterminacy) 1960-75 (Umlaut)
Enregistrement : 16-17 mai 2013. Edition : 2014.
CD : 01/ Crash Actions 02/ ‘Punkt 03/ Compare With ‘’Exuisitely Sloppy’’ Om 04/ An Intimacy - pulsation
Héctor Cabrero © Le son du grisli

17 juin 2014

Azeotrop, Felix Profos : Bock (Deszpot, 2013) / Steamboat Switzerland Extended : Sederunt Principes (DB Waves, 2013)

azeotrop felix profos bock

Axe répétitif pour le duo noise Azeotrop (Dominik Blum : orgue Hammond, Peter Conradin Zumthor : batterie). Les compositions de Felix Profos sont cadenassées. Aucun espoir d’évolution, le crescendo est exclu. Le beat est perturbé, défiguré. Le duo renforce la stridence, perfore quelques frêles tympans. Les issues sont bouchées.

En quelques plages, Azeotrop improvise. Les ambiances sont anxiogènes : cortège lent et appuyé vers un psyché-noise imbibé de noires terreurs, gong aux harmonies putrides surgissant d’une gangue sableuse et détrempée… La noirceur trouve trône. Dans un tel contexte, l’orgue Hammond étonne puis convainc. On aura prévenu : gare aux oreilles.

écoute le son du grisliAzeotrop, Felix Profos
Bock (extraits)

Azeotrop, Felix Profos : Bock (Deszpot)
Enregistrement : 2011. Edition : 2013.
CD / LP : 01/Horn  02/Marsch  03/Fieber  04/Bann  05/Ritt  06/Mühle  07/Gong  08/Loch  09/Dresden  10/Pupillenschmerz
Luc Bouquet © Le son du grisli

steamboat switzerland extended sederunt principes

Plus bruyant que le souvenir qu’on en gardait, Steamboat Switzerland (Dominik Blum, Marino Pliakas et Lucas Niggli), trio ici augmenté, démontre en concert, sur des compositions de Mark Kilchenmann, d’une esthétique changeante. Plus ou moins convaincante, celle-ci, selon qu’orgue et guitares rivalisent de lourdeur avec les frappes vigoureuses ou que les saxophones (d’autres invités ayant rejoint le trio) relativisent l’emportement de rigueur et la folie « progressive » (belle marche noire en seconde plage).

Steamboat Switzerland Extended, Mark Kilchenmann : Sederunt Principes (D.B. Waves, 2013)
Enregistrement : 5 février 2012. Edition : 2013.
CD : Sederunt Principes
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

21 août 2014

Ming Tsao : Pathology of Syntax (Mode, 2014)

ming tsao pathology of syntax

Nous avions prévu l’ascension du Mont Ming Tsao sans rien connaître de lui – Pathology of Syntax est la première présentation de ses travaux. Les premiers écroulements d’archet – n’était-ce pas quand même ceux de l’Arditti Quartet ? – ne nous découragèrent pas, bien au contraire. Nous nous engageâmes.

Pour y trouver une impression de nature que nous ne pouvions pas soupçonner chez ce compositeur américain (certes installé en Suède). Est-ce l’effet des grands et des froids espaces, mais le vent ne tire-t-il pas à lui les violons de Pathology of Syntax et ne pousse-t-il pas les cuivres de l’Ensemble Ascolta sur la pente abrupte d’(Un)Cover, les deux pièces d’ouverture inspirées par Beethoven ? Dans un autre genre (moins « classiquement contemporain », plus « impénétrable »), le trombone de l’Ensemble SurPlus ne brame-t-il pas sur Not Reconcilied ?

Pour faire pendant aux bruits de la nature, Ming Tsao compose avec des cordes intranquilles (ce sera encore le cas de celles de l’ensemble recherche), des notes qui dévissent jusqu’à remettre en question le canon. Sur la composition du même nom, le clarinettiste Anthony Burr et le violoncelliste Charles Curtis illustrèrent enfin notre inconscience : nous étions arrivés bien haut. Il nous fallait maintenant redescendre. Mais comment redescendre ?

Ming Tsao : Pathology of Syntax (Mode)
Edition : 2014.
CD : 01/ Pathology of Syntax 02/ (Un)Cover 03/ The Book of Virtual Transcriptions 04/ Not Reconciled 05/ One-Way Street 06/ Canon
Héctor Cabrero © Le son du grisli

31 octobre 2014

John Coltrane : Offering. Live at Temple University (Impulse, 2014)

john coltrane offering

En 1966, John Coltrane se produit aux côtés de Pharoah Sanders, Alice Coltrane, Jimmy Garrison et Rashied Ali. En juillet de cette même année, il joue au festival de Newport puis s’envole au Japon où le quintet  donne une quinzaine de concerts. Il enregistre peu en studio préférant se concentrer sur des enregistrements live (Live at the Village Vanguard Again, Live in Japan).*

A Philadelphie, le 11 novembre, John Coltrane retrouve les bonnes vibrations de la tournée japonaise puis invite quelques amis musiciens à le rejoindre sur scène. Sûr et épais malgré quelques couinements d’anches, le ténor de Coltrane dérobe à l’harmonie de Naima un chorus de cris et fulgurances. Il faudra attendre la montée finale du thème pour reconnaître pleinement la Naima de Trane. Crescent est un pur chef d’œuvre d’intensité. Fidèle à sa réputation, Pharoah Sanders délivre un solo terrassant de convulsions et d’éclats mêlés. Après un chorus embrasé d’Alice Coltrane, émerge un solo de saxophone alto à la charge d’Arnold Joyner. Coltrane reviendra prendre un intense solo et exposera le thème final de Crescent. Serein dans la bourrasque, Trane semble vouloir tempérer l’ardeur d’un groupe, ici, particulièrement survolté.

C’est encore Pharoah Sanders, entre cris et vrombissements, qui ouvre les débats sur cette nouvelle version de Leo. Dire qu’il est foudroyant serait un doux euphémisme. Voici maintenant le batteur (Rashied Ali) en charge d’un solo sans le moindre temps mort : les frisés sur les toms et les fracas de cymbales viennent se heurter à une armada de percussionnistes particulièrement survoltés (Umar Ali, Robert Kenyatta, Charles Brown, Angie DeWitt). Après quelques inattendues mélopées vocales, Coltrane et son ténor se retrouvent pris entre les rythmes mouvants des uns et des autres. Malheureusement incomplète, cette version de Leo témoigne parfaitement des risques pris par ce nouveau Coltrane, adoré par beaucoup et incompris par pas mal d’autres. La version d’Offering est d’une intensité rarement atteinte. Profond et serein et d’une justesse inouïe, le ténor du leader s’efface au profit de Sonny Johnson dont le chorus de contrebasse perd de son intensité au fil des minutes. Et voici pour conclure une version très rapide de My Favorite Things. L’altiste Steve Knoblauch y prend un court et frénétique solo. Coltrane donne à nouveau de la voix mais son soprano peine à s’accoupler avec la frénésie rythmique des percussionnistes.

Adulé par ses admirateurs, certains organisateurs ne l’entendront pas de la même oreille. Au Front Room de Newark, le directeur du club demande à Coltrane de revenir à une musique moins abrasive. Ce dernier refuse et il est proprement viré du club. Cela se reproduira à plusieurs reprises en d’autres lieux. Coltrane explique ainsi le nouveau chemin qu’a pris sa musique : « Je suis désolé. J’ai un chemin à suivre avec ma musique et je ne peux pas revenir en arrière. Tous veulent entendre ce que j’ai fait. Personne ne veut entendre ce que je fais. J’ai eu une carrière étrange. Je n’ai pas encore trouvé la façon dont je veux parvenir à jouer de la musique. L’essentiel de ce qu’il s’est produit durant ces dernières années a été des questions. Un jour, nous trouverons les réponses ».



John Coltrane : Offering. Live at Temple University (Impulse / Socadisc)
Enregistrement : 1966. Edition : 2014.
2 CD : CD1 : 01/ Naima  02/ Crescent - CD2 : 01/ Leo 02/ Offering 03/ My Favorite Things
Luc Bouquet © Le son du grisli

lkl bouquet coltrane* Ce texte est extrait de Coltrane sur le vif, livre de Luc Bouquet à paraître le 6 mars 2015 aux éditions Lenka lente.

john coltrane luc bouquet lenka lente

26 novembre 2014

Jimmy Lyons : The Complete Remastered Recordings On Black Saint (Cam Jazz, 2014)

jimmy lyons complete recordings on black saint & soul jazz

Les cinq références Black Saint de ce coffret de rééditions – enregistrements datant de 1979 à 1985 – reviennent avant tout sur l’entente de Jimmy Lyons et de deux de ses plus fidèles partenaires : Karen Borca et Andrew Cyrille.

Ainsi retrouve-t-on l’altiste et le batteur sur trois disques dont deux furent déjà réédités l’année passée en Andrew Cyrille The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note  –  il faudra donc aller y voir pour se souvenir de Nuba (enregistré avec Jeanne Lee) et Something In Return (composé en duo). Aux doubles, on aura pris soin d’ajouter Burnt Offering, duo enregistré en concert en 1982 – publié une dizaine d’années plus tard et « oublié » dans le coffret Cyrille. De taille, le disque enferme trois pièces démontrant l’intensité du jeu de l’altiste et la stimulante invention du batteur : Popp-A, Exotique et Burnt Offering, qui toutes contraignent le swing à la fronde d’une imagination vertigineuse, double qui plus est. 

Lyons aux-côtés de Karen Borca, l’association rappellera une autre boîte. Aux enregistrements de concerts jadis publiés par Ayler Records, font donc écho Wee Sneezawee et Give It Up. Avec le soutien de William Parker et Paul Murphy sur le premier disque, de Jay Oliver et du même Murphy sur le second, le saxophoniste et la bassoniste mêlent leurs voix à deux trompettistes différents : Raphé Malik (autre partenaire fidèle de Lyons) et Enrico Rava. L’épreuve est à chaque fois d’un free altier mais pas toujours de même hauteur : avec Malik, ce sont des courses instrumentales individuelles qui n’interdisent pas d’impeccables relais ; avec Rava, des cavalcades plus empruntées – exception faite de Ballada, merveilleuse conclusion au disque. Voilà donc pour Lyons chez Black Saint. Bientôt, peut-être, une autre réapparition en boîte ?

Jimmy Lyons : The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note (CamJazz)
Enregistrement : 1979-1985. Réédition : 2014.
5 CD : Wee Sneezawee / Give It Up / Burnt Offering / Nuba / Something In Return
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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