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Le son du grisli
27 octobre 2020

Marc Sabat : Gioseffo Zarlino (Sacred Realism, 2020)

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La partition est de Marc Sabat, que l’on pourra lire (ou se faire expliquer) ici. On ira ailleurs en apprendre sur la vie du compositeur et théoricien italien Gioseffo Zarlino auquel renvoie la composition qu’interprète, avec le violoniste, l’Harmonic Space Orchestra, soit : Rebecca Lane (flûte basse), Fredrik Rasten (guitare), Marta Garcia-Gomez (harpe), Thomas Nicholson (orgue), Silvia Tarozzi (violon), Deborah Walker (violoncelle), enfin Catherine Lamb et Yannick Guedon (voix).

C’est un lent balancement de cordes, entamé à deux, que suivent bientôt des voix et un violoncelle, un orgue puis un violon, une guitare alors une flûte basse… La distribution peut-elle être dérangée ? La même composition donner lieu à d’autres interprétations ? à d’autres compositions voire ? Le mouvement est régulier, le pendule qui donne le ton irréprochable. Pour rester moderne, surtout ne pas remonter trop loin, on imaginera cette musique née de l’écoute d’Arvo Pärt, de Morton Feldman, de Meredith Monk aussi, et d’Eliane Radigue pourquoi pas… Le mouvement va toujours.

Et puis il y a les leçons qu’a prises le violoniste canadien de Malcolm Goldstein, Walter Zimmermann et James Tenney. Les préoccupations, enfin, qu’il partage avec Catherine Lamb (qui inaugurait jadis, au côté de Bryan Eubanks, le catalogue Sacred Realism) et Rebecca Lane, avec lesquelles il a monté l’année dernière cet Harmonic Space qui balance encore : microtonalité, couches et relais, équilibre… Les évocations citées plus haut s’éloignent un peu, laissent toute la place à Sabat et à ses compagnons. Qui, de belles influences, auront su faire leur propre musique.

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Marc Sabat, Harmonic Space Orchestra : Gioseffo Zarlino
Sacred Realism
Edition : 2020
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

  

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21 mars 2007

Music and the Creative Spirit. Innovators in Jazz, Improvisation, and the Avant Garde (Scarecrow Press - 2006)

petergrisliCollaborateur régulier du magazine américain Downbeat, Lloyd Peterson rassemble dans Music and the Creative Spirit 42 témoignages que lui ont accordés des musiciens (*) qu’il qualifie (à raison pour presque tous) de novateurs, évoluant dans le champ d’un jazz en évolution perpétuelle au contact d’un répertoire d’influences éclaté plutôt que confortablement installés dans une tradition qu’il faudrait absolument entretenir.

Sans mentionner la date à laquelle se sont déroulés les interviews – seul défaut majeur de l’ouvrage -, Peterson fait défiler une galerie judicieuse de personnages ayant à dire sur un style qui, comme le note le trompettiste Dave Douglas dans la préface, n’a jamais autant évolué que ces quarante dernières années.

Alors, on trouve Derek Bailey avancer que les deux grands principes qui animent sa pratique musicale sont l’indifférence et la non familiarité avant de se dire musicien conventionnel ; plus loin, William Parker lâche que la compréhension n’est pas du domaine de la beauté ; Steve Lacy, dans le fac-similé d’une lettre adressée à l’auteur, conseille, lui, de laisser la musique parler d’elle-même plutôt que de la contraindre à l’exercice de la théorisation.

Plus prolixes, d’autres expliquent le rapport qu’ils entretiennent avec leur art – Hamid Drake révélant, à la suite d’Albert Ayler, le lien étroit entre la portée musicale de l’univers et la portée universelle de la musique, quand David S. Ware confie que la spiritualité l’a amené à ne plus jouer pour sa notoriété – ou tentent de mettre au clair les affinités de leurs pratiques - Ikue Mori parlant de la scène bruitiste japonaise, Otomo Yoshihide de son rapport au courant Onkyo.

Ailleurs encore, Barry Guy revient sur son expérience au sein du London Jazz Composers Orchestra, George Lewis et Wadada Leo Smith évoquent la grande époque de l’A.A.C.M., tandis qu’autour de Peter Brötzmann, Ken Vandermark, Mats Gustafsson, Joe McPhee et Paal Nilssen-Love discutent, le temps d’un tour de table intelligent, d’improvisation autant que de société, de leur rapport au public autant que de politique.

(*) Fred Anderson, Derek Bailey, Joey Baron, Tim Berne, Peter Brotzmann, Regina Carter, Chicago Roundtable, Marilyn Crispell, Jack DeJohnette, Dave Douglas, Hamid Drake, Bill Frisell, Fred Frith, Annie Gosfield, Mats Gustafsson, Barry Guy, Dave Holland, Susie Ibarra, Eyvind Kang, Steve Lacy, George Lewis, Pat Martino, Christian McBride, Brad Mehldau, Myra Melford, Pat Metheny, Jason Moran, Ikue Mori, David Murray, Paal Nilssen-Love, Greg Osby, Evan Parker, William Parker, Joshua Redman, Maria Schneider, Wadada Leo Smith, Ken Vandermark, Cuong Vu, David S. Ware, Otomo Yoshihide, John Zorn.

Lloyd Peterson, Music and the Creative Spirit. Innovators in Jazz, Improvisation, and the Avant Garde, Scarecrow Press, 2006.

9 février 2016

Zeitkratzer, Keiji Haino : Stokhausen: Aus Den Sieben Tagen / Zeitkratzer: Reinhold Friedl, KORE (Zeitkratzer, 2016)

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Sur scène en compagnie de Keiji Haino, Zeitkratzer interprétait récemment cinq des quinze compositions de l’Aus den sieben Tagen de Karlheinz Stochkausen –  ou la musique inspirée par la méditation.

L’intuition, donc, au chevet des us et coutumes de l’orchestre – qui « ressemble trop à une compagnie militaire. Avec artillerie et armes automatiques, tireur d’élite et général en chef », écrivait jadis Arthur Keelt. Déjà, naissent les premières rumeurs : les grondements de Keiji Haino sont encore enfouis sous les souffles et quelques grattages aphones. Sur les trois premières plages, les musiciens obtempèrent : « Jouez un son avec l’assurance d’avoir tout le temps et tout l’espace du monde. »

Après quoi, il faudra faire œuvre d’Intensität : « Jouez un seul son avec assez de ferveur pour ressentir la chaleur qui émane de vous, et maintenez-le aussi longtemps que vous le pourrez. » Sur l’enregistrement en question, c’est une opposition – la voix d’un côté, le piano et les vents de Gratkowski, Tafjord et Jeffery de l’autre – que la ferveur met au jour. Il faudra enfin accorder l’une et les autres en conclusion. Et c’est une autre intensité que celle de Setz die Segel zur Sonne, pièce sur laquelle un grand vaisseau menace un quart d’heure durant. L’OM orchestral aura ainsi accouché d’une belle musique d’angoisse.



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Zeitkratzer, Keiji Haino : Stockhausen, Aus Den Sieben Tagen
Zeitkratzer Productions
Enregistrement : 2014. Edition : 2016.
CD : 01/ Unbegrentz 02/ Verbindug 03/ Nachtmusik 04/ Intensität 05/ Setz Die Segel Zur Sonne
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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Sans Keiji Haino – mais enregistré par Rashad Becker –, c’est encore Zeitkratzer en concert. Et c’est d’une autre façon que la musique – une composition de son meneur, Reinhold Friedl – en impose : ainsi imagine-t-on le pianiste glissant le long des cordes, à l’intérieur d’un instrument autour duquel se sont agglutinés les huit autres membres de l’orchestre. Requérant leur soutien, le piano s’en trouve bientôt comblé : et, avec pertes et fracas, c’est maintenant son autorité qu’on enterre.

Zeitkratzer : Reinhold Friedl, KORE
Zeitkratzert Productions
Enregistrement : 2013. Edition : 2016
CD : 01/ KORE, Part 1 02/ KORE, Part 2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

13 avril 2016

Linda Sharrock : They Begin to Speak (Improvising Beings, 2016)

linda sharrock they begin to speak

Linda Sharrock. Donc le cri. Pas le cri bien appliqué et discipliné des bons élèves (on s’y laisse prendre parfois). Donc le cri de rage. Donc le cri d’amour. Le crescendo qui monte. La gorge et la poitrine en feu. Le cri des chaos d’hier. Et de ceux à venir. L’écartèlement. Le cri des origines. Le cri toujours indompté. Et des diables (Mario Rechtern, Itaru Oki, Eric Zinman, Makoto Sato, Yoram Rosilio, Claude Parle, Cyprien Busolini) surgissant des murs. Forts. Enthousiastes. Bondissants. Envoûtés. 20 mai 2015 – Paris : le cri qui dure.

Linda Sharrock. Donc la blessure. Donc les blessures. Donc les bleus. Et toujours le cri. Chez les anglais (Derek Saw, John Jasnoch, Charlie Collins + Mario Rechtern) une autre rage. D’autres équilibres. Des horizons sans barreaux. Trompette et saxophone en bataille. Et toujours le cri en pleine poire. Et Linda qui guide le cri. Chef d’orchestre plus qu’on ne le croit. 5 mai 2015 – Sheffield : le cri et son insupportable beauté.


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Linda Sharrock : They Begin to Speak
Improvising Beings / Orkhêstra International
Enregistrement : 2015. Edition : 2016.  
2 CD : CD1 : 01/1 02/2  03/3 - CD2 : 01/1 02/2  03/3
Luc Bouquet © Le son du grisli

16 mars 2007

Getatchew Mekuria, The Ex & Guests : Moa Anbessa (Terp, 2007)

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Pour avoir beaucoup écouté le 14e titre de la série Ethiopiques publiée par Buda Musique, The Ex rêvait d’une rencontre avec le saxophoniste que ce disque met à l’honneur: Getatchew Mekuria. Et voici qu’en 2006, les Néerlandais enregistrent aux côtés de l’Ethiopien et d’invités choisis (parmi lesquels on trouve Cor Fuhler à l’orgue, Xavier Charles à la clarinette).

Séduits par Mekuria, The Ex n’en profite pas moins pour tenter d’établir un pont intercontinental combinant des éléments issus des deux rives : musique éthiopienne moderne et gesticulations punk bravaches. Tangage mis à mal par des guitares accrocheuses (Sethed Seketelat), griserie apportée par les rauques du saxophone sur le gimmick de la basse électrique (Aynamaye Nesh), ou pièce maîtresse de brass band déluré (Musicawi Silt), tout plaide ici en faveur de l’alliage réussi.

La nonchalance ardente de Mekuria relevée par les provocations amusées de The Ex (Almaz Yeharerwa, Tezalegn Yetentu), ou le swing fait récréation envisagé comme preuve du caractère opportun d’une rencontre.

Getatchew Mekuria, The Ex & Guests : Moa Anbessa (Terp Records / Mosaïc)
Enregistrement : 2006. Edition : 2007.

CD : 01/ Ethiopia Hagere 02/ Sethed Seketelat 03/ Eywat Setenafegagn 04/ Che Belew Shellela 05/ Aynamaye Nesh 06/ Aynotche Terabu / Shemonmwanaye 07/ Musicawi Silt 08/ Tezeta 09/ Almaz Yeharerwa 10/ Tezalegn Yetentu 11/ Aha Begena
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

9 octobre 2014

Arto Lindsay : Encyclopedia of Arto (Northern Spy, 2014) / Arto Lindsay, Paal Nilssen-Love : Scarcity (PNL, 2014)

arto lindsay encyclopedia of arto

Bien sûr, ça fait drôle de retrouver des morceaux que l’on connaît (par cœur pour certains) dans le désordre, chamboulés par le devoir de compilation. Un CD, un seul, concasse donc Arto Lindsay – qui en fait s’est auto-concassé puisqu’il est l'homme qui a choisi les morceaux qui résument son répertoire enregistré entre 1996 et 2004. Un CD, un seul, rapproche des morceaux d’uber-pop née sur les cendres de la No Wave aux effluves do brazil. Parfois la production manque de tact ou de retenue, mais la force de Lindsay ce sont plus ses idées que la façon dont il les arrange.

Le CD qui accompagne ce Best-Of va dans le sens de ce que j’avance. C’est même là que l’on trouvera l’intérêt de cette sortie Northern Spy, dans cette performance solo captée (la vidéo tourne, notamment ci-dessous) au Pete Candy’s Store de New York, le 8 mai 2012. L’occasion pour Lindsay de donner de grands coups de guitare / voix dans le corpus-fourmilière (grossi par des reprises de MPB).

Griffant ses accords réduits, jappant avec panache, repoussant la note à plus tard, gribouillant un noise ludique (comme sur la fin de The Prize), Lindsay retrouve son ADN DNA et réinvente en interprète casseur son corpus de compositeur. Pour que l’auditeur trouve ses repères, il faudra qu’il connaisse le bonhomme ou apprenne à le connaître… voilà donc le but de l’Encyclopédia of Arto : qu’à la fin, tout le monde s’y retrouve !





Arto Lindsay : Encyclopedia of Arto (Northern Spy / Souffle Continu)
Enregistrement : 1996-2012. Edition : 2014.
2 CD / 2 LP : 01/ Skies 02/ Simply Are 03/ Illuminated 04/ The Prize 05/ Personagem 06/ Child Prodigy 07/ Ridiculously Deep 08/ Complicity 09/ Invoke 10/ Reentry 11/ Combustie 12/ Ondina – 13/ The Prize 14/ Privacy 15/ Pony 16/ Erotic City 17/ Invoke 18/ Maneiras 19/ O Mais Belo dos Belos 20/ Garden Wall of Guitar 21/ Illuminated 22/ Simply Beautiful 23/ Estação Derradeira 24/ Wall of Guitar
Pierre Cécile © Le son du grisli

arto lindsay paal nilssen-love scarcity

La rencontre entre Arto Lindsay et Paal Nilssen-Love date du 2 juillet 2013 – d'autres que celle-ci se sont faites entendre depuis (ci-dessous, à Moers). En concert à Rio, le duo arrangea sur l’instant une frappe nerveuse et une guitare revêche, en somme deux approches faites pour s’entendre. Scarcity, de documenter un échange débridé, souvent raide, que les exclamations de Lindsay transforment presque en recueil de chansons bruitistes.

Arto Lindsay, Paal Nilssen-Love : Scarcity (PNL / Souffle Continu)
Enregistrement : 2 juillet 2013. Edition : 2014.
LP : A/ Scarcely  B/ Scarcely 2
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

6 octobre 2015

Gurun Gurun : Kon B (Home Normal, 2015)

gurun gurun kon b

Quelque part dans le no man's land entre la République Tchèque et le Japon nous était parvenu, en 2010, un disque rêveur et pointilliste, c'était le premier du groupe Gurun Gurun. Chanté entièrement en japonais – il faut dire que les Moskitoo et autres Sawako étaient de la partie –, son univers avant pop(tronica) avait fait l'effet d'une micro-bombe dans l'espace spatio-temporel entre Tujiko Noriko et Tangtype, avant que cinq années de silence ne nous mettent sur la fausse piste d'un one shot.

Heureuse nouvelle, première du nom, le quatuor tchèque a mis fin à son silence. Jolie surprise (bis), Federsel, Jara Tarnovski & co reprennent le chantier là où ils l'avaient abandonné. Toujours empreinte de cette délicatesse olfactive, elle caresse les oreilles telle une douce plume, la démarche s'accompagnant cette fois des services d'autres chanteuses, sans que le résultat n'en soit chamboulé (les mauvaises langues diront que leurs voix sont interchangeables, mais bon). Et vu que, musicalement, l'abstraction electronica reste de mise, avec juste ce qu'il faut de points de repère pour y accrocher, le résultat demeure tout aussi enchanteur, pour autant qu'on ne rêve pas de les reprendre sous la douche.

Gurun Gurun : Kon B (Home Normal)
Edition : 2015
CD : 1/ Atarashii Hi 2/ Aoi 3/ Itsuka No Hoshi / Hia 4/ Shizumeru / Kiikii 5/ Koe / Sukuu 6/ Mado 7/ Tsuki Ni Te 8/ Beda Folten Supasuta
Fabrice Vanoverberg © Le son du grisli

14 janvier 2016

Guus Janssen : Meeting Points (Bimhuis, 2015)

guus janssen meeting points

Avec pour particularité d’avoir été captées entre 1989 et 2014 au Bimhuis d’Amsterdam, les neuf pièces de Meeting Points nous livrent quelques-unes des multiples facettes du talentueux pianiste Guus Janssen.

On le découvre donc en invité-crapahuteur du Clusone Trio, redoutable d’aplomb et de sang-froid aux côtés de l’ouragan Han Bennink, bienveillant partenaire du grand Lee Konitz, libre et euphorique face aux potaches enragés que sont Peter van Bergen, Sanne van Hek, Wolter Wierbos, Raphael Vanoli, Ernst Glerum & Wim Janssen et, enfin, attentif-inspiré le temps d’un éclairé avec le batteur John Engels. Ceci, en attendant d’en découvrir plus…



Guus Janssen : Meeting Points (Bimhuis)
Enregistrement : 1989-2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Koto à gogo 02/ Rondo 03/ April 04/ Vry naar AT 05/ Meeting Points 06/ Pogo 1 07/ Pogo 2 08/ Peer’s Counting Song 09/ Janus Bifrons
Luc Bouquet © Le son du grisli

25 avril 2016

Christophe Deniau : Downtown Manhattan 78-82 (Le Texte Vivant, 2015)

christophe deniau downtown mahnattan de la no wave aux dancefloors

Je dois dire que de la No Wave aux Dancefloors ma préférence va à la première, il y a bien longtemps que j’ai déserté les pistes pour avoir fini la dernière fois la tête aux sanitaires comme qui dirait. Bien. L’époque qui nous intéresse (quatre ans) va de (19)78 à (19)82, c’est court et ça m’arrange.

Quoique. Plus de 250 pages pour quatre années new yorkaises (d’accord, l’auteur raconte quand même toute l’histoire de la Grosse Pomme en quelques pages et ne parle pas que de musique mais aussi d’art & de cinéma), mais OK, je m’y colle. On reprend : le Velvet qui passe au Café Bizarre, Suicide et le punk version US, les origines du hip-hop, le disco et la No Wave… On ne refait pas le match (des punks contre les arty par exemple) mais toute l’histoire et si tant est qu’on ne la connaît pas alors ce sera bienvenu.

C’est surtout quand Christophe Deniau (l'auteur du livre) prend Arthur Russell pour exemple qu’il fait preuve de personnalité. Eh oui, le Russell qui passe de la musique contemporaine au disco raconte à lui tout seul tous les rapprochements de cet âge d’or culturel. On peut bien nous servir du free jazz et du post-punk, nous réchauffer The Clash ou Malcolm McLaren, le début des 80's c’est (à mon avis) déjà plus ça. Heureusement qu’overdoses, hépatites et SIDA ont mis un terme à la fête sinon quoi j’en étais reparti pour 250 nouvelles pages ! Ce qui ne m’empêchera pas d’aller picorer de temps en temps dans le Deniau en réécoutant No New York ou Marquee Moon

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Christophe Deniau : Downtown Manhattan 78-82. De la No Wave aux dancefloors
Le Texte Vivant
Edition : 2015.

Livre : Downtown Manhattan, 259 pages
ISBN : 978-2-36723-097-9
Pierre Cécile © le son du grisli

1 juin 2016

Interview de Jonas Kocher

jonas kocher interview le son du grisli

L'impressionnante actualité de Jonas Kocher – publication de nouveaux enregistrements (Koch / Kocher / Badrutt, Skeleton Draft, Rotonda et le tout récent Kocher / Manouach / Papageorgiou) et d'un livre augmenté d'un film (Quiet Novosibirsk) – valait bien qu'on s'arrête aux interrogations qui, aujourd'hui, influencent son esthétique. De quoi soumettre son instrument, l'accordéon, à un  perpétuel bougement...

Quel est ton premier souvenir de musique ? Difficile d'évoquer un souvenir en particulier, il s'agirait plutôt de quelques impressions diffuses : mon père jouant quelquefois de l'accordéon le soir dans le salon familial, le cahier de la « Méthode Rose » sur le piano droit de ma mère, les chants de la chorale du village. Et je me rappelle aussi un disque dans la collection de mes parents : Movements d’Isaac Hayes. Ce LP me paraissait complètement incongru entre les disques de musique traditionnelle suisse, d’Elvis Presley et de Joe Dassin. Je n'ai jamais compris ce qu'il faisait là.

A quel instrument as-tu débuté ? Quelle musique écoutais-tu à cette époque ? J'ai commencé à jouer de l'accordéon à l'âge de 7 ans. Il y avait aussi un piano et une flûte à bec à la maison mais je n'ai jamais vraiment touché à ces instruments. J'écoutais la musique que mes parents écoutaient : variété française et musique traditionnelle suisse ; et, depuis l'adolescence, rock, pop et un peu de musique classique.

Comment es-tu arrivé aux musiciens qui ont influencé la pratique instrumentale qui est aujourd'hui la tienne ? C'est un long chemin... A l'âge de 14 ans, un prof d'accordéon m'a fait découvrir que l'on pouvait jouer de la musique classique avec cet instrument : des transcriptions de Bach, Mozart et aussi de la musique contemporaine ; cela a été une révélation pour moi. Jouer de la « vraie musique » a été un moyen de m'affirmer dans le milieu rural dans lequel j'ai grandi et où l'accordéon est vraiment réservé à la musique populaire. Tout en continuant de jouer dans  l'orchestre d'accordéons local et de me produire lors de fêtes et autres soirées dansantes avec un accordéon (MIDI !) pour gagner quelques sous, j'ai commencé à travailler plus sérieusement des pièces baroques et de musique contemporaine. Puis j'ai fait le concours d'entrée au Conservatoire à 19 ans et j'ai été pris. Faire des études de musique professionnelles n'a jamais été un but, c'est arrivé un peu par hasard car mon prof de l'époque m'y a poussé et que ça me plaisait de jouer, mais jamais je n'imaginais devenir musicien. La rencontre avec le monde de la musique classique a été un choc ; j'ai écouté des heures d'enregistrements et assisté à de nombreux concerts, déchiffré toutes sortes de partitions ; je n'avais aucune idée de cet univers-là, tout était à découvrir. Très vite, j'ai été attiré par la musique contemporaine et spécialement par la musique écrite pour accordéon ainsi que par les partitions graphiques, le théâtre musical, etc. En 1998, j'ai participé à une performance in situ dans une vieille fabrique, avec d'autres musiciens. Cette performance a été composée et mise en scène par Daniel Ott, un compositeur suisse vivant à Berlin. Cela a été une expérience déterminante pour la suite et m'a clairement orienté vers le théâtre musical : Mauricio Kagel, Dieter Schnebel, John Cage... Puis, au tout début des années 2000, j'ai commencé à réaliser mes propres compositions scéniques. En 2000-2002, la rencontre avec Ruedi Häusermann, musicien et metteur en scène suisse allemand a été très importante aussi. Il vient de la scène improvisée des années 1980 et a été un collaborateur très proche du metteur en scène Christoph Marthaler. Avec lui j'ai travaillé sur des dynamiques extrêmement précises quelquefois proches du silence, des situations scéniques et des déplacements réglés au millimètre ainsi que sur une musicalité et un rythme global intégrant sons, musique, texte et mouvements. Juste après j'ai également côtoyé Georges Aperghis et travaillé régulièrement avec lui pendant une année. Mon intérêt pour l'improvisation s'est développé en parallèle au théâtre musical, laissant peu à peu de côté toutes les musiques écrites et tout naturellement j'ai fait connaissance et ai collaboré avec les musiciens qui m'intéressaient. Un bref passage par la musique électronique (un set-up analogique) m'a donné l'occasion de travailler le son d'une autre façon à un moment où je me trouvais dans une impasse avec l'instrument et en conflit avec mon bagage de musicien classique. Cela aussi a été une expérience déterminante qui m'a permis de revenir à l'accordéon avec une vision complètement renouvelée de mon instrument. Au même moment, en 2006, la rencontre avec Urs Leimgruber a eu lieu et un peu plus tard, en 2008, j'ai rencontré Michel Doneda avec qui j'ai beaucoup joué et voyagé et avec qui je collabore encore aujourd'hui. Ces deux rencontres ont été déterminantes dans la formation de mon langage en tant qu’accordéoniste et improvisateur. Mon chemin a été une sorte de longue dérive partant des rengaines d'accordéon dans les fêtes campagnardes pour arriver à l'improvisation et aux musiques expérimentales ; musiques qui m'ont permis de vraiment m'approprier un instrument avec lequel j'ai toujours eu une relation d'amour / haine.



Saurais-tu mettre des mots sur ce que t’ont chacun apporté et Leimgruber et Doneda ? Urs Leimgruber m'a fait découvrir l'intérieur du son et la façon dont on peut le faire évoluer au travers d'infimes variations. Ce focus extrême m'a permis d'épurer le son de mon instrument, d'aller vers son essence en laissant de côté les gestes instrumentaux et autres traits typiques à l'accordéon. Michel Doneda, de son côté, m'a apporté la culture du silence et de l'espace, de la fragmentation et des dynamiques extrêmes. Et aussi celle d'un engagement du corps dans la musique ; non pas au travers d'un jeu hyper actif mais dans un ancrage fort et terrien. Et enfin, Michel m'a transmis le goût des voyages et des rencontres ainsi qu'une ouverture et un intérêt marqué pour les contextes traversés.

Avec Doneda, tu as aussi pu interroger un autre de tes intérêts : l’exploration de l’espace de jeu. C’est ce que donne à entendre le disque Le belvédère du rayon vert, que Guillaume Tarche a ici joliment décrit comme un « travail in situ des phénomènes vibratoires »… Tu parles d’ailleurs de cet intérêt dans le livre Quiet Novosibirsk, mais cette fois envisagé avec Gaudenz Badrutt Oui, la notion d'espace, dans le son et la musique mais aussi l'espace en tant que lieu du concert est très important dans ma pratique. J'ai certainement développé cela en premier lieu avec mon travail sur le théâtre musical dans lequel le corps et la présence sont primordiaux, puis avec le travail sur le son et sa projection dans l'espace ainsi que l'intégration intuitive des qualités de l'espace dans le jeu avec mes collaborations avec Doneda. Ces dernières années cet aspect s'est encore intensifié au travers de mon travail régulier avec des danseurs et des plasticiens. Le son, les corps, l'architecture et l'espace devenant des éléments structurants à part égale dans une performance. La réalisation de bandes-son pour le théâtre et la danse ainsi que le mixage du son m'ont également beaucoup permis de travailler le son dans l'espace. Aujourd'hui, en concert, j'utilise beaucoup de dynamiques extrêmes afin de créer des effets de profondeur ou de proximité avec le son de mon instrument. Couplé à une écoute globale et intégrative du contexte, cela permet de jouer de façon très connectée avec l'endroit ; chaque concert devenant en soi une performance in situ. Ce travail sur l'espace est fait de façon très intuitive et empirique, il demande une vraie ouverture mentale et physique au contexte. Bien plus que d’être « seulement » un travail sur le son, cette ouverture représente aussi pour moi une attitude par rapport à la vie et aux événements en général.



Je crois avoir ressenti l’influence de ton travail en lien avec le théâtre une fois sur scène, à l’occasion de cette improvisation que tu as donnée à Mulhouse avec Jacques Demierre et Axel Dörner… Tu adoptais parfois de grands mouvements qui pouvaient perturber l’équilibre de votre association.  Envisages-tu toute improvisation comme une performance, de musicien mais pourquoi pas aussi d’ « acteur » ? Je vois la pratique de l'improvisation comme un acte performatif intégrant de nombreux paramètres et éléments qui dépassent le jeu instrumental. Par contre, je ne la vois pas comme une performance d’acteur mais bien comme quelque chose de plus large. Il y a des corps en action avec différents niveaux d'activités liés à la production du son, tout comme il y a un espace, une acoustique et la présence du public. Quant à mes mouvements du corps, ils sont la résultante d'une certaine façon de produire du son, d'une envie de projeter le son de l'instrument – ce qui ne va pas forcément de soi avec l'accordéon. À l'autre extrême, je peux aussi devenir complètement immobile tout en produisant des sons très linéaires ; la concentration et la présence générée par le rapport son-corps-instrument seront ainsi complètement différentes. Ces extrêmes sont pour moi comme autant de possibilités de variations d’un langage afin d'avoir un spectre de jeu le plus étendu possible allant du silence au son projeté dans l'espace avec force. Pour revenir à mon influence issue du théâtre musicale, celle-ci a plutôt été de l'ordre de la découverte essentielle que tout peut devenir signifiant dans la musique et non pas seulement le jeu instrumental. Quand j'ai réalisé cela, ma façon d'approcher la musique, l'instrument, la scène, l'écoute, etc. a pris une toute autre direction et plein de portes se sont ouvertes, dont l’improvisation.

Dans un échange avec Jacques Demierre et Gaudenz Badrutt, que l’on peut lire dans Quiet Novosibirsk, tu dis justement : « Quoi que tu fasses, tu es toujours confronté à ta propre façon de jouer. » Les habitudes, les tics voire les trucs du musicien, sont-ils selon toi des handicaps ? Portes-tu un intérêt majeur au renouvellement de ton « langage », si ce n’est à celui de ta musique ? Je considère ma pratique comme quelques chose en évolution permanente ; qui s'enrichit constamment des rencontres avec de nouveaux musiciens comme du travail régulier avec d'autres, des échanges, expériences et découvertes en tous genres et ne provenant pas uniquement du domaine musical. Au départ, il y a une certaine vision de l'instrument, de la façon dont j'ai envie qu'il sonne et qu'il s'anime et il y a ensuite toutes ces influences qui font bouger cette base, voire qui la remettent parfois en question. J'aime les situations qui me poussent à aller ailleurs, à aller plus loin que ce que je ferais habituellement ;  j'aime aller là où ce n'est pas toujours confortable pour voir ce qui se passe et comment je m'en sors, comment je m'adapte ou quel aspects de mon langage se modifient au contact du contexte. Je ne pense pas que les « trucs » du musiciens soient des handicaps, du moment qu'ils restent des outils flexibles et qu'ils sont remis en question. Si ces « trucs » sont figés, alors là ça peut très vite devenir stérile et la musique va se vider de sa substance. Il me semble qu'il y a un équilibre constant à trouver entre ce qui est acquis et ce qui nous pousse à nos limites et à les dépasser. Il y a quelques années, j'avais un jeu très réduit, voir réductionniste. J'avais besoin de passer par cela à ce moment là pour faire sonner l'instrument autrement ainsi que pour expérimenter le silence. Puis des rencontres avec d'autres musiciens ainsi qu'une réflexion sur l'instrument et sur une façon de faire un peu dogmatique qui me semblait s'établir dans certaines scènes de la musique improvisée, m'ont amené à revenir à un jeu plus accordéonistique , soit plus dans le médium de l'instrument, les accords, voir presque à des traits mélodiques quelques fois. Je constate que mon langage s'est ainsi passablement modifié ces dernières années, sans pour autant changer fondamentalement. Je vois ces changements comme autant de variations qui enrichissent mon jeu. Un jeu actif et direct ne m'empêche pas de rester soudainement suspendu sur un filet de son très aigu et pianissimo, tel une onde sinusoïdale. Je ne me mets pas trop de limites stylistiques mais j'essaie de rester ouvert et d'être le plus honnête avec moi-même, quitte à aller certaines fois dans des impasses. J'aime les zones grises, les situations un peu instables là où les choses ne sont pas forcément clairement définies. Se mettre en danger, chercher, voire errer ou se perdre quelques fois, cela génère selon moi une énergie certaine et remet constamment les choses en question, rien n'est jamais acquis.

NN2015@Dimitris Mermigas

Les « trucs » dont je parle ne sont pas tous regrettables, certains peuvent par exemple être nécessaires à tel ou tel musicien pour aborder une improvisation moins « codifiée ». Mais ils peuvent aussi parfois nourrir et afficher une liberté fantoche – comme le disait Bacon de la peinture, on peut parfois avoir l’impression que la musique a été libérée mais que « personne ne sait quoi faire de cette liberté », impression que le grand nombre de documents publiés n’arrange pas. Comment envisages-tu l’objet-disque, toi qui es musicien et gères ton propre label ? Vois-tu chacun des enregistrements que tu publies comme un beau souvenir ou comme un document qui attesterait au moins un peu d’inédit dans ta manière de faire…  Je vois la publication d'enregistrements comme une façon de documenter régulièrement le travail et ses multiples variations, même si des fois je trouve cette masse de documents sonores qui a explosée ces dernières années un peu absurde... Quant à mon propre label, Flexion records, il est en stand-by pour le moment car je dois me concentrer sur mes activités plutôt que de produire celle des autres musiciens, l'énergie et le temps me manquant pour travailler pour les autres. Je publie donc de plus en plus de choses au travers de ma structure BRUIT avec laquelle j'organise un certain nombre de projets et tournées. Les publications peuvent être assez variées sous leurs formes mais elles sont toujours en rapport avec les activités organisées. Concerts, tournées, projets interdisciplinaires et publications, tout cela fait partie d'un tout.

Quand nous avons envisagé cette conversation, tu m’as dit que cela tombait assez bien car la dernière interview que tu avais donnée commençait à dater et que, depuis, « les choses avaient bougé ». Peux-tu me dire quelles sont ces choses, et comment tu ressens ce « bougement » ? Comment envisages-tu, aujourd’hui, la suite de ta pratique musicale ? Ce « bougement » correspond surtout aux diverses influences et rencontres de ces dernières années qui me font repenser ma relation à l'instrument et à ma pratique en général. Je suis de moins en moins intéressé par le fait de m'engager dans une seule et unique direction esthétique, comme j'ai pu le faire dans le passé. J'ai besoin de travailler de façon intégrative, d'élargir mon jeu et ma vision ; cela passe par des collaborations avec des musiciens et artistes d'autres provenances car je pense que les personnalités sont plus importantes que les différentes esthétiques que l'on aime bien catégoriser. Des rencontres avec des musiciens tels que Joke Lanz ou Ilan Manouach et des danseurs illustrent bien cette tendance. Je me pose aussi un certain nombre de questions quant à la scène dans laquelle j'évolue, ses limites, une forme d'épuisement par saturation et répétition de nombreuses choses identiques, voir même quelques fois une certaine complaisance de chacun dans son petit territoire. Quelle pertinence pour ces pratiques au sein d'une société plutôt que seulement au sein d'un petit cercle d'initiés où l'on se congratule régulièrement les uns les autres? Je me questionne aussi quant au système de subventions qui me permet de vivre en grande partie de ma musique et qui lui aussi à tendance à changer... Comment trouver sa place là-dedans ? Comment garder une pratique sur la durée sans faire de concessions et sans tomber dans la précarité ? Comment se renouveler et s'affirmer sans s'enfermer sur son propre univers ? Ma pratique et mon jeu changent aussi en fonction des questionnements et des changements que nous vivons actuellement aux niveaux sociaux, économiques et politiques. J'aime remettre les choses en question régulièrement tout en restant le plus possible ouvert ; je pense qu'il y a là une attitude générale qui me porte et me pousse en avant. J'envisage donc la suite de ma pratique musicale comme une chose en mouvement, transversale mais dont je ne sais pas où elle m'amène.

Jonas Kocher, propos recueillis en avril et mai 2016
Photos : droits réservés & Dimitris Mermigas

Guillaume Belhomme @ le son du grisli

26 juin 2012

7090, Jan Hage : Xenakis in het Orgelpark (Orgelpark, 2012)

xenakis 7090 hage xenakis in het orgelpark

Quel est celui qui joue l’ange, quel est celui qui joue Jacob, dans cette incroyable bataille de cuivres dont Linaïa-Agon a capturé les échos ? Cette composition de Xenakis, écrite en 1972, ouvre ce CD enregistré par l’organiste Jan Hage, le trio 7090 (Nora Mulder au piano, Koen Kaptijn au trombone et Bas Wieger au violon) et une section de cuivres (tuba, cor, trompettes et un dernier trombone) invitée à célébrer le compositeur français.

Ces instruments à vent tissent des relations intimes sur Linaïa-Agon : leur trajet mène tout droit au large, par un soir de grand vent. Gmeeoorh, pièce écrite deux ans plus tard, se sert des bourdons surprenants d'Hage dont les interférences avec les cuivres donnent naissance, dans de larges tubes, à des monstres de bruits variés. Entre ces deux pièces, une plus ancienne du nom d’Eonta met en valeur le jeu de Mulder : dans une autre optique, les cuivres se mettent en branle et entourent le piano, l’étouffent petit à petit avec un savoir-faire brouillon mais très efficace. C’est donc une autre histoire d’opposition qui nous est racontée ici : l’architecte Xenakis nous montrant comment, avec des morceaux de chaos, construire trois univers fantastiques.

Iannis Xenakis, 7090, Jon Hage : Xenakis in het Orgelpark (Orgelpark)
Edition : 2012.
CD : 01/ Linaia-Agon (1972) 02/ Eonta (1963) 03/ Gmeeoorh (1974)
Héctor Cabrero © Le son du grisli

1 août 2012

Evan Parker : De Motu

1 septembre 2012

Interview d'Anthony Pateras

anthony pateras interview le son du grisli

Peu de temps après avoir vu paraître aux Editions Mego Errors of the Human Body EST, le pianiste (d’origine) Anthony Pateras publie une rétrospective sobrement intitulée Selected Works 2002-2012. L’occasion pour lui d’en parler comme d’en dire à propos de Thymolphthalein ou encore du trio qui l’associait à Sean Baxter et David Brown.

... Encore enfants, mes parents ont émigré de Macédoine en Australie au début des années 1950. A Melbourne, toutes les communautés avaient coutume d’organiser des rencontres de danses et des pique-niques durant lesquels tous parlaient du « vieux pays ». A ces occasions, il y avait toujours de la musique. Ce dont je me souviens en particulier est d’un clarinettiste fabuleux mais dont le son était toujours très mauvais – il avait l’habitude de jouer faux, et puis il y avait trop de réverb, des larsens…  Ce qui donnait des danses macédoniennes complètement folles, bruyantes et qui crépitaient ! Les gens n’arrêtaient pas de danser en cercles, tandis que les autres enfants et moi essayions de briser ces cercles…

Quel a été l’instrument avec lequel tu t’es toi-même mis à la musique ? Ca a été le piano, que j’ai appris comme presque tous les enfants de banlieue à cette époque. Ca n’a pas été un choix, mais j’ai beaucoup aimé ça. J’ai commencé très jeune. Dès le début, mon apprentissage a été riche de musiques différentes – je me souviens avoir veillé souvent avec ma sœur pour regarder des clips, danser dans le salon sur David Bowie… Mais je jouais aussi du classique et j’écoutais les disques de folk de mes parents, qui venaient de Macédoine mais aussi de Bulgarie ou de Grèce. Ma mère appréciait aussi Nat King Cole – elle était obnubilée par la culture américaine des années 1950. Je regardait aussi beaucoup les Marx Brothers – Chico et Harpo ont été des influences précoces, dans The Big Store notamment. J’aimais aussi la façon dont la musique classique était utilisée dans les dessins-animés, comme dans The Cat Concerto de Tom & Jerry...



... Je suis arrivé au piano préparé parce qu’après quatorze années de musique classique, je n’en pouvais plus. Je jouais très bien le répertoire, mais je ne savais que faire de mes compétences dans un pays qui offrait peu de structures pour les représentations, la seule option restant d’enseigner à mon tour et de répéter le cycle. Je pense que la même chose est arrivée à beaucoup de musiciens « classique » qui ont un jour goûté à l’improvisation, à la préparation… On atteint le fond d’une impasse culturelle et il te faut trouver des solutions si tu tiens à rester musicien. Le piano préparé a été la mienne. Un de mes amis, violoncelliste, m’a conseillé de me rendre à LaTrobe, où se trouvait à cette époque le département de musique le plus avancé d’Australie : il comptait un studio de musique électronique, des classes d’improvisation, et les personnes qui enseignaient la composition étaient passionnantes… Aujourd’hui, il a fermé et ce genre d’endroit n’existe quasiment plus en Australie malheureusement. A LaTrobe, j’ai donc découvert des musiques importantes qui venaient d’Europe et des Etats-Unis, j’ai aussi beaucoup appris sur l’histoire de la musique expérimentale australienne – avec des gens comme Percy Grainger, Keith Humble, Felix Werder, et même Tristram Carey (qui est arrivé d’Angleterre au début des années 1970.

En relisant la chronique de Chasms, j’y trouve le nom de Ross Bolleter. Connaissais-tu ses activités ? La première fois que j’ai approché le travail de Ross, c’était à l’occasion de ma participation à Pannikin, un projet de Jon Rose qui se proposait, disons, d’évoquer une suite d’Australiens ayant une approche singulière de la musique. Sue Harding, par exemple, qui compose avec des imprimantes matricielles, ou encore, un type de l’Ouest qui pouvait à la fois chanter et siffler des fugues. Ross apparaissait sur la vidéo réalisée pour ce spectacle, et il me fallait improviser sur des images de lui en train de jouer d’un des pianos en ruines du sanctuaire. J’aime vraiment beaucoup ses disques.

Dans le livret qui accompagne Collected Works, tu parles notamment de Ligeti. Quels sont tes rapports avec les compositeurs de musique contemporaine ? Plus jeune, je jouais beaucoup ce genre de musique, alors, peut-être que quelques-unes de leurs manières de structurer les choses a eu un effet sur moi ; mais quand j’ai entendu pour la première fois Atmosphères, j’ai compris que l’orchestre pouvait être dirigé d’une tout autre façon. Ensuite, j’ai entendu de lui Volumina et Continuum qui m’ont fait comprendre que la vivacité pouvait transformer le son d’un instrument en quelque chose de totalement différent. Je pense qu’il a été une sorte de pont lorsque j’apprenais à m’ouvrir davantage aux propriétés de l’acoustique pour élaborer des textures sonores plus étranges… Pour ce qui est de mes influences, je dois ajouter qu’étant enfant, je jouais beaucoup aux jeux vidéo (Atari) chez mes voisins, qui possédaient beaucoup de disques de Jean-Michel Jarre. Nous jouions donc à Centipede au son d’Oxygene et Equinoxe. Je pense que cette façon physique et frénétique de jouer à ces jeux liée à la musique électronique a eu un effet non négligeable sur mon approche musicale.

T'es-tu intéressé aux synthétiseurs ? Oui, bien sûr. J’étais très jeune dans les années 1980, et quand les DX7s et ESQ1s sont apparu, un nouvel univers a ouvert ses portes. Un autre grand moment a été lorsque les musiques de jeux vidéo sont passé du mono au quatre pistes – je n’arrivais pas à croire qu’un ordinateur pouvait rendre des sons aussi sophistiqués (même si aujourd’hui je déteste l’inécoutable soupe pseudo-symphonique qui accompagne la plupart de ces jeux – vivent les bips !). J’ai toujours été très sensible au design sonore, notamment celui des films de science-fiction et des dessins-animés. La télévision australienne nous passait après l’école un épisode de Star Blazers, après quoi j’ai été obsédé par Tron, par exemple – les sons de Frank Serafine sont incroyables à entendre. L’architecture qui fait son lot d’un futur fantasmé, de vastes espaces, de vide, d’immeubles intergalactiques, de murmures mystérieux, j’adore tout ça… A l’heure où je te parle, j’ai THX1138 sur mon iPod, avec les interviews de Walter Murch, c’est incroyable… Mais c’est à LaTrobe que j’ai vraiment commencé à m’intéresser à la musique électronique ; c’est là aussi que j’ai entendu pour la première fois de la musique concrète… Maintenant, j’ai l’impression aujourd’hui que la musique électronique est devenue trop simple, qu’elle manque d’une discipline. L’électronique d’aujourd’hui me fait l’effet d’être trop nostalgique ou pas assez originale, parfois même les deux. Compte tenu de la façon dont internet a affecté les priorités créatives dans le sens où le réseau étouffe tout travail – je pense qu’il est besoin de s’opposer à ce qui se passe aujourd’hui avec des idées provenant d'une réalité physique bien établie. Nous pouvons utiliser des choses du passé, bien entendu, mais il est important pour les idées d’avoir un rapport étroit avec le moment présent. Le danger est celui de se complaire dans un fatras de représentations plutôt que d’être véritablement nous-mêmes. Le spectacle est une sinistre forme de contrôle, et beaucoup d’artistes se transforment facilement en professionnels du spectacle.  Maintenant, la chose la plus importante pour moi a été de voir Machine for Making Sense à l’Université de LaTrobe en 1997. Le concert était incroyable. C'est à partir de là que j’ai voulu mélanger musiques composée, improvisée et électroacoustique, et m’atteler à une musique qui serait la mienne propre. Je pense que Machine for Making Sense est le groupe le plus cool qui n’ait jamais existé.

Quelle distinction pratique fais-tu entre improvisation et composition ? L’une et l’autre révèlent-elles la même chose de tes vues musicales ? La différence entre composition et improvisation dépend vraiment du musicien. Je pense qu’il est possible d’improviser à un haut niveau d’intégrité compositionnelle tout autant qu’il est possible de composer avec une énergie égale à celle que l’on trouve dans l’improvisation, c’est d’ailleurs ce que j’essaye de faire. Est-ce que ça marche ? ça, je ne sais pas… en règle générale, je pense que les improvisateurs n’en savent pas assez sur la composition, et que les composeurs ignorent trop l’improvisation. L’une et l’autre demandent beaucoup de discipline et d’engagement. J’essaye de faire les deux du mieux que je peux, mais en ce moment j'approfondis surtout mes expériences d’improvisation avec des personnes qui ont su garder un sens du défi. Selon moi, par exemple, Pateras/Baxter/Brown en était arrivé à un point où ce que j’y entendais ne me surprenait plus du tout, et c’était un problème. Avec Thymolphthalein, nous travaillons à des structures fluides, mais qui ont aussi des desseins arrêtés. Rien de neuf, Earle Brown faisait ça il y a 60 ans, mais ce qui rend ce truc puissant c’est que nous pouvons réaliser des choses impossibles à faire en improvisation, tout en profitant de la vitalité de l’improvisation. Le caractère électroacoustique du projet apporte à la sonorité une certaine fraîcheur, tout comme le fait que tous les membres du groupe connaissent beaucoup de musiques différentes, ce qui multiplie les possibilités.

groupethym

Comment as-tu pensé Thymolphthalein ? Chaque année, la SWR organiste Total Meeting Music à l’occasion duquel ils proposent à des compositeurs de mettre sur pied un projet à mi-chemin entre jazz et musique contemporaine. C’est une sorte de concert de rêve dans le sens où tu choisis les membres d’un groupe avec lequel tu répètes une semaine durant dans un studio incroyable et qui donne ensuite trois concerts lors d’une tournée suivie par les gens de la radio, qui enregistrent le tout. L’un des plus célèbres projets de cette sorte est la rencontre entre Penderecki et Don Cherry au début des années 1970. Steve Lacy ou le Phantom Orchard ont aussi participé à cet événement. Donc, j’ai moi-même formé ce groupe, Thymolphthalein. C’était complètement fou, j’enseignais la composition à Perth à cette époque – l’idée qu’une radio allemande m’envoie en Europe, me demande de former mon propre groupe et de composer pour lui afin de diffuser le tout sur les ondes dépassait l’entendement. Alors, j’ai appelé Jérôme Noetinger, Clayton Thomas, Will Guthrie et Natasha Anderson, nous avons passé d’excellents moments et depuis nous continuons à jouer ensemble. A la fin, ça ne sonnait pas très jazz, mais en même temps j’ignore un peu la signification de ce terme, alors pas de surprise… Ce groupe est la raison pour laquelle je vis en Europe actuellement. A chaque fois que nous jouons, il se passe un truc terrible, alors qu’il est plutôt difficile de créer en quintette, d’obtenir à la fois de l’espace et de l’énergie sans se départir d’une certaine intégrité formelle.

On ne retrouve pas d’enregistrement du groupe dans tes Selected Works. Comment s’est fait le choix de son contenu ? Mon objectif était plus ou moins de clarifier ce que je fais – de dire que j’improvise et compose avec la même envie, et pour des instruments très différents. J’ai sorti quelques bons disques, des choses qui n’arrivent qu’une fois, et je voulais les partager avec toute personne qui pourraient y trouver quelque chose. Je pense aussi qu’il est intéressant de réunir les pièces pour orchestres et les pièces pour percussions à côtés d’improvisations au piano et à l’orgue : pour y déceler les liens qui les rapprochent, qui sait ?

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Anthony Pateras, propos recueillis en juillet 2012.
Photos : Sabina Maselli & Aaron Chua
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

17 octobre 2012

Empan : Entraxes inégaux / Tankj : Craquer les liants (Trace, 2012)

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Deux rééditions d’un coup, avec des « bonux traques » ! A chaque fois, c’est Jean-Noël Cognard en 2009 avec un trompettiste (entre autres) : Jac Berrocal dans Empan (dont je ne dirais malheureusement pas plus de bien ici que jadis) et avec Serge Adam dans Tankj (qui me permet de ne pas toujours dire de mal)…

Nouvelle chronique pour d'Entraxes inégaux ? Allez !… Une trompette milesienne qui roule sur des jeux de mots, un free rock prêt-à-porter, un synthé cracheur de sons cabots-ringards, bref le retour des années 80 organisé dans ta maison alors que tu n’avais rien demandé. De toute façon, si vous (tu) faîtes l’acquisition de la réédition Tankj, vous pourrez gratuitement jeter une oreille sur la chose. Une musique de cauchemar qui fait mal…

Dans Craquer les liants de Tankj, il y a un quartette qui fournit un bien (plus) bel effort de musique électroacoustique, libre, délurée, concrète... Les percussions peuvent lui donner des tons (que l’on dira) marocains, la contrebasse de Titus Oppmann sortir des aigus que les effets-borborygmes de Jérôme Noetinger accueilleront avec félicité, la batterie mener la danse d’une troupe de zombies… Une belle musique de cauchemar qui fait du bien !  

Empan : Entraxes inégaux / Tankj : Craquer les liants (Trace)
Enregistrements : 2009. Réédition : 2012.
2 CD : CD1 : Empan : Entraxes inégaux – CD2 : Tankj : Craquer les liants
Pierre Cécile © Le son du grisli

26 décembre 2012

Jonas Kocher : Duos 2011 (Flexion, 2012) / Udarnik (L'innomable, 2011)

jonas kocher duos 2011

Avant Jonas Kocher, l’accordéon a connu de grands iconoclastes (nos premières pensées vont bien sûr à Pauline Oliveros). Cela aurait pu être d’autant plus dur pour le Suisse de faire entendre sa voix. Or, en quelques disques, il a réussi à nous familiariser avec son langage.

Après un solo du nom de Solo, c’est une compilation de duos (et d’un trio) enregistrés en 2011 du nom de Duos 2011 qu’autoproduit aujourd’hui Kocher. Hans Koch (clarinette basse) & Patricia Bosshard (violon), Christian Wolfarth (cymbales), Gaudenz Badrutt (electronics), Urs Leimgruber (saxophone), Christoph Schiller (épinette) et Christian Müller (clarinette contrebasse) sont les amis qui l’accompagnent sur ce CD. Les échanges comme au coin du feu sont différents selon la couleur des flammes.

Les plus beaux moments sont les flamboyances avec Wolfarth et Badrutt (Kocher tire sur ses aigus comme s’il cherchait à produire des sons électroniques), Leimgruber et Müller (Kocher souffle des graves qui équilibrent sa conversation avec ses partenaires). Soulignons aussi le beau travail de réalisation (et le master de Giuseppe Ielasi) : l’écoute se fait d’une traite sans qu’on y décèle le moindre accroc. Soufflant…

EN ECOUTE >>> Schiller / Kocher

Jonas Kocher : Duos 2011 (Flexion)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CDR : Duos 2011
Héctor Cabrero © Le son du grisli

udarnik

Jonas Kocher grogne au début de cette improvisation de 2010 avec Michel Doneda (saxophone soprano), Tao G. Vrhovec Sambolec (computer) et Tomaž Grom (superbe contrebasse). Les instruments sont différents mais leur mélange se fait naturellement et malgré les éructations, les grognements, les hurlements et les chocs sonores d’autres espèces encore, Udarnik ne parvient qu’à faire l’admiration de l’auditeur. Epoustouflant…

Michel Doneda, Jonas Kocher, Tao G. Vrhovec Sambolec, Tomaž Grom: Udarnik (Zavod Sploh/ L'Innomable, 2011)
Enregistrement : 2010. Edition : 2011.
CD : 01/ Udarnik 1 02/ Udarnik 2 03/ Udarnik 3 04/ Udarnik 4 05/ Konstrukt
Héctor Cabrero © Le son du grisli

5 octobre 2013

Fragment Factory Expéditives : Alice Kemp, Schimpfluch-Gruppe, Aaron Dilloway, Tom Smith, Philip Marshall

fragment factory expéditives

alice kempAlice Kemp : Decay and Persistence (CDR, 2013)
Réinterprétation par son auteure d’une bande-son créée pour deux performances de Weeks & Whitford, Decay and Persistence est maintenant un voyage à faire sur CD et, même, dans l’oreille d’Alice Kemp (Germseed) : trouver-là, rendus avec une précision remarquable, coups de tonnerre, tic-tac, souffles, bois qui craquent, et peut-être aussi le battement d’un cœur. Au bout du voyage, applaudir à un théâtre concret aux effets ravissants.

EN ECOUTE >>> Live-Aktion 28.04.2012, Tokyo

nigredo

Schimpfluch-Gruppe : Nigredo (K7, 2013)
Un autre bois (on l’imagine), et sur cassette, crépite sur Nigredo. C’est que Rudolf Eb.Er et Dave Phillips y ont marché, en route pour Tokyo où ils donnèrent un concert « préparé » sous le nom de Schimpfluch-Gruppe. Devant l’assistance, un souffle fut transformé en râle, ce râle en ombre épaisse et inquiétante, cette ombre en chimère prisonnière d’une cellule de béton gris. Dans un bruit assourdissant de métal (des chaînes, peut-être), ce sera la libération. En face B, un canal chacun, Eb.Er et Phillips exposent le matériau qu’ils composèrent indépendamment pour leur rencontre : ni chimère, ni béton, ni métal, mais des ombres encore.

EN ECOUTE >>> Decay and Persistance

aaron dilloway tom smith

Aaron Dilloway, Tom Smith : Allein Zu Zweit (K7, 2013)
C’est un autre concert passé sur cassette : celui, donné par Aaron Dilloway (Wolf Eyes, The Nevari Butchers) et Tom Smith (To Live and Shave in L.A., Ohne) à Hambourg le 22 juin 2012 – quelques jours plus tôt, le duo s’était produit à Hanovre, ce dont témoigne Impeccable Transparencies, un disque double produit par Smith sur son Karl Schmidt Verlag. Seul, Alloway lance une course le long de laquelle il butera souvent : voilà la cause des barrissements, plaintes et déferlantes, dont il fait son miel. Avec Smith, le voici occupé à confectionner une boucle sur laquelle déposer un noise qui pourra quelquefois pêcher par emportement lyrique.

EN ECOUTE >>> Allein / Zu Zweit

philipp marshall

Philip Marshall : Passive Aggressive (K7, 2013)
Deux ans après avoir publié Casse-tête sur Tapeworm, label à cassettes qu’il dirige, Philip Marshall voit paraître Passive Agressive sur Fragment Factory. C’est une autre bande à dérouler dans laquelle sont contenus des aigus tenaces que gonflent les parasites qu’ils portent en eux et même arborent, un grave aux obsessions multiples et qui danse sous leurs effets, un doigt de saturations, enfin, pour finir de changer la cassette dont on parle en étonnante malle à contrastes.

EN ECOUTE >>> Passive

fragment factory

11 octobre 2013

Chris McGregor's Brotherhood of Breath : Procession (Ogun, 2013)

Chris McGregor Brotherhood of Breath Procession

Plus besoin de télécharger sous MP3 pourri – qui plus est avec moult craquements – le Procession du Brotherhood of Breath sur quelque blog douteux (ne faites pas les innocents, vous téléchargez autant que moi !) : Ogun vient de rééditer la galette sur CD (on y trouve quelques inédits-bonus mais l’intégralité du concert reste à venir).

Cela se passait à la Halle aux grains de Toulouse le 10 mai 1977 et les riffs de la confrérie des vents étaient aussi hauts que le Makheka et le Kinder Scout réunis. Il y avait Evan « Trane » Parker, l’insolent Mike Osborne, le conteur céleste Dudu Pukwana, l’oublié Bruce Grant surfant avec sa flute sur le très grand mascaret du BoB, les inflammables Harry Beckett et Mark Charig, le pyromane Radu Malfatti (c’était avant son extinction de souffle), les stellaires Johnny Dyani et Harry Miller, le maestro des rythmes Louis Moholo-Moholo sans oublier évidemment la légèreté de l’ange Chris McGregor. Alors à quoi bon commenter la joie ressentie pour tous ici ? La joie ne se consigne pas : elle se partage et se clame haut et fort. Faut-il encore insister ?

Brotherhood of Breath : Procession – Live in Toulouse (Ogun / Orkhêstra International)
Enregistrement : 10 mai 1977. Réédition : 2013.  
CD : 01/ You Ain’t Gonna Know Me ‘Cos You Think You Know Me 02/ Sunrise on the Sun 03/ Sonia 04/ Kwhalo 05/ TBS 06/ Andromeda
Luc Bouquet © Le son du grisli

12 novembre 2013

Ears On / Socks Off (Barefoot, 2013)

ears on socks off

Riche idée qu’a eue le Copenhagen Jazz Festival de donner la parole à quelques-uns des francs tireurs du label Barefoot. C’est ainsi que dix-huit concerts mêlant groupes existants et groupes formés à cette occasion se succédèrent l'année dernière sur la scène du Christianshavns Beboerhis.

Moins bonne idée pour le chroniqueur que de rendre compte des neufs combos choisis illustrant ce double CD, les extraits musicaux ne dépassant pas les dix minutes pour la plupart. On se bornera donc ici à une simple – mais alléchante – énumération de quelques-uns des moments forts de ces soirées. Donc : l’inquiétude larvée d'Her Majesty’s Ship avec un saxophoniste (Sture Ericson) habile en harmonique ; l’étrangeté électrique de Pistol Nr.9 ; les roulis, chocs et autres grincements du trompettiste Tobias Wilkund ; le duo crissant et dissonant du pianiste Morten Pedersen et du violoncelliste Thommy Andersson ; les miaulements écarlates de la chanteuse Sofia Jernberg ; l’irrévérence salivaire des saxophonistes Maria Faust et Luidas Mockunas et le trio incendiaire de Lars Greve (saxophones), Peter Friis Nielsen (basse électrique), Håkon Berre (batterie). Mais c’est le trio Angel (Stephan Sieben, Adam PultzHåkon Berre) augmenté du saxophoniste Luidas Mockunas qui casse la baraque : improvisation fiévreuse, admirable progression du crescendo, gargouillis de sax – avant explosion finale –, ce trio mérite un très large détour.

Ears On : Socks Off (Barefoot Records)
Enregistrement : 2012. Edition : 2013.
2 CD : CD1 : 01/ Vestibulum 02/ Auricula 03/ Tuba Eustachii 04/ Malleus – CD2 : 01/ Fenestra Ovalis  02/ Modiolus 03/ Cerumen Auris 04/ Incus 05/ Capitulum Mallei
Luc Bouquet © Le son du grisli

12 février 2013

Suffer/Enjoy (Antifrost, 2002)

suffer enjoy antifrost

Ca y est, cette fois, on a franchi la ligne rouge. Et derrière, c’est le noir, si l’on en croit les premières secondes du premier morceau de cette compilation. On le doit à Francisco López : grave, insidieux, perturbant !

Comme notre vision commence à se faire à l’obscurité, on distingue des ombres (PG-13, Zbignew Karkowski, Coti, Utah Kawasaki, ILIOS, AS11, Philip Samartzis, Ami Yoshida, Jason Kahn et Kim Cascone). Toutes ont quelque chose à nous murmurer à l’oreille (Antifrost, le label qui a commandé ces travaux compilés aux artistes, a limité leur fréquence à 200 herz). Chaque plage nous transmet une chose ou une autre : la tremblote de Karkowski, l’ambient lo-fi de Coti, les crépitements de Samartzis, les sifflotements de Yoshida, et même l’effacement tonal de Kahn et Cascone, tout concourt à nous surprendre dans des contrées obscures où l’on tâtonne à l’ouïe. Imparable…

Collectif : Suffer/Enjoy (Antifrost)
Edition : 2002.
CD : Suffer/Enjoy
Pierre Cécile © Le son du grisli

5 décembre 2014

Luc Ferrari : Almost Nothing With... (Errant Bodies, 2013) / Contes Sentimentaux (Shiiin, 2013) / Tautologos III (PiedNu, 2014)

luc ferrari almost noghting with luc ferrari contes sentimentaux

Deux jours entiers, c’est presque rien. Deux jours entiers, avec Luc Ferrari (1929-2005), c’est presque presque rien. Un livre et deux CD. Sur deux jours, c’est beaucoup quand même, vous l’admettrez.  

Vous, Jacqueline Caux, qui signez Almost Nothing with Luc Ferrari aux éditions Errant Bodies. Dommage qu’il faille, pour un Espagnol, passer par l’anglais pour parler en français de ce livre tiré d’un film. Un livre d’entretiens (avec vous, François Delalande, Evelyne Gayou, Daniel Teruggi) et d’autobiographies imaginaires auquel le marque-page cousu m’a renvoyé sans cesse pendant ces deux jours. Parfois j’entends « petite symphonie intuitive pour un paysage de printemps » ou « c’est sûr, ça s’appelle maintenant les contes sentimentaux », alors que je lis. Les mots du disque et les mots du livre s’entrechoquent. Sous mon nez, toute la vie de Ferrari (Olivier Messiaen, Pierre Schaeffer et Pierre Henry…), tout son œuvre (parfois expliqué, comme sa Suite pour piano), tous ses souvenirs (ses demeures et ses voyages, son humour, ses recherches sonores, etc.), tout son amour de la contradiction, et ses rapports au théâtre, à l’installation, à la radio...

La radio, justement. Vous, Luc Ferrari, la radio. Ces Contes sentimentaux que le label Shiiin a compilé sur quatre CD, réfléchis pour la radio et réfléchissant la radio. Posant la question « qu’est-ce qu’une pièce sonore si elle doit passer par la radio ? »  dans une série avec un vrai générique (minimal piano ouvert) et des codes flous. Avec Brunhild, vous jouez pour la radio, à vous parler, à vous entendre, à vous souvenir. En français, en allemand, la version originale, la traduction pour une même poésie du concret, de la mémoire et de l’autofiction. C’est intéressant et c’est long aussi et parfois je retourne au livre où je collecte des informations sur comment composer avec la chance, l’anecdotique, le presque rien et le quasiment tout en fait. Les programmes radiophoniques, enregistrés pour la SWF dès la fin des années 80 sont des témoignages et des field recordings comme on dit maintenant. Ce sont aussi un concret en déclin, un monde qui disparaît (de mer, de terre, de fermes, de paysans heureux qui témoignent une dernière fois avant que leurs fils ne se plaignent pour toujours, de musiciens de la Place des Abbesses et de « vies minuscules » des Corbières…). Un monde qui disparaît et un autre qui le remplace, un monde de confusions. La sieste méridienne fait que l’on confond l’objectif et le subjectif, le réel (vous dîtes, Luc, « l’enregistrement c’est ma manière à moi de photographier ») et le rêve, la vie et l’imagination. Votre vie, décortiquée et recomposée, mêlée à la mienne, pendant deux jours...

Je veux bien réécrire que deux jours entiers, avec Luc Ferrari, c’est presque presque rien. Or presque presque rien, de nos jours, c’est déjà ça de gagné. Et avec Luc Ferrari, ce sont même deux jours (sur deux) de gagnés.



Jacqueline Caux : Almost Nothing With Luc Ferrari (Errant Bodies / Les Presses du Réel)
Edition : 2013.
Livre (anglais) : Almost Nothing with Luc Ferrari

Brunhild & Luc Ferrari : Contes sentimentaux (Shiiin / Metamkine)
Edition : 2013.
4 CD : Contes sentimentaux
Héctor Cabrero © Le son du grisli

luc ferrari tautologos iii havresac

Effacée l’électroacoustique improvisée et surtout conventionnelle d’Havresac (collaboration de Brunhild Ferrari et GOL), ce disque de la collection PiedNu (ESAHaR) enferme Tautologos III (1969) dans sa récente interprétation par Brunhild Ferrari (voix), Jean-Marcel Busson (électronique, charango), Frédéric Rebotier (voix, clarinette, objets) et Ravi Shardja (basse, mandoline électrique, flûte traversière, sanza). Déséquilibré, le discours sonore semble poser la question de… l’appropriation par d'autres d'un langage personnel. La mélancolie et l’ironie peuvent-ils en effet être transmises du compositeur à l’interprète, mû discoureur ? Difficile de jouer la distance, d’autant que la longueur de cette symphonie de mouvements frénétiques n’est pas faite pour aider.  

Luc Ferrari : Tautologos III, Havresac (ESAHaR / Metamkine)
Enregistrement : 2012. Edition : 2014.
CD : 01/ Tautologos III (1969) 02/ Havresac (1969)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

19 octobre 2016

Jac Berrocal, Vincent Epplay & Jean-Noël Cognard à Nantes, le 14 octobre 2016

jac berrocal vincent epplay jean-noël cognard

A Nantes, la neuvième édition du festival de création radiophonique Sonor, organisé par Jet FM, offrait une carte blanche à Revue & Corrigée (dont l’aimable rédaction du son du grisli vous conseille la lecture, en commençant par le N°108) : le 14 octobre, dans la salle Micro de Stéréolux, ce furent DAN/GO (Barbara Dang à l’épinette et Raphaël Godeau à la mandoline) puis Fassbinder (autre duo, et convaincant, composé de Golem Mecanique & Poule Poutre). Après quoi, Jac Berrocal passait une tête, et même trois puisque l’accompagnaient sur scène Vincent Epplay et Jean-Noël Cognard.

Ce n’était donc pas Chico Hamilton qui excita le personnage à coups de fûts et de clochettes : « C’est l’heure ! Jac Berrocal… » annonce Cognard sur cet extrait de film (ouverture de Rock'n Roll Station) dont le noir & blanc s’est substitué aux couleurs fauves de la prestation. A genoux entre un « ambianceur » inventif et un batteur facétieux, Berrocal s’exprime dans un patois – à la manière des anciens curés de villages – peu commun, fait de bribes d’Artaud et de mots mangés crus, de souffles portés par l’écho, de signes insensés et de sourires entendus. Si la messe est noire, elle est aussi amusée – le poète qu’il est marrie dans un même geste et un même son et la nouvelle provocation et le dernier espoir. Quant au concert, il fut simplement flamboyant – voilà pour le rouge –, au sortir duquel Jac Berrocal, chapeau sur l'oeil, tente le coup : « Allez, on part faire l’Olympia ! » Faut-il craindre pour le monument historique ?

Guillaume Belhomme © Le son du grisli
Vidéos : KGB070272

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11 novembre 2013

Interview de Romain Perrot (Vomir, Roro Perrot)

interview de romain perrot vomir roro perrot

Depuis sa publication, cette interview a été publiée dans un livre : Agitation Frite de Philippe Robert >>> éditions Lenka lente.

Vomir, projet français, a fini par devenir un incontournable du Harsh Noise Wall, véritable mur du son bruitiste réduit au strict essentiel que Romain Perrot, son créateur, a défini dans un Manifeste reproduit ci-dessous. Aux côtés de Vomir : Werewolf Jerusalemen et The Rita constituent deux des piliers de cette scène extrême dont la rigueur n’est pas sans rappeler la Trilogie de la Mort d’Eliane Radigue. Sous le pseudo de Roro Perrot, c’est d’une autre histoire dont il s’agit, complémentaire néanmoins, celle d’une no wave folk proche des expérimentations sonores de Jean Dubuffet. Et si vous désirez vous faire une idée après avoir lu cet entretien alors qu’auparavant vous ne connaissiez rien de ce qu’on nomme HNW ou « folk à chier » (dénomination provisoire ?), voici deux pistes d’écoute : Vomir, Les Escaliers de la cave et Roro Perrot, Musique vaurienne, tous deux sur le label de leur auteur, Décimation Sociale.

Tu n'as probablement pas commencé par écouter du noise... C'est quoi les premiers disques que tu achètes ? Du rock ? Oui…En fait les Pink Floyd et Beatles qui manquaient à la collection de mes parents. Et ceci vers 10-11ans je pense. A la maison, on écoutait alors beaucoup de musique sixties, le Top 50 des 45-tours, et quelques classiques genre Diana Ross et Fleetwood Mac. C'est vraiment le Floyd, qui, le premier, me plongea complètement dans une écoute attentive… sans compter que leurs disques passaient en boucle. J'étais aussi à fond dans Prince. Lors d'un voyage en Angleterre vers 12-13 ans, c'est la découverte du rap et du metal. A partir de là j'achète pas mal de disques, et je prends une grosse claque avec le catalogue SST.

Quels sont les groupes du label SST qui retiennent alors ton attention ? Et pourquoi ? Une certaine idée de l'énergie, de l'engagement peut-être ? Black Flag en premier, parce que c'était le plus facile à trouver... J'allais chez deux petits disquaires de quartier à ce moment-là car je ne connaissais pas encore les officines spécialisées. Il y avait aussi Champs Disques qui était super... Je lisais beaucoup de comics que je trouvais chez Album, rue Dante à Paris : les vendeurs n'écoutaient que du punk, j'ai découvert plein de trucs là-bas. Après Black Flag, ç'a a été les Minutemen, puis Sonic Youth. Je n'ai découvert d'autres trucs que beaucoup plus tard. J'adorais le son de ces disques, et, entre Pink Floyd, Black Flag et Run-D.M.C., j'avais trouvé un bon mix. Je ne sais pas si je parlerais d'engagement ou d'énergie à propos des disques SST, plutôt de sincérité je dirais, également de manière d'envisager un album globalement, d'attention portée aux pochettes.

Tu veux dire que l'idée d'album-concept t'interpelle déjà ? Meddle, Raising Hell et Damaged, quelque part, même combat ? Oui, exactement. En fait l'idée d’album-concept m’explose à la gueule dès huit / neuf ans, quand je découvre The Wall. Depuis, quand j’écoute un disque, j’ai beaucoup de mal à n’en écouter qu’un extrait ou sélectionner le single. Je crois qu’un album est un tout, c’est ce que j'ai retrouvé ensuite dans la musique indé, puis, bien sûr, expérimentale...

Tu parlais de Sonic Youth. Est-ce que chez eux, la notion d'expérimentation, les accordages spécifiques, la quasi préparation des guitares attaquées de manière singulière, héritage du piano préparé de Cage, comme de Glenn Branca, ça te parle, ou bien est-ce seulement leur côté indé qui te séduit à l'époque ? Ah, mais c’est principalement ça, qui, petit à petit, me fait passer de Suicidal Tendencies, les productions Dischord, etc., à des choses beaucoup plus bruitistes. Quand le Virgin ouvre en 1988 sur les Champs-Elysées, c’est un magasin de disque incroyable avec des vendeurs ultra-pointus : en fait c’est là que je vais découvrir énormément de choses... car je ne connaîtrais Bimbo Tower, U-Bahn, les Instants Chavirés, etc., que bien plus tard ! Vers 1995 en fait… Quand je découvre Throbbing Gristle, l'axe John Zorn / Painkiller / Naked City, l’indus, ça me parle tout de suite. C’est aussi au Virgin que je trouve mes premiers Merzbow ; et puis surtout Keiji Haino, en import ultra-cher : c’est après l'avoir écouté que j’achète une guitare et un ampli, quelques jours après ! Sonic Youth, oui, par leurs accordages, leurs attaques, leurs improvisations noise, m’ont permis de découvrir en fait beaucoup de choses…Et, entre Pink Floyd (première époque) et Sonic Youth, il n’y a pas beaucoup de différences : j’exagère à peine, en tous cas, l'un s'inscrit dans la continuité de l'autre…

Avec Throbbing Gristle entre autres, pour ce qui est de l'indus, comme sur Metal Machine Music de Lou Reed, guitares et amplis sont utilisés comme des générateurs de sons-bruits. Toi, avec ta guitare et ton ampli acquis peu de temps après la découverte de Keiji Haino, tu fais quoi ? Quelque chose d'assez proche du rock, même bruitiste, dans la tradition d'un Dead C par exemple ? Ou bien déjà tu barres ailleurs ? Dès que j’ai une guitare et un ampli, je ne fais que du harsh noise, du free noise... enfin tu vois le genre... Je n’ai jamais pris de cours, jamais appris à accorder la guitare, jamais appris le moindre accord. De toute façon, j’ai une oreille musicale particulièrement défaillante et aucun talent pour les instruments de musique. Keiji Haino a représenté la libération pour moi. Avec ma guitare et mon ampli, je ne fais donc rien de rock, uniquement un max de boucan. Dans l’instrument et le bruit, je découvre vraiment le lâcher prise. Car quand j’ai écouté Merzbow ou Keiji Haino pour la première fois, c’est vraiment dans les tripes que je l’ai ressenti : ça m’a bougé profondément.

Est-ce que tu as écouté du folk ou de la musique minimale à l’époque : des choses à la guitare acoustique par exemple, ou bien encore Eliane Radigue ? Des écoutes parallèles en quelque sorte, et d'un genre différent, même si elles nous ramènent aussi à l'immersion que tu découvres, en fin de compte, avec Pink Floyd... Non non, à l’époque je ne connais rien à tout cela. C’est quand je découvre l’émission Songs of Praise sur Aligre FM que ma culture musicale « commence » et s’intensifie. Je vais assister à l’émission en direct tous les lundis soirs, parfois en tenue militaire car je fais mon service au Cinéma des Armées, fort d’Ivry. La gueule qu’ils faisaient, ah ah ah ! Et quand Franq ouvre Bimbo Tower en 1996, je suis client tout de suite… J’ai fini par faire partie de l’émission de Franq entre 1999 et 2005. L’émission, les zines, U-Bahn, Rough Trade et Bimbo Tower, je découvre beaucoup beaucoup de choses : minimalisme, drone, musique improvisée, et du harsh noise, du harsh noise, du harsh noise…

Service militaire au Cinéma des Armées ? Tu as une formation audiovisuelle particulière ?Oui, j’ai fait une école de cinéma après une année calamiteuse en droit à Assas : entre les fachos et les rouges, l'ambiance était atroce. Donc, après Cinéma des Armées, j’ai bossé dans l’audiovisuel et le cinéma pas mal de temps (en tant qu'assistant réalisateur) avant de monter une boîte de prod'. Mais je n’étais vraiment pas à ma place dans ce monde-là, donc je l’ai quitté...

Pour en revenir au noise, Masami Akita confie que s'il lui consacre sa vie, c'est qu'en matière de musique, il ne se serait pas vu faire quoique ce soit d'autre. Il n'a aucune prédisposition à écrire des mélodies, dit-il. Je présume que tu te retrouves dans ces propos. Oui, à fond. J’ai rencontré Masami Akita dans le cadre d'une interview pour l'émission Songs of Praise justement. Je lui avais posé une question qui l’avait interloqué : son bruit représentait-il au final un chant d’amour ? Sa réponse a été : oui ! Lui comme moi, nous ne pouvons nous exprimer autrement.

Je comprends : «On ne jouit que dans un brouhaha éternel » écrivait Kierkegaard. Ou bien encore Nietzsche : « Il faut beaucoup de chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse. » Ce qui est agressif pour les uns est musical pour d’autres et vice-versa dit Masami Akita. Pour lui le bruit relève d’une expérience pré-linguistique. Il dit aussi que c’est certainement l’un des langages les plus profondément ancrés dans l’inconscient. J’imagine que tu es d’accord avec ça ? Oui oui ! Comme je te le disais, quand j’ai écouté Keiji Haino, cela a été une véritable épiphanie pour moi... C'est vraiment un truc qui m’a remué, sans passer par la case conscience / analyse...

vomir petit

Je crois savoir que tu apprécies beaucoup le travail de The Haters, lui-même fondé sur l'idée d'entropie : à savoir que ce qui motive The Haters, c'est l'idée de destruction, mais pas en signe de protestation comme on peut le croire quand on ne connaît pas vraiment ce qui se rattache au noise, mais juste pour l'énergie qui se dégage de toute destruction. Plusieurs points me semblent essentiels chez The Haters, et j'ai l'impression d'y retrouver ton approche au sein de Vomir. D'abord, en situation de « concert », chez eux, l'idée de ne pas distraire l'attention est très forte, comme si un «concert-performance », à la Prurient par exemple, diluait la concentration de l'auditeur par un aspect visuel finalement anecdotique. The Haters me paraît s'inscrire contre ça. Et toi aussi, avec cette idée également très forte de jouer la tête dans un sac plastique et d'inviter le public à en faire de même : tu peux en dire plus, sur cette immersion / claustration ? Oui, The Haters est une référence ultra-importante dans ma construction. Et tu as tout à fait raison de parler de «contre-performance ». La façon même de faire de The Haters, cette contre-performance/anti-art, cette ATTENTE dans la destruction, un geste et puis plus rien, cela a incarné une attitude très influente. Selon moi l’immersion dans le son vient d’une espèce de mélange entre le minimalisme/drone américain et le son harsh noise qui résonne tant en moi. Cette immersion, avant tout, elle me fait du bien, je suis heureux dedans. C’est un son qui me détend, m’apaise, m’interpelle. Quand on m’a demandé de faire des live de Vomir, je voulais trouver un moyen de capter le public dans le son, de finalement le ramener dans un vrai concert de bruit. Rappelle-toi 2006/2007 : une nouvelle vague harsh noise américaine s’est développée, avec de super disques, mais aussi un côté festif et macho. Les vidéos et les photos de concert montraient un public de gros machos lourdos, bière en main, poing levé, genre « C’est la fête, yeah ! » On aurait dit des ambiances de concerts de punk-ska-emo-pop... Et ça m’a beaucoup insupporté, je dois le dire, mais je n’étais pas le seul… Non pas qu’un concert de noise doive s’écouter respectueusement, en silence. Non pas que l’on ne puisse pas crier ou s’exprimer ou baiser pendant un concert. Mais juste que cette attitude festive s’est entichée d’un certain sentiment consistant à croire que le harsh noise puisse être une nouvelle mode, et que celle-ci puisse offrir de devenir une star. Heureusement, très vite, nombre des nouveaux groupes ont cessé d’exister, tandis que la plupart des autres sont partis dans les musiques électroniques en pensant y faire plus de business. Bref, je voulais me démarquer de ceci. Trouver quelque chose de différent, proposer une nouvelle approche. Surtout que dans un concert de harsh noise, tout se ressemble un peu, chacun derrière son matos, et puis voilà… Petit à petit, tout s’est mis en place. Les sacs poubelles, pas chers, facile à distribuer, leur rapport à la consommation, leur second degré par rapport au nom Vomir. Le fait de diffuser le son, de ne pas avoir de matériel, de rester absolument statique. Et ainsi, de manifester pour une claustration dans le son. De vraiment écouter du bruit. De s’y plonger. D’y trouver quelque chose. De par son statisme, d’y créer ses propres sons, et également finir par l’oublier. S’égarer en soi, dans ses pensées.

Personnellement, j’envisage la musique dite noise comme psychédélique. Elle m’ouvre des portes, elle entretient un rapport privilégié avec les états de conscience modifiés, sans que ce soit forcément lié aux drogues d’ailleurs. Elle a clairement un rapport très dense à l’écoute et à l’immersion. Elle m’apaise moi aussi. Pendant des lustres, j’en ai écouté, tard le soir, au lit, à un volume assez bas comme je l’aurais fait avec de l’ambient, avant de m’endormir. Ceci fonctionne très bien, et encore mieux avec le Harsh Noise Wall, en raison d’une certaine linéarité vraisemblablement. On associe souvent le noise à une musique militante, critique à l’égard de la société du spectacle, tout ce discours situationniste qu’on greffe dessus. C’est pas faux, mais ce n’est pas que ça. On a aussi parlé de souffrance, d’esthétique de la souffrance…Sauf que je ne souffre pas quand j’écoute du noise, et quel qu’il soit, car le noise, qui plus est, c’est varié. Ce discours me paraît plus adapté à l’indus qu’au noise, en ce qui concerne l’engagement politique. Pour l’esthétique de la souffrance, je me demande si les pochettes elles-mêmes n’ont pas induit une certaine perception univoque finalement, et un brin déviante. Le bondage associé au noise, je le vois comme du dripping, à la Pollock, c’est-à-dire des cordes nouées selon des codes précis renvoyant à des couches de sons superposées avec la même précision, la même invention. Tu partages cette manière d’appréhender le noise ? On se comprend à 100 %. J’adore également écouter du HN à bas volume. Pour ma part, je ne sais pas si on associe tellement le noise avec un côté militant. C’est vrai que le noise a été politisé, principalement par les groupes anglais. Mais le noise US, ou le japanoise, pas tant que ça finalement. Ensuite, n’importe quelle iconographie, n’importe quel thème peut se greffer sur le noise... C’est aussi une de ses caractéristiques et une de ses richesses... En ce qui concerne la souffrance, plein de gens, en effet, se sont foutus le doigt dans l’œil en associant noise et souffrance. Je n’ai JAMAIS connu quelqu’un qui écoutait du noise histoire de souffrir... C’est vraiment une idée de gens complètement extérieurs à la scène. Concernant le bondage, je pense qu’il y a eu, au départ, une incompréhension de la part des occidentaux, qui le voyait avec un regard SM banal, genre domination totale, sans jamais comprendre que, dans le bordage, ou le BDSM, la soumission est toujours volontaire et ainsi jamais subie. Quant à ta métaphore des nœuds, des superpositions, elle est très belle. C’est cela. Entremêler des sons. Ensuite, dans mon travail, si la précision vient dans la globalité du son, je laisse quand même beaucoup d’indétermination (au niveau de l’électricité par exemple, au sein des effets ou de la mixette). Je suis moins précis que quelqu’un comme Tourette ou The Rita, pour lesquels la précision, justement, est inhérente à leur approche.

Quand tu joues dans le cadre d'un festival consacré au noise, vas-tu aux concerts des autres. Est-ce que tu ne matures pas mieux ton travail, à ce stade, en restant hermétique à ceux qui jouent aussi du noise, en live tout du moins ? Et puis, entre nous, est-ce que le noise ne se satisfait pas aussi bien d'une écoute domestique dont tu peux contrôler les conditions de diffusion, dont le volume notamment ? Je suis assez casanier depuis quelques années, depuis que je vis à Montpellier en fait, mais j’ai vu énormément de concerts quand j’étais à Paris. Quand je vais dans un festival, je suis le plus présent possible pendant les autres sets, même si je préfère me tenir un peu en retrait, pour être le plus à l’aise possible... Oui, je suis un partisan acharné de l’écoute domestique.... Je suis un peu addict aux disques, sans être collectionneur. Je n’arrive vraiment pas à passer à la musique numérique.

Tu veux dire que tu achètes volontiers des CD et des vinyles au lieu de télécharger ? Préfères-tu le vinyle au CD d’ailleurs ? Yep. Je ne télécharge rien, à part des choses trop difficiles à trouver (genre bootleg de Fushitsusha 1978). J’achète volontiers des CD, des vinyles aussi, bien sûr. Personnellement j’aime beaucoup le format CD. J’ai arrêté les échanges cassettes, CD-R, car je ne peux empiler éternellement. Mon grand plaisir est d’avoir toujours un nouveau disque à mettre sur la stéréo, de découvrir un nouvel album, qu’il soit ancien ou récent.

Sous le nom de Vomir, tu as dû participer à une centaine de disques, ou à peine moins, si l’on compte les anthologies, les collaborations (avec Marc Hurtado notamment) et les splits ou assimilables (avec Rotted Brain, Paranoid Time, Ecoute la Merde, Oubliette, Werewolf Jerusalem, Government Alpha, Torturing Nurse). Pourquoi tant de disques ? Cela ressort-il d’une économie parallèle qu’on pourrait qualifier de « gangrénante » par rapport au mainstream et au Système en général ? Les musiciens de free jazz, Steve Lacy ou Archie Shepp par exemple, à une époque, enregistraient énormément de disques, pour des raisons économiques, des disques qui se ressemblaient souvent, mêmes morceaux, line-up différents ou à peine, des disques enregistrés en Italie, puis en Europe du nord, aux Etats-Unis. C’était une manière comme une autre d’occuper le territoire dans leur domaine (la concurrence a toujours été grande), de toujours être présent, ceci aussi afin de négocier des concerts dans des festivals, et accessoirement de gagner de l’argent car il y en avait peu à gagner finalement, en vendant des disques en tous cas (les concerts, c’est autre chose). Y aurait-il des collectionneurs de noise qui chercheraient à tout avoir ou presque comme il y en a en matière de free jazz ? On peut imaginer que pour un Merzbow ce soit le cas, au vu du soin apporté à ses productions, d’ailleurs assorties d’une renommée conséquente. N’y aurait-il pas ici aussi un rapport au fétichisme, à la collectionnite, ou bien est-ce seulement, pour toi, une manière d’être présent ? Ou tout bêtement de sortir des disques par plaisir, comme de ne refuser aucune collaboration ? Oui, c’est vrai, ça commence à faire beaucoup de sorties. Toutefois je ne refuse aucune proposition car je me trouve chanceux d’avoir tant d’invitations à collaborer et à sortir de mes murs. Et je le fais avec plaisir. La plupart de ces sorties sont très limitées, et touchent donc un public souvent différent, car juste proche du label en question... Quant à mes sorties plus « pro » à tirages plus importants, elles servent à me faire connaitre, chroniquer, etc. Je pourrais en fait approuver chaque point que tu soulèves. Il y a cependant des fanatiques de Vomir ! Certains se font même tatouer ! Oui, il faut occuper le territoire, et surtout, en faisant cela, montrer son attachement. La notion de durée dans ce milieu est extrêmement importante. Nombre de projets, de groupes, disparaissent très vite. Montrer que l’on est toujours présent, actif, est important. En revanche, je ne gagne rien sur les disques. Je reçois des copies-artistes et je les vends aux concerts. Le fétichisme des disques est bien présent ! Ce que j'aime dans le HNW, c'est son aspect monolithique, c'est vraiment ça, une sorte de stase crépitante, voire « muddy », marécageuse presque. Son aspect primitif, lo-fi, comme si c'était le blues du noise, comme si celui-ci cessait de s'agiter en tous sens, ce contre quoi je n'ai rien, d'ailleurs. Aujourd'hui le HNW paraît être à la pointe de quelque chose, qui touche tout à la fois au bruitisme et au minimalisme, comme ce fut le cas il y a relativement peu de temps avec le réductionnisme face à l'expressionnisme « bruyant » de certaines musiques basées sur l'improvisation totale.

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Tu connais l'interview de Lou Reed, à l'aéroport de Sydney, en 1974 je crois ? Où, cheveux ras et peroxydés, dissimulé derrière ses carreaux de tox', il ne cesse de répondre « NON" à la majeure partie des questions. «Tu te drogues ? » « NON » « I'm high on life ». Le HNW a tout de cette sorte de trip. Lou Reed prolonge le « No Fun » des Stooges à sa manière, il annonce clairement le « No Future » des Sex Pistols. Metal Machine Music, c'est encore bien plus subtil : « No Synthesizers / No Arp  / No Instruments? / No Panning / No Phasing  / No ». La vague néo-zélandaise des années 2000, c'est Le Jazz Non selon Nick Cain. Et toi, c'est le manifeste de ton label Décimation Sociale, c'est : « No Act / No Play / No Point / No Result / No Strategy / No Compromise / No Social Lubricant. » On ne peut pas ne pas songer à Phill Niblock, et à son « No Harmony, No Melody, No Rhythm, No Bullshit ». Ou bien à ce qu'il dit de sa musique : « Cette musique est simplement ce que je cherche à dire. Elle n'est pas censée mener ailleurs. Elle est ce qu'elle est et rien de plus. Cette musique n'a rien d'autre à offrir, elle n'a pas de développement, elle ne devient pas autre chose. » Cela pourrait être ton manifeste, là-aussi, une véritable déclaration d'intention du HNW. L’interview de Lou Reed dont tu parles est capitale. Et j’ai découvert Lou Reed (solo) par Metal Machine Music. Pour moi, ce disque, l’intention du disque, la sortie du disque, la pochette, les notes, tout est exemplaire. C’est une œuvre majeure et inatteignable. Et si tu me places dans la continuité de Le Jazz Non et de Phill Niblock, alors je suis heureux. Cette dernière citation de Niblock est extraordinaire, et je ne la connaissais pas. J’avais écrit et publié ceci il y a quelques années, un Manifeste du Mur Bruitiste :

L’individu n’a plus d’autre alternative que de refuser en masse la vie contemporaine promue et prônée. Le comportement juste se trouve dans le bruit et le repli, dans un refus de capitulation à la manipulation, à la socialisation, au divertissement.
Le Mur Bruitiste ne promet pas de redonner un sens et des valeurs à l’existence vécue. Le bruit opaque, morne et continu permet une réduction phénoménologique totale, un moyen contre l’interpénétration existentielle : désengagé dans l’apaisement bestial pur et inaltéré.
Le Mur Bruitiste est pro anomie, l’anomie volontaire. Il remet en question l’institution de toute relation, annihile tout ce qui survient dans un repos menaçant.
Le Mur Bruitiste est une récusation sociale. Il récuse toute notion de groupe, communauté, organisation et admet l’alternative de la claustration postmoderne hikokomori. Le refus est dans le repli car tout acte – qu’il soit considéré futuriste, dada, situ, anarchiste ou straight edge – est devenu inapte. L’actionnisme du délabrement ne peut faire face à la récupération factice, à la prostitution, de notre civilisation dérivative.
Observer l’extérieur abject ne doit être qu’un dernier rappel du non-sens humain avant l’épochè contestataire. Toute chose et tout être deviennent sans signification.
Le Mur Bruitiste est la perte de conscience du temps pour vivre en abîme et se laisser couler dans l’instant.
Le Mur Bruitiste est la perte de conscience physique.
Le Mur Bruitiste est la pratique ininterrompue du bruit mental.
Le Mur Bruitiste est la pureté militante dans la non-représentation.
Vigilants des derniers soubresauts, adoptons une nouvelle posture dans le repli– ni soumission, ni fuite, ni fléchissement – afin de pouvoir affirmer « je n’ai jamais été là» dans le désert créé par l’effacement de notre environnement. Perdre tout espoir est la liberté.
Dans l’isolement du mur bruitiste, le néant cellulaire, devenir son ombre - impassible meurtrier de soi - et ainsi devenir l’ombre de l’homme, inconnaissable, impersonnel.
Dans le Mur Bruitiste, aggraver son être, se tenir ignoré et ignorant de tout ; le repli exige l’élaboration d’une indétermination pure qui se forge dans l’oubli des éléments contraignants émotionnels et intellectuels.
Le Mur Bruitiste, obscurité d’un calvaire spirituel, est la non-opposition entre l’être et le néant, une berceuse sans fin.
Le Mur Bruitiste répand ses vertus occultes par les vrombissements et les bourdonnements de ses formules hermétiques, il désagrège et appelle à la désintégration irrévocable.

Le bruitisme passe par le manifeste, si l'on en croit Luigi Russolo, « L'Art des bruits », et ce Manifeste du Mur Bruitiste donc, ou d'autres encore. Mais n'existerait-il pas, toutefois, malgré ce refus dans le repli que prône le mur bruitiste, une communauté centrée sur le HNW, avec ses signes de reconnaissance, une communauté avec son histoire et ses filiations, initiée par Sam McKinley et The Rita, une communauté avec ses excommunications même. Une communauté en forme de mouvement ?Le repli que prône le mur bruitiste est vraiment un concept que j’ai développé pour moi mais qui ne s’applique pas à l’ensemble du HNW. Certains l’ont repris et me considèrent comme un modèle, mais, heureusement, ce n’est pas le cas pour l’ensemble. Avant The Rita, le boulot de Richard Ramirez / Werewolf Jerusalem ou Damion Romero / Speculum Fight est super important. Ensuite, c’est vrai que le travail de The Rita, de son label Militant Walls, est le vrai déclencheur de la niche HNW, puisque c’est lui qui le premier appose ces trois lettres. Je faisais mes CD-R à 5 exemplaires pour le Bimbo quand j’ai découvert son travail et celui de The Cherry Point (Phil Blankership) sur le label Troniks. Ce fut pour moi un choc de voir que nous avions sensiblement la même approche du harsh noise, mais que eux sortaient du CD pro à 500 exemplaires alors que je ne faisais que du CD-R à 5 ! Donc j’ai immédiatement contacté Sam en lui envoyant mon boulot. Le fait qu’ils aient produit le premier split CD-R avec Paranoid Time a été le déclencheur qui m’a permis de me faire connaitre. Bien sûr, la communauté HNW, au début, a été décriée comme très élitiste, avec son forum fermé, ses règles etc. Mais Sam n’est en rien dans cette histoire-là. C’est un allemand, Ron / Cannibal Ritual, qui a instauré cette communauté fermée sur le net, et qui a ainsi déclenché énormément de réactions sur le forum le plus important de l’époque : iheartnoise (du label Troniks). Mais tout ça s’est vite tassé. Aujourd’hui je ne pense pas que l’on puisse parler de communauté. Il n’y a pas d’invitations ou d’excommunications. Désormais le genre est connu, reconnu et comporte ses sous-niches : l'Ambient Noise Wall, par exemple !

Quels sont, parmi les groupes français actuels, ceux que tu écoutes aujourd'hui ? Mesa Of The Lost Women ? Opéra Mort ? Vers lesquels vas-tu, en matière de noise notamment ? Ecoute la Merde ? Je me sens proche d’Ecoute La Merde / UPR, Greg Angstrom / Anarchofreaksproductions, Mesa Of The Lost Women, bien sûr !  J’aime le label Potlatch… Et puis Tourette, Penthotal, Popol Gluant... Opéra Mort, yes, Sébastien Borgo (Ogrob, L’autopsie a révélé que la mort était due à l’autopsie)... Enfin tu vois le genre...

Sous ton nom, ou presque, Roro Perrot pour Romain Perrot, tu produis une musique différente, instrumentale, à base de guitares, acoustique ou électrique. Une musique difficile à étiqueter si l'on doit la ranger auprès de quelque chose qui lui préexisterait. Une sorte de croisement entre les déconstructions auxquelles s'est livré une vie durant Derek Bailey, et un outsiderisme total qui te rapprocherait de cet Art des fous qu'a défendu Jean Dubuffet, mais aussi la boutique Bimbo Tower. « Derek Bailey meets André Robillard », ou quelque chose comme ça. Un prolongement des expériences sonores de Jean Dubuffet et Asger Jorn. Une no wave folk. Avec Vomir, tu as conceptualisé ton propre mur ; quid de Roro Perrot et de son anti-folk ?... si ce mot n'était déjà pris par des musiciens qui n'ont d'ailleurs rien d'anti... Ce n’est pas vraiment de l’anti-folk, je ne suis pas anti quoi que ce soit, mais du « folk à chier », comme ça je ne mens pas sur la marchandise ! C’est vrai que l’art brut, l’absence de talent « reconnu », de geste artistique appliqué, m’intéresse beaucoup, et principalement dans la musique. Derek Bailey m’a d’ailleurs beaucoup apporté lorsqu’il écrit clairement que la technique n’est pas importante. Je suis absolument nul en musique. Je n’ai ni oreille musicale, ni aptitude, je l’ai déjà dit. Et néanmoins, la musique, pour moi, est essentielle. Alors je me suis dit « rien à foutre », car je sentais qu’il fallait pourtant que quelque chose sorte de moi de façon brute, sans me cacher derrière des pédales d’effet comme je le faisais auparavant... Et j’y suis allé, et ça me fait beaucoup de bien de le faire. J’éructe. Et ça me permet également d’avoir un projet plus libre, sans manifeste et règle auto-imposée. Les deux cohabitent au sein de moi et j’arrive ainsi à bien m’exprimer à travers ces sons.

Du folk à chier, tu en fais aussi en duo avec Yves Botz, tous les deux à la guitare acoustique je crois. Vous vous présentez grosso modo ainsi : « Instinct, urgence, humour, bruit. Les quatre mains de ces deux idiots magnifiques font tout ça. » L'humour, c'est quelque chose d'important chez Roro Perrot ? Parce que Musique vaurienne, pour tout dire, ça prend plus aux tripes que ça ne fait rigoler ! Sauf si on trouve ça à chier… Quelle est la réception des concerts d'ailleurs ? J'ai tellement de chance qu’Yves ait eu envie de collaborer avec moi ! C’est un mythe pour moi. Nous avions fait une première session ensemble en Aveyron, et c’était super. Immédiat, sain, clair, solide. Je lui avais envoyé mon boulot aka Roro et ça lui avait plus. Alors maintenant, je ne sais pas si Yves adhère totalement à ce terme, folk à chier, mais ça ne le gêne pas. Lors de notre concert le 16 novembre aux Instants Chavirés, l’affiche nommait notre duo en tant que « folk à chier ». Et c’était O.-K. avec Yves... Yves apporte beaucoup plus que lorsque je fais mon truc seul. Sa force, sa présence, apportent une énergie, une dynamique différente... Pour te répondre quant à l’humour, je ne le fais pas avec ça en tête. En fait je le fais très sérieusement, très premier degré. Mais par la suite, oui, je comprends l’humour et le second degré qui peuvent en sortir, même si ce n’est pas le but initial... Les réactions pendant les concerts sont mitigés je dirais. Même si samedi dernier, avec Yves, nous avons remporté l’adhésion du public. Est-ce justement parce que nous nous affichions en tant que folk à chier ? Ou parce que nous avons fait un concert plutôt rock ? Pour le solo, en revanche, très peu de personnes aiment / comprennent ce que je fais... Et c’est pour cela que j’essaye aussi d’enchaîner les sorties. Pour que l’on comprenne que c’est un projet aussi important pour moi que sous le nom de Vomir. Que je ne le fais pas pour m’amuser. Mais aka Roro, je peux me permettre plus d’excentricité. J’ai un 45-tours sous le coude, un duo avec une copine qui chante comme une casserole... Spécial pour le Top 50 !

Dans ton manifeste, tu parles d'épochè contestataire. On peut imaginer que tu prends les choses comme elles te viennent, que tu ne hiérarchises pas, qu'il n'est plus question de « valeur » – le premier degré dont tu parles justement. Vomir viserait-il à la paix intérieure par l'ataraxie ? La paix intérieure par le bruit qui procure l’ataraxie, alors ? L’épochè est un concept fondamental pour moi. Je l’ai appris car j’ai étudié l’hypnose ericksonienne et la sophrologie. J’ai été thérapeute avec un cabinet à Montpellier que j’ai fermé (aujourd’hui je suis bosse pour une agence d’architecture). Donc, l’épochè, qui vient entre autres d’Husserl, est un travail sur moi que j’ai vraiment apprécié, et que j’ai à la fois reconnu et interprété par le mur de bruit. Pas trop de paix intérieure quand même, comme tu peux le constater en écoutant mes disques : disons un équilibre, et c’est déjà pas mal.

Noise et sophrologie pourraient-ils faire bon ménage, même un ménage paradoxal ? NON NON NON. Ce serait la dégringolade dans le new age. La sophrologie a cette vision globale très humaniste… Mais ma vision de paix intérieure n’est pas forcément humaniste… La déviance inhérente au noise est suprême.

Romain Perrot, propos recueillis en octobre et novembre 2013.
Philippe Robert © Merzbo-Derek / Le son du grisli

17 août 2015

Francisco Meirino, Leif Elggren : Trop Tôt (Firework, 2015) / Beyond Repair (Sincope) / The Aesthetics... (1000füssler, 2014)

francisco meirino leif elggren trop tôt

Avant Trop Tôt, une demi-heure en troisième et dernière piste du disque, on trouvera sur cette collaboration Francisco Meirino / Leif Elggren – que Laura Daengeli pourra rejoindre à la voix – Little Idiot (vingt minutes) et Petit Idiot (trois).

C’est le conte chagrin qu’il a ici publié qu’Elggren interprète et ainsi réinvente. Texte inquiet voire troublé, Little Idiot – dont Daengeli nous résumera le propos sur la seconde piste – est augmenté de divers bruits électriques dont le conteur délirant ne peut imaginer la disparition : autour de lui, s’agitent pourtant, avant de disparaître, field recordings et parasites électroniques, larsens et même, semble-t-il, quelques tronçonneuses.

C’est donc un noise de théâtre, dont Trop Tôt s’inspire (puisqu’Elggren y prélève un « I am the only One » qu’il répètera longtemps) et développera la méthode. A quai, c’est un noir bateau qui tremble sur lequel Elggren et Meirino s’agitent : field recordings encore, note de piano rabâchée et bruits divers construisent une autre bande originale. Alors Daengeli reprend le conte : la lecture est maladroite, c’est à dire imparfaite, mais fait quand même effet : la poésie sonore est au rasoir et l’entaille est béante.

Francisco Meirino, Leif Elggren : Trop Tôt (Firework Edition)
Edition : 2015.
CD : 01/ Little Idiot 02/ Petit Idiot 03/ Trop Tôt
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

le son du grisli

francisco meirino beyond repair

Derrière Beyond Repair sont rangées onze courtes pièces pour synthétiseur modulaire et instruments électroniques inventés. Derrière chacun d’eux, c’est Francisco Meirino qui arrange aigus tremblants, bruits de synthèse ou concrets, rythmes minuscules… dans un souci d’abstraction noise sensible et efficiente.

Francisco Meirino : Beyond Repair (Sincope)
Enregistrement : 2013-2014. Edition : 2014.
CD : 01-11/ Beyond Repair
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

le son du grisli

francisco meirino the aesthetics

Sur The Aesthetics of Everything for Nothing, Meirino fait œuvre de balayage ou joue à la roulette – ses instruments : deux jouets (un hochet et un cube d'éveil). Dans la roulette en question, il jette des résonances, d'étranges râlements, des larsens ou des tremblements, tous sons traités et même soignés. Si l’intensité est croissante, la pièce change progressivement son propos bruitiste en tendre et remarquable berceuse.

Francisco Meirino : The Aesthetics of Everything for Nothing (1000füssler)
Edition : 2014.
CD : 01/ The Aesthetics of Everything for Nothing
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

le son du grisli

festival météo le son du grisli

Francisco Meirino jouera aux côtés de Jérôme Noetinger et Marcus Schmickler au festival Météo : le 28 août à la filature.

 

24 janvier 2015

Sun Ra Arkestra : Live in Ulm 1992 (Leo, 2014)

sun ra arkestra live in ulm 1992

En 1992, il ne reste à Sun Ra que quelques mois à vivre. L’Arkestra pose son vaisseau à Ulm et Herman Poole Blunt ressemble étrangement à l’homme-lion, cette statuette en ivoire de mammouth vieille de 40 000 ans, exhumée précisément près de la ville d’Ulm. L’Arkestra d’aujourd’hui est cabossé. Il ne possède plus les transes d’antan. John Gilmore n’est pas du voyage, Marshall Allen convulse sans conviction, Sun Ra vagabonde en chorus laborieux.

Mais cet Arkestra ne s’avoue pas vaincu. Le trompette d’Ahmed Abdullah joue haut et serré, le trombone de Tyrone Hill est flamboyant au possible, la guitare de Bruce Edwards dévisse à vitesse hyprasonique, Buster Smith demeure un sacré batteur (Love in Outer Space). Et quand, dans le deuxième CD, la machine s’emballe et retrouve le joyeux bordel des origines, quand le chant devient danse et bastringue foutraque, quand le vieux DX7 du maître pose quelques accords déraisonnables, l’on retrouve quelques-unes des essentielles vertus de l’Arkestra. Faut-il vous en faire l’énumération ?

Sun Ra Arkestra : Live in Ulm 1992 (Leo Records / Orkhêstra International)
Enregistrement : 1992. Edition : 2014.
2 CD : CD1 : 01/ Ankhnaton 02/ The Mayan Temples 03/ El Is a Sound of Joy 04/ Fate in a Pleasant Mood 05/ Hocus Pocus 06/ Love in Outer Space 07/ Nameless One N° 2 08/ Prelude to a Kiss 09/ Theme of the Stargazers – CD2 : 01/ Unidentified 02/ Lights on a Satellite 03/ The Shadow World 04/ Space Is the Place 05/ They’ll Come Back 06/ Destination Unknown 07/ Calling Planet Earth 08/ The Forest of No Return
Luc Bouquet © Le son du grisli

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28 avril 2015

Schizo : Le voyageur / Torcol - Heldon : Soutien à la RAF / Perspectives (Souffle Continu, 2014)

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Dans son entreprise de réédition, le Souffle Continu aura beaucoup à faire avec le cas Richard Pinhas – pour s’en convaincre, on pourra lire ou relire l’interview de Théo Jarrier. Première étape du programme, la sortie de trois quarante-cinq tours datant de la première moitié des années 1970.

Ce sont d’abord deux titres de Schizo dont Wah Whah Records avait réédité voici quelques années l’Electronique Guérilla. Avec Patrick Gauthier (guitare, synthétiseur), Pierrot Roussel (basse) et Coco Roussel (percussions), Pinhas invite Gilles Deleuze à lire Nietzsche sur fond de rock défait qui atteste que le plaisir est bien « dans le passage » (Le voyageur). Sur l’autre face, c’est une rengaine plus synthétique que se disputent pop psychédélique et prog, qui brille notamment par ses pulsations étouffées (Torcol).

Les deux autres quarante-cinq tours concernent Heldon (nom que Pinhas emprunta au Rêve de fer de son ami Norman Spinrad). Sur son Soutien à la RAF – disque jadis distribué gratuitement avec un appel aux dons signé d’un comité de soutien qui s’insurgeait contre les conditions de détention des membres de la bande à Baader –, Pinhas dépose sur un tapis de moog un blues ligne claire joué à la guitare électrique. Au dos, c’est un autre hommage – à Omar Diop Blondin, militant communiste sénégalais qui venait de mourir en prison – et un autre blues, plus cavalier peut-être, autrement insolent.

Sur Perspectives, publié en 1976, Pinhas travaille avec plus de cohérence encore au rapprochement de la guitare et du synthétiseur. Inspiré par la science-fiction, il développe et amasse des solos qui interfèrent et, par effet de superposition, révéleront l’étendue de son imagination-psychose. En seconde face, le rock est d’une formule plus entendue mais démontre une diversité de perspectives que les live publiés ces jours-ci par le Souffle Continu (1975, 1976) multiplieront encore. A suivre, donc.

Schizo : Le voyageur / Torcol (Souffle Continu)
Réédition : 2014.
45 tours : A/ Le voyageur B/ Torcol

Heldon : Soutien à la RAF (Souffle Continu)
Réédition : 2014.
45 tours : A/ Soutien à la Raf B/ O.D.B.

Heldon : Perspectives (Souffle Continu)
Réédition : 2014.
45 tours : A/ Perspectives 1 Bis Complement B/ Perspectives 4 Bis
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

cd

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