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Le son du grisli
2 octobre 2012

Pop Expéditives : Oren Ambarchi, Lawrence English, Yoshida Tatsuya...

pop expéditives

ambarchiOren Ambarchi : Sagitarrian Domain (Editions Mego, 2012)
Un gimmick de basse, une batterie, une guitare et un moog : voilà Sagitarrian Domain d’Oren Ambarchi. Rien à voir avec l’imagerie clinique de la pochette : le disque, aux élans krautrock (en plus réfléchi et plus entêtant) accumule les solos de guitares avant que les superbes envolées d’un trio de cordes (Elizabeth Welsh, James Rushford et Judith Hamann) calment les ardeurs de l’Australien qui conclut en douceur cet enthousiasmant Sagitarrian Domain.

english

Lawrence English : For/Not for John Cage (LINE, 2012)
Entre 2011 et 2012, Lawrence English a tenu à rendre hommage au John Cage qui l’inspire depuis des années. Si ce n'est sur la couverture du CD (un champignon flou), le mycologue s’y serait-il retrouvé ? English a accouché de vagabondages dans l’espace qui rappèleront aux aventuriers la consommation de champignons… hallucinogènes… Quant à nous, le résultat, s’il n’est pas d’une originalité remarquable, nous va.

mutamassik

Mutamassik : Rekkez (Ini Itu, 2012)
Le monde du Mutamassik de Giulia Loli tourne à la vitesse des volutes orientales (sur son site internet, elle parle de « pan-afrabic immigrant sound sources ») que l’on trouve sur ce LP, Rekkez. De ce monde, s’échappent des voix qui se superposent, des cordes qui les mettent en valeur à tel point qu’on a d’abord l’impression d’écouter un disque Ocora retouché malicieusement par Fennesz. Face B, la musique perd un peu en envergure au profit d’un travail expérimental d’un foutraque simpliste ou jubila-toire.

jap

Uchihashi Kazuhisa, Yoshida Tatsuya : Barisshee (Tzadik, 2012)
Power rock ? Psyché noise ? Post-rock explosé ? Sur Barisshee, une guitare-electronics et une batterie en mettent partout = Uchihashi Kazuhisa (Ground Zero) et Yoshida Tsunoda (Ruins), qui n’en sont pas à leur premier méfait en duo. Le médiator convulsif et la baguette sèche comme un coup de trique donnent dans la chansonnette expé, le psychédélisme hargneux et, grâce à l’apport de l’électronique, l’ambient décalquée. Pas toujours du meilleur goût, mais assurément jubilatoire !

adernx

Adern X : Ink Spots called Words (Xevor, 2012)
Des expérimentations en tous genres (réutilisations de disques classique qu’il prend un malin plaisir – en tout cas on l’espère pour lui – à faire grésiller, sons de synthèse qui cherchent tout sauf la pureté du son et de la clarté de la synthèse, effets stéréophoniques à vous couper ce que vous voudrez…) : voilà la travail d’Adern X, Italien montreur de samples qui réunit ici une sélection de travaux qui l’occupent depuis 2007.

electric electric

Electric Electric : Discipline (Africantape, 2012)
Electric Electric est un trio de Strasbourg, Alsace : Eric Bentz, Vincent Redel et Vincent Robert. Un peu de rock mâtiné d’électro et sûrement de grands rêves de Battles. Le tout n’est pas bien bon.

2 février 2013

The Luzern-Chicago Connection : Live at Jazzfestival Willisau (Veto, 2012) / Fast Citizens : Gather (Delmark, 2012)

the luzern-chicago connection

C’est l’histoire d’une mayonnaise qui ne prend pas toujours. Soit pour trois musiciens de Lucerne (Isa Wiss, Marc Unternährer, Hans-Peter Pfammater) et pour trois musiciens natifs de ou installés à Chicago (Jeb Bishop, Jason Roebke, Frank Rosaly) la recherche d’une terre d’union et de partage. L’idée d’impliquer figures anciennes (swing, bop) et tentations plus libertaires (free jazz, improvisation) n’est que rarement concluante. Et ici, à nouveau…

Quand les éléments entrent en collision, s’opposent, animent le contresens et que la ballade se voit perturbée par des signes extérieurs, cela fait sens (Apples Tree Structures). Mais quand une pesante masse phagocyte un passionné duo voix-batterie, l’auditeur déchante (B & P). Et ce dernier de naviguer, désappointé, en un sucré-salé de peu de consistance.

The Luzern-Chicago Connection : Live at Jazzfestival Willisau (Veto Records)
Enregistrement : 2010. Edition : 2012.
CD : 01/ Entenparade – How D 02/ Apples – Tree Structures 03/Third Spin 04/ Willisau Thing – Poor Feathers 05/ B & P 06/ Lonely Cowboy
Luc Bouquet © Le son du grisli

lonberg-holm fast citizens

Puisqu’elle passe de main en main, voici la formation des Fast Citizens aujourd’hui emmenée par Fred Lonberg-Holm. Après avoir enregistré Ready Everyday sous la conduite de Keefe Jackson puis Two Cities sous celle d’Aram Shelton, le sextette – que complètent Josh Berman, Anton Hatwich et Frank Rosaly – signe avec Gather un disque de jazz qui profite des réactions et ruades soudaines qui depuis toujours inspirent le violoncelliste. De quoi peaufiner post-bop et free Vander-marqué, même si le meneur ne peut rien contre quelques récurentes étrangetés dans les arrangements.

Fred Lonberg Holm Fast Citizens : Gather (Delmark)
Edition : 2012
CD : Gather
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

11 avril 2013

Jacqueline Caux : Les couleurs du prisme, la mécanique du temps (La Huit, 2012)

jacqueline caux les couleurs du prisme

On revient souvent au livre Le silence, les couleurs du prisme & la mécanique du temps qui passe. On peut se plonger désormais dans les images d’un film du même nom (ou presque) qu’écrivit Daniel Caux et qu’a réalisé Jacqueline Caux.

C’est d’abord la voix de John Cage : Je voudrais laisser les gens libres, il ne faut pas qu’ils soient disciples. La seule influence que je voudrais avoir c’est que les gens ne doivent pas influencer les autres. Le compositeur sera le fil rouge du film et l’entretien qu’il a donné le premier d’une série consacrée aux novateurs qui ont animé la passion de Daniel Caux. Ils parleront (certaines interviews sont récentes) : Cage (qui évoque Satie, Philip Glass), Pauline Oliveros (Tudor, Cage, le San Francisco Music Center…), La Monte Young (Webern, « l’âme du bourdon »), Terry Riley (la nouvelle musique, La Monte Young), Meredith Monk (New York, Philip Corner), Gavin Bryars (The Sinking of the Titanic, l’enseignement), Steve Reich (It’s Gonna Rain, Coltrane), Richie Hawtin (le beat de la Techno)…

Surtout il y a Daniel Caux, qui peut à l’occasion piocher dans sa collection de vinyles, qui raconte Variations IV de Cage, It’s Gonna Rain de Reich ou la transe ou l’extase possible par les notes tournantes de Riley. Là, à quelques centimètres, avec une simplicité et une science qui change du bavardage universitaire, Daniel Caux nous invite en ami à aller trouver tous les disques qui ont pu nous échapper.

Jacqueline Caux, Daniel Caux : Les couleurs du prisme, la mécanique du temps (La Huit / Souffle Continu)
Edition : 2012.  
DVD : Les couleurs du prisme, la mécanique du temps
Héctor Cabrero © Le son du grisli

29 mai 2013

Phantom Orchard Orchestra : Trouble in Paradise (Tzadik, 2012) / Ikue Mori, Steve Noble : Prediction and Warming (Fataka, 2013)

phantom orchard orchestra trouble in paradise

Voici la liste des invitées au bal des fantômes de Zeena Parkins & Ikue Mori : Maja Ratkje (qui était déjà d'Orra), Hild Sofie Tafjord, Sara Parkins, Maggie Parkins, Shayna Dunkleman. Ce qui fait du beau monde sur CD : sept sorcières fantastiques dont on pouvait attendre en effet qu’elles remuent un coin de ciel…

Spécialistes en collages de toutes sortes et en bris de sons, Parkins & Mori unirent donc leurs efforts dans des performances parfois excentrico-hystérique (Over the Gap) ou des saillies hybrides pas franchement détonantes (Face) qui ont bien du mal à rivaliser avec d’autres groupes à trois lettres (POO contre DNA ou YMO). Souvent amusantes, rarement concluantes, le jeu des dames sait quand même se montrer surprenant, comme sur le folk barré de Sun Metal (la harpe orientale et les voix angoissantes) ou le folk féérique de Red Blue and Green. Pas suffisant toutefois.

Phantom Orchard Orchestra : Trouble in Paradise (Tzadik / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2008. Edition : 2013.
CD : 01/ Over the Gap 02/ Red Blue and Green 03/ Sun Metal 04/ Face 05/ Inner Reflection 06/ House for 7 07/ Laughter in the Dark 08/ Trap
Pierre Cécile © Le son du grisli

ikue mori steve noble prediction and warming

Sur la batterie remontée de Steve Noble tombent dès l’ouverture des 0 et des 1, s’ouvrent et se ferment des rideaux de pluie de synthèse, s’immiscent d’incongrues et parfois même facétieuses sonorités… Souvent capable seulement d’anecdotes, le dialogue du batteur et d'Ikue Mori arrive tout de même quelques fois à conjuguer cohérence et mystère, notamment lorsque le tambour fait tourner en satellites un lot d’illuminations électroniques (Combustion, Atmospheric Pressure).

EN ECOUTE >>> Montparnasse Derailment

Ikue Mori, Steve Noble : Prediction and Warming (Fataka)
Enregistrement : 16 novembre 2011. Edition : 2013.
CD : 01/ Seismic waves 02/ Montparnasse Derailment 03/ Combustion 04/ Convection 05/ Atmospheric Pressure 06/ Black Death (Steve’s March) 07/ Land of Famine 08/ Inferno
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

27 octobre 2013

David Browne : Sonic Youth (Camion blanc, 2013)

david browne sonic youth goodbye 20th century

Voici désormais traduit Goodbye 20th Century, Sonic Youth and the Rise of Alternative Nation, ouvrage que David Browne écrivit entre 2005 et 2007 sur la foi d’entretiens avec les membres du groupe et de confessions d’anciens associés. Passée l’étrange introduction – qui peut surprendre le lecteur en tâchant de le persuader que Sonic Youth est un nom qui ne lui dit sans doute pas grand-chose – et ignoré le « ton » du livre – badin, qui trouve souvent refuge dans l’anecdote lorsqu’il peine à parler de l’œuvre sonore –, concentrons-nous sur le sujet.

Aux origines, la rencontre, longuement décrite, de Kim Gordon et de Thurston Moore sur fond de projets en devenir, tous estampillés No Wave, et puis un groupe qui, au bout de quelques mois d’existence publie un disque sur Neutral, label de Glenn Branca. En déroulant chronologiquement la longue liste des disques à suivre, Browne retrace les parcours artistique et relationnel (Swans, Nirvana, Julie Cafritz, Neil Young, Jim O’Rourke…), personnel, iconique, économique, d’un groupe hors-catégorie, certes, mais pas à l’abri des contradictions.

Insistant sur l’intelligence de Gordon et sur l’intégrité de Shelley, Browne célèbre l’influence indéniable de Sonic Youth, qui aura rapproché contre-culture et imagerie pop, mais aussi poses arty et petits arrangements avec la culture de masse. En échange, une endurance rare qu’ont aussi servie un souci affiché d’indépendance et un goût certain pour l’expérience – Blue Humans, Free Kitten et Text of Light, cités ici parmi le nombre des projets individuels.

Tout le monde n’ayant pas la chance de signer des monographies de musiciens disparus, David Browne traite son sujet jusqu’en 2007, laissant Gordon et Moore à leurs obligations familiales et aux espoirs qu’ils semblent porter lorsque leur fille passe à la basse. Une fin comme une autre, puisque son livre raconte moins une Histoire de Sonic Youth qu’il ne compile des « chroniques de la vie quotidienne » et ordonne une chronologie impressionnante.  

David Browne : Sonic Youth. Goodbye to the 20th Century (Camion Blanc)
Edition : 2013
Livre : Sonic Youth. Goodbye 20the Century. Traduction : Hervé Landecker.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

11 janvier 2014

Andrew Cyrille : The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note (CAM Jazz, 2013)

andrew cyrille the complete remastered recordings on black saint and soul note

C’est sur Metamusicians’ Stomp (dont on pourra lire ici une évocation publiée en Free Fight) que l’on tombe en ouvrant The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note, coffret enfermant sept enregistrements d’Andrew Cyrille jadis publiés par les deux labels italiens annoncés.

Si Metamusicians’ Stomp célèbre l’association du batteur, de David S. Ware et de Ted Daniel, c’est auprès d’un autre souffleur qu’on le retrouve sur Nuba et Something In Return : Jimmy Lyons. Vibrionnant, au fluet magistral, le saxophoniste alto tisse en compagnie de Cyrille, sur peaux souvent lâches, le cadre dans lequel s’épanouira la poésie écrite et chantée de Jeanne Lee (Nuba, enregistré en 1979). Sans elle, c’est à un exercice plus conventionnel mais néanmoins bouleversant que s’adonnent Cyrille et Lyons : en duo, ils découpent Take the ‘’A’’ Train, y aménageant plusieurs aires de solos avant de s’opposer sur des compositions personnelles (Lorry, J.L., Nuba) qui recèlent d’interventions courtes et d’intentions diverses (Something In Return, 1981). Indispensable, cette réédition nous fait regretter l’absence (l’oubli ?) dans le coffret de Burnt Offering, autre duo que Cyrille et Lyons enregistrèrent pour Black Saint en 1982.

Datant de 1980, Special People est la première des quatre références Soul Note ici rééditées. Cyrille y retrouve Maono (Daniel, Ware et le contrebassiste Nick DiGeronimo) le temps de l’interprétation de trois titres de sa composition et de deux autres signés Ornette Coleman (A Girl Named Rainbow) et John Stubblefield (Baby Man). Ne parvenant déjà pas à remettre la main sur l’harmonie qui fit de Metamusicians’ Stomp ce si bel ouvrage, le batteur se plie en plus aux codes naissant d’une ingénierie sonore adepte de lissage, glaçage et vernis – dont The Navigator (1982) pâtira encore davantage (impossible son – et même jeu – de piano de Sonelius Smith).

La décennie suivante, Andrew Cyrille accompagnera sur références Soul Note le pianiste Borah Bergman ou le violoniste Billy Bang. Dans la boîte, on le retrouve en meneur d’un quartette (X Man, 1993) et d’un trio (Good to Go, 1995) dont le souffleur est flûtiste : James Newton. Clinquant, encore, et un répertoire fait pour beaucoup de morceaux signés de ses partenaires (Newton, Anthony Cox, Alix Pascal, Lisle Atkinson) qui nous incite à retourner aux disques que Cyrille enregistra à la même époque en d’autres formations – avec Oliver Lake et Reggie Workman en Trio 3, notamment : Live in Willisau, par exemple.

C’est dire la puissance des notes emmêlées d’Andrew Cyrille et de Jimmy Lyons : dès les premières, voici relativisées la qualité toute relative des références Soul Note et les quelques impasses de l’anthologie – David Murray voyant paraître ces jours-ci un second volume de ses Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note, peut-être est-il réservé à Cyrille le même et enviable sort.  

Andrew Cyrille : The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note (CAM Jazz)
Réédition : 2013.
7 CD : CD1 : Metamusicians’ Stomp CD2 : Nuba CD3 : Something In Return CD4 : Special People CD5 : The Navigator CD6 : X Man CD7 : Good to Go, with A Tribute to Bu
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

4 mars 2014

Seattle Phonographers Union : Building 27 WNP-5 / Greg Sinibaldi, Jesse Canterbury : Ascendant (Prefecture, 2013)

seattle phonographers union building 27 wnp-5

De ses archives personnelles de field recordings, le collectif Seattle Phonographers Union tire depuis plus de dix ans le matériau d’intrigantes improvisations organisées en endroits peu commun. Sur ce disque Prefecture – label que dirige de main de maître le percussionniste Paul Kikuchi –, le groupe prend place, à Seattle, dans un hangar à avion désaffecté puis dans la tour à refroidissement d’une centrale nucléaire abandonnée sur chantier.

Ecoutant plus encore qu’ils ne jouent, Perri Howard, Steve Peters, Toby Paddock, Doug Haire, Jonathan Way, Dale Loyd, Pete Comley, Christopher DeLaurenti et Steve Barsotti, investissent le Building 27 avec un art de l’accumulation qui profite de résonances suspendues et d’accords au sol. Bien sûr, la rumeur enfle, dessine par le son un croquis de carlingue avant de décider d’un repli en lignes ténues qui chanteraient l’érosion de structures métalliques.

A l’épreuve du temps, Comley, Lloyd, DeLaurenti et Barsotti, obligeront aussi la tour WNP-5. Architecture n'ayant jamais servi – et donc sans souvenir à faire entendre –, l’endroit résonne d’un futur interdit : ce sont-là un remue-ménage lointain, des présences anxieuses et des sirènes aphones qui mesurent l’espace d’un cratère éteint avant de le faire respirer. Avec une invention distante qui, dans l’un comme l’autre cas, impressionne.

écoute le son du grisliSeattle Phonographers Union
WNP-5
(Extrait)

Seattle Phonographers Union : Building 27 WNP-5 (Prefecture Music)
Enregistrement : 2007 & 2009. Edition : 2013.
LP / DL : A/ Building 27 B/ WNP-5
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

greg sinibaldi jesse canterbury ascendant

Sur l’écho naturel de la Dan Harpole Cistern de Port Townsend, Greg Sinibaldi (saxophone ténor, clarinette basse) et Jesse Canterbury (clarinette et clarinette basse) accordent d’abord leurs influences – qui pourraient avoir pour noms Richard Landry et John Surman. Consignant un minimalisme captivant sur sa première face, le disque le trahit néanmoins sur sa seconde : au son de sur-délicatesses ou d’industrieux bavardages. Ugly Beauty (reprise ici), avait prévu Monk.

Greg Sinibaldi, Jesse Canterbury : Ascendant (Prefecture Music)
Edition : 2013.
LP / DL : A1/ Wade A2/ Second Thoughts A3/ Two or Three Back, and Around A4/ Beside Ourselves A5/ Ugly Beauty 06/ If You Look Too Close – B1/ Not Forever, Just for Now B2/ Web of Lies B3/ Hold This B4/ Dreaming in Two Million
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

27 mai 2013

Progetto Guzman ‎: If Not - Omaggio A Mario Schiano (Terre Sommerse, 2012)

progetto guzman if not omaggio a mario schiano

L’hommage qu’adressaient en 2011, sur scène à Rome, le trompettiste Angelo Olivieri et le saxophoniste Alípio C. Neto à l’œuvre de Mario Schiano aurait pu sonner creux, voire faux. Or, une fois n’est pas coutume, l’hommage est juste et ne trahit pas la figure de l’agitateur de l’Italian Instabile Orchestra.

En groupe d’instrumentistes délicats, le Progetto Guzman entame l’exercice sur une composition d’Olivieri, dont l’agencement ne souffre la comparaison avec les compositions de Schiano, complexes souvent mais encore ludiques. Ainsi, le jazz flirte avec la chanson – ici, c’est la voix de Maria Pia De Vito –, l’un acceptant l’escalade mélodique, l’autre avertie des rythmes entreprenants avec lesquels il faudra faire. Et quand le savant délirium fait le plus grand effet – grand guignol virant free –, c’est comme si Schiano « en personne » dirigeait le Progetto Guzman à la baguette molle.

Progetto Guzman ‎: If Not - Omaggio A Mario Schiano (Terre Sommerse)
Enregistrement : 28-29 mars 2011. Edition : 2012.
CD : 01-13/ If Not – Omaggio A Mario Schiano
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

12 juin 2015

Aaron Cassidy, Aaron Einbond : Noise In And As Music (University of Huddersfield Press, 2013)

noise in and as music

Les références d’Aaron Cassidy et Aaron Einbond sont celles, essentielles, au domaine qui les intéresse : manifestes futuristes ou écrits de Kurt Schwitters, Mille plateaux de Deleuze et Guattari, Noise/Music de Paul Hegarty, Noise Water Meat de Douglas Kahn… Lecteurs avertis, Cassidy et Einbond pouvaient bien aborder à leur tour le sujet du bruit en (« et comme ») musique.

Découpé en deux parties (Théorie / Pratiques), l’ouvrage alterne études – dédiées aux rapports du noise et de la voix, aux bruits du corps, à l’inside-piano d’Andrea Neumann… – et témoignages recueillis auprès d’une douzaine de musiciens affiliés « au genre » : Maja Ratkje, Peter Ablinger, Alice Kemp, Benjamin Thigpen, Antoine Chessex, George Lewis, Pierre-Alexandre Tremblay, Kasper Toeplitz, Lasse Marhaug… A ceux-là, deux questions ont été posées : qu’est-ce que la « noise music », selon vous ? Pourquoi en jouez-vous ?  

« Pour être en lien avec le réel » (Thigpen) ou « être en phase avec le monde » (Tremblay) : entre deux exposés (certains convaincants, d’autres fastidieux), les réponses font un tapage concret, qui aère l’ouvrage. Ainsi, le voici transformé en fantaisie bruitiste, qui abandonne de son sérieux sous l’effet des surprises qu’il recèle.

Aaron Cassidy, Aaron Einbond (dir.) : Noise In And As Music (University of Huddersfield Press)
Edition : 2013.
Livre (anglais), 238 pages.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

31 mai 2016

Jonas Kocher, Gaudenz Badrutt, Ilia Belorukov : Quiet Novosibirsk (BRUIT, 2016) / Pascale Van Coppenolle : Dynamisch (2015)

jonas kocher quiet novosibirsk

De cette tournée faite en Russie en compagnie d’Ilia Belorukov – 31 août – 10 septembre 2014 – dont Rotonda documentait récemment encore la station pétersbourgeoise, Jonas Kocher et Gaudenz  Badrutt ont fait un livre et un film – le second étant à trouver, sur DVD, dans le premier.

Au début du film, long d’une demi-heure, des paysages défilent sur la musique du trio. L’improvisation est donc en train – de se faire (captations de concerts) ou sinon de se préparer (la musique n’est alors plus qu’un des éléments du voyage, au même titre qu’une bribe de conversation, qu’une image qui raconte un peu du pays, qu’une autre image qui n’en dit rien…).

Au résumé impressionniste, spontané et défait, qu’est le film, le livre oppose ses multiples facettes, qui renvoient des photos de Lucas Dubuis – lui aussi du voyage – intéressées autant par l’événement et ses à-côtés que par l’acte fortuit ou la rencontre imprévue, un lapidaire carnet de bord (date, endroit, musique de fond, ambiance) tenu par Belorukov, une conversation datée du 23 décembre 2015 entre Jacques Demierre, Kocher et Badrutt, enfin, un texte du musicien Alexander Markvart, qui démontrerait qu’en Sibérie on improvise aussi.  A la date du 5 septembre, Belorukov note : « Fine concert ». C’est justement ce qu’on était venu chercher.

quiet novosibirsk

Jonas Kocher, Gaudenz Badrutt, Ilia Belorukov
Alexander Markvart, Jacques Demierre, Lucas Dubuis

Quiet Novosibirsk. Spsan. Amplifier. Food. Long Day
BRUIT / AUS AM GERN
Edition : 2016.
Livre + DVD : Quiet Novosibirsk
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

pascale van coppenolle dynamisch

Comme le souligne le sous-titre de ce disque double, l’organiste Pascale Van Coppenolle profite là de l’exceptionnel – car à vent dynamique – instrument du Temple Allemand de Bienne. Interprétant une sélection de pièces classiques sur le premier disque, elle improvise sur le second : seule ou en duo avec Hans Koch (clarinette basse), Hannah E. Hänni (voix), Luke Wilkins (violon) et Jonas Kocher (accordéon). Autrement inventif, l’orgue rôde entre les graves tremblants de la clarinette, se fraye un chemin entre les souffles claquants de l’accordéon ou compose, avec Hänni, un air qui rappelle Bryars ou Pärt.

dynamisch

Pascale Van Coppenolle : Dynamisch. Die Orgeln der Stadtkirche Biel
Tulip Records
Edition : 2015.

2 CD : Dynamisch. Die Orgeln der Stadtkirche Biel
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

1 décembre 2016

Mahjun : Mahjun (Souffle Continu, 2016)

mahjun mahjun

C’est en une seule fois que Souffle Continu réédite deux références Saravah enregistrées au début des années 1970 par Mahjun, « happy french band » emmené par le violoniste Jean-Louis Lefebvre, entendu plus tôt sur le même label auprès de Jacques Higelin. A Vivre la mort du vieux monde, première référence publiée du groupe (alors Maajun), succédaient donc ces deux collections de pastiches aux couleurs changeantes.

Sur le premier disque (1973), c’est encore une chanson de paysage dans lequel les intervenants jonglent avec les emprunts – le groupe explore (et même « exploite ») différents folklores français – au point de servir bientôt un trad psychédélique, certes, mais capable de revendications : ainsi quand dévisse le saxophone de Pierre Rigaud ou lorsque tournent les guitares électriques, c’est un vent frais qui souffle sur ces hommages amusés au terroir et dépose Mahjun aux portes d’un rock progressif de bamboche.

Sur le second disque (1974), l’expérience est identique mais le charme du groupe – naïf encore mais passé du pastiche au potache – fait sensiblement moins d’effet. De terreurs enfantines en folklores angoissés (bourrée, sonioù…), Mahjun hésite là entre une poésie grivoise et un lyrisme revendicatif qui trouve sa raison d’être (et donc son intérêt à être entendu) dans la seule déclamation. Suit quand même La ville pue, divagation de près d’un quart d’heure à laquelle se joignent les percussions de l’invité Nana Vasconcelos, dont Pierre Barouh produisit l’année précédente l’incontournable Africadeus.

FFL022-Mahjun_Cover_(2)

Mahjun : Mahjun
Souffle Continu
Edition : 1973. Réédition : 2016.
LP : 01/ Le jus de la figue 02/ Les enfants sauvages 03/ Family Valse 04/ Shavi Ravi 05/ La déniche 06/ Chez Planos 07/ La guitare à Rigaud

FFL023-Mahjun_Cover_(2)

Mahjun : Mahjun
Souffle Continu
Edition : 1974. Réédition : 2016.
LP : 01/ Fils à Colin-Maillard 02/ Denise 03/ Bourrée 04/ La ville pue 05/ Fin janvier
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

21 octobre 2016

Barry Guy, Marilyn Crispell, Paul Lytton : Deep Memory / Barry Guy : The Blue shroud (Intakt, 2016)

barry guy marilyn crispell paul lytton deep memory

Entre méditations et exaltations voguent les compositions de Barry Guy, inspirées, celles-ci, par les toiles du peintre irlandais Hugh O’Donoghue. Ici, la révolution n’est plus : Barry Guy, Marilyn Crispell et Paul Lytton ont déjà donné. Pour autant, se contentent-ils d’entretenir et de cultiver une expression maintes fois – et à juste titre – admirée au risque de ne plus l’alimenter aujourd’hui ?

La réponse est non. Parce que Guy, Crispell et Lytton connaissent le danger des redites, ils ne taisent en aucune façon leur souci des consonances heureuses. Ils savent aussi que le drame n’est jamais loin. Parcelle de romantisme hispanisant ici (Scent), touche de minimalisme contemporain là (Silenced Music), frénésies maîtrisées ailleurs (Return of Ulysses), les voici embarqués dans des structures mouvantes et non cadenassées. Chacun est propulseur de l’autre et si l’excès de zèle du contrebassiste dans la première plage (l’art de déborder sans raison) pouvait inquiéter, la suite ne fait aucun doute : ces trois-là savent que les noces demandent parfois prolongation. Ici, donc.

écoute le son du grisliBarry Guyr, Marilyn Crispell, Paul Lytton
Deep Memory (extraits)

guy crispell lytton

Barry Guy, Marilyn Crispell, Paul Lytton : Deep Memory
Intakt / Orkhêstra International
Enregistrement : 2015. Edition : 2016.
CD : 01/ Scent 02/ Fallen Angel 03/ Sleeper 04/ Blue Horizon 05/ Return of Ulysses 06/ Silenced Music 07/ Dark Days
Luc Bouquet © Le son du grisli

barry guy the blue shroud

Un drap bleu posé sur le Guernica de Picasso, Colin Powell put ainsi déclarer officiellement la guerre à l’Irak. C’était en 2003, au siège de l’ONU. Douze ans plus tard, Barry Guy faisait œuvre de mémoire à travers son Blue Shroud. Ici, treize musiciens (noter l’omniprésence d’Agustí Fernández et les piquantes présences de Savina Yannatou, Ben Dwyer, Maya Homburger, Fanny Paccoud, Per Texas Johansson, Ramón López) pour une partition poignante (Bach et Biber cités, suavité au sein des déchaînements, guitare échappée du Liberation Music Orchestra) et souvent impétueuse (enchâssements rugueux, âpres duos, chant impliqué). Reste maintenant à délivrer Guernica (certes, une reproduction) des tristes sires de l’ONU.

écoute le son du grisliBarry Guy
The Blue Shrout (extraits)

guy

Barry Guy : The Blue Shroud
Intakt / Orkhêstra International
Enregistrement : 2015. Edition : 2016.
CD : 01/ The Blue Shroud
Luc Bouquet © Le son du grisli

31 octobre 2016

Michael Esposito : Voice Box (Spectral Electric, 2016)

phantom air waves michael esposito voice box

Le sous-titre de cette Voice Box – en réalité : une clef usb de la forme d’une carte de crédit – dira ce qu’on y trouve : « A Collection of Oddities and Curiosities », issus de travaux signés du Phantom Air Waves de Michael Esposito. Une suite de raretés, à l’image d’In The Silence Of A Watery Grave dont une centaine d’exemplaires furent jadis glissés dans un petit livre et qu’il sera en conséquence impossible de commenter ici.

Rangées dans neuf dossiers qui renferment aussi images et parfois explications, les autres pièces sonores (MP3 et WAV) donnent à entendre Esposito arranger ses EVP seul ou en compagnie d’amis choisis. Certes inégale – le chasseur se contentant parfois d’évaluer sa collection au son d’une ou deux boucles simplistes –, la boîte renferme quelques traitements astucieux qui parviennent à égaler en intérêt les interventions de ses acolytes.

Ainsi, sous la voix de Bryan Lewis Saunders, Esposito dispose-t-il quelques basses profondes qui renferment déjà le code d’un langage singulier ; avec Kommissar Hjuler und Mama Bär, il déforme d’autres prises afin qu’elles épousent le propos d’une surprenante discussion en allemand ; avec Carl Michael von Hausswolff, il adapte ses manières à deux pièces d’une électronique jouant de couches multiples pour mieux rendre hommage à Friedrich Jürgenson, l’une des grandes figures du phénomène de voix électronique. Seul, Esposito peut donner dans un genre expérimental progressif auquel on préférera l’étrange atmosphère de Haunt Of The Athenaeum Codex ou les miaulements répétés de The Barn Witch Familiar, pièce qu’il ne faudra pas oublier de produire quand viendra l’heure du procès en sorcellerie qu'on devra bien lui faire un jour.

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Michael Esposito : Voice Box: A Collection of Oddities and Curiosities
Spectral Electric
Edition : 2016.
MP3 / WAV : 01/ Byan Lewis Saunders & Michael Esposito : S.S. House 02/ Michael Esposito & Kommissar Hjuler und Frau : Der Geist Meiner Mutter 03/ CM von Hausswolff & Michael Esposito : The Ghosts of Effingham 04/ Michael Esposito & Rainier Lericolais : Perdus Et 05/ The Maladjusted of Manteno Asylum : Radical Matters 06/ The Shadow Of Roy Vail's Daughter Walks The Moonlit Harvest 07/ Haunt Of The Athenaeum Codex 08/ In The Silence Of A Watery Grave 09/ Demons Of Independance Day 10/ The Barn Witches' Familiar
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

26 septembre 2012

Störung : Sound & Visual Art (Störung, 2012)

störung sound & visual art

Le propos du Störung Festival de Barcelone est explicite, que rappelle le titre de ce DVD augmenté d’un livre : Sound & Visual Art. A l’intérieur, onze collaborations audiovisuelles reviennent sur la neuvième édition du festival. Pas toutes convaincantes : lorsque pêche l’électronique (D-FuseXX+XY Visuals And Sound Art Project, Asférico, Andy Guhl) l’image n’a pas toujours la force de nous le faire oublier.

Pour ce faire, on peut néanmoins compter : sur Anla Courtis, dont les voix ralenties et étouffées sous cloche illustrent les images sépia de fantômes en goguette ; sur Francisco López, dont la spatiale création réagit au noir et blanc de Paul Prudence ; sur Kim Casone qui, à l’image et au son, promène un homme en forêt sombre le temps de conter une histoire dont on déplore la brièveté ; Simon Whetham, enfin, qui manipule de grands vents sur un paysage inventé par Hugo Olim. Quatre musiciens sauvent ainsi la rétrospective : au point de permettre qu’on l’écoute seulement.

Störung : Sound & Visual Art (Störung)
Edition : 2012.
DVD : 01/ D-fuse : Gradualism #01 02/ Dextro & AM : 26_071 Auda 03/ S. Brauer, S. Subero & Alan Courtis : Malabia bla bla 04/ P. Prudence & F. López : Hydro-organic Machine Study 05/ Kim Cascone : Black Flame 06/ XX+XY Visuals and Sound Art Project : Mater States 07/ Aleix Fernández & Asférico : Shapes 3.0 08/ Andy Guhl : Laptop-condensored 09/ Hugo Olim & Simon Whetham : Rhizoid 10/ Elufo & Asférico : Fuerza Natural II 11/ Diego Alberti & Federico Monti : Untitled 09
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

17 décembre 2010

Olivier Lussac : Fluxus et la musique (Les Presses du Réel, 2010)

olivier lussac fluxus et la musique

L’une des images les plus illustres nées de l’agitation des membres de Fluxus est cette photographie de Charlotte Moorman jouant d’un violoncelle à triple écran pour le bien de TV Cello de Nam June Paik. Si l’image est belle, on peut regretter que lui manque sa sonorité propre parmi les milliers d’autres possiblement estampillées Fluxus auxquelles Olivier Lussac consacre un bel ouvrage.

Jadis, Larousse édita Le siècle rebelle, dictionnaire dans lequel Jean-Paul Fargier écrivait : « Fluxus ne renverse pas les valeurs, il les égalise : le bruit d’une mouche est aussi beau qu’une symphonie de Beethoven. » Aujourd’hui, Lussac renchérit dans Fluxus et la musique : « Ce n'est pas une musique raisonnable, réfléchie et digne d'intérêt ». Si l’élégant détachement de la formule trahit la cohérence avec laquelle l’auteur a changé son intérêt pour un art anti-conventions en sérieux objet d’étude, la voici bientôt contredite à la simple évocation de ces compositeurs (Richard Maxfield, Jackson Mac Low, Dick Higgins, George Brecht, tous élèves de John Cage à la New York School) dont l’iconoclastie épousa l’instinct de révolte de George Maciunas – le fondateur de Fluxus composera pour sa part une « Carpenter Piece » obligeant son interprète à clouer chacune des touches d’un piano.

Ensuite, ce sont La Monte Young ou Terry Jennings qui viendront à Maciunas avant que celui-ci gagne l’Europe (avant le Floh fut donc le Flux de Cologne) où il scellera d’autres accords : avec Nam June Paik, artiste total qui entre en Fluxus au son de son Hommage à John Cage, et puis Karlheinz Stockhausen, David Tudor, Cornelius Cardew… Grand connaisseur de diptères, Lussac épingle tous spécimens pour expliquer de quoi retournait ce Fluxus musical et définir enfin ce qu’il aura réussi à retourner (codes, partitions, musiciens même).

Olivier Lussac : Fluxus et la musique (Les Presses du Réel)
Edition : 2010.
Livre : Fluxus et la musique
Guillaume Belhomme

11 février 2013

John Raskin, Carla Harryman : Open Box (Tzadik, 2012)

jon raskin carla harryman

C'est une boîte de Pandore qu'ouvrent Jon Raskin (lecture, saxophones) et Carla Harryman (poésie et lecture) dès les premières secondes d'Open Box – projet mêlant musique et poésie que soutiennent pas moins de neuf musiciens, dont les membres du quartette de Raskin. Mais à l'intérieur de la boîte, trésors et drouille sont confondus.

Doué de parole, le duo explique d’abord les tenants et les aboutissants de leur projet sur fond de guitare et de batterie tonitruant : post-no wave poing levé sans véritable envergure, l'ouverture en appelle au patronage de Zorn ou de Ribot. La suite vaudra davantage que cette simplissime allégeance : Open Box 1 & 2 laissant les deux récitants portés par les surfaces étranges de Gino Robair : torves, les sonorités effacent la mièvrerie du récitatif dans un élan peu commun de poésie urbaine.   

C’est un art de l’étrange, ensuite, qui convoque des vocalisations à la népalaise et un baryton, une pièce de comédie musicale d’expérimentale obédience, un psychédélisme brouillon et les déclamations absconses qu’on croirait sorties d’un pénible jeu de rôles. C’est en conséquence vaguement saoul que l’on sort de cette écoute, demain nous dira-t-il quelle était la qualité de la mixture ?

Jon Raskin, Carla Harryman : Open Box (Tzadik / Orkhêstra International)
Edition : 2012.
CD : 01/ Fish Speech 02/ Open Box Part 1 03/ Open Box Part 2 04/ LA Reactive Meme 05/ Song for Asa 06/ A Sun and Five Decompositions 07/ JS Active Meme
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

29 juin 2014

Brötzmann Expéditives : The Nearer The Bone..., Live in Wiesbaden, Solo + Trio Roma, Snakelust, Yatagarasu

peter brötzmann expéditives

brötzmann miller moholoBrötzmann / Miller / Moholo : The Nearer The Bone, The Sweeter The Meat (Cien Fuegos, 2012)
Parmi les références FMP rééditées sur vinyle par Cien Fuegos, on trouve The Nearer the Bone, the Sweeter the Meet du trio Peter Brötzmann / Harry Miller / Louis Moholo. Datant du 27 août 1972, la référence consigne quatre plages sur lesquelles le saxophone prend davantage son temps, voire quelque recul, et la clarinette basse épouse l’archet chantant de Miller comme la ronde frappe de Moholo. Dans la clameur, une évidence : la contrebasse et la batterie s’expriment autant que ce Brötzmann qu’elles portent.

brötzmann wiesbadenPeter Brötzmann, Jörg Fischer : Live In Wiesbaden (Not Two, 2011)
A sa collection de duettistes-batteurs, Brötzmann ajouta Jörg Fischer (entendu notamment auprès d’Owe Oberg ou Olaf Rupp) le 24 juin 2009 dans le cadre du festival Kooperative New Jazz de Wiesbaden. De saxophones en clarinette et tarogato, le voici improvisant quatre fois – Fischer démontrant d’un allant capable de suivre, voire de précipiter, la vive inspiration de son partenaire – et chassant la fièvre le temps d’une ballade cette fois écrite, Song for Fred.

brötzmann trio romaPeter Brötzmann : Solo + Trio Roma (Victo, 2012)
21 et 22 mai 2011, au festival de Victoriaville, Peter Brötzmann donne un solo et se produit en trio avec Massimo Pupillo et Paal Nilssen-Love. Au son d’un thème qu’il dépose lentement, Brötzmann inaugure ce nouveau solo enregistré : le parcours dévie à force d’échappées instinctives, d’insistances, de silences, de reprises, pour déboucher sur une lecture de Lonely Woman. En trio (Roma), c’est un « free rock » plus entendu mais plus intéressant que celui d’Hairy Bones

brötzmann hairybonesHairy Bones : Snakelust (to Kenji Nakagami) (Clean Feed, 2012)
Augmenté du trompettiste Toshinori Kondo, Roma devient Hairy Bones. En concert à Jazz Em Agosto le 12 août 2011, le quartette conjugue à l’insatiable façonnage de Brötzmann l’écho de Kondo, la verve commode de Pupillo et la frappe appuyée de Nilssen-Love. Seulement endurant.

brötzmann yatagarasuThe Heavyweights : Yatagarasu (Not Two, 2012)
Le 8 novembre 2011, Brötzmann enregistra à Cracovie en trio de « poids lourds » – avec le pianiste Masahiko Satoh (entendu auprès d’Helen Merrill, Wayne Shorter, Art Farmer, mais aussi de Steve Lacy, Anthony Braxton ou Joëlle Léandre…) et le batteur Takeo Moriyama (entendu, lui, auprès d’Aki Takase ou d’Akira Sakata). L’embrasement n'attend pas : accords agglomérés de piano puis fugue sur laquelle Brötzmann calque son allure aux saxophones ou tarogato. Mieux : sur Icy Spears et Autumn Drizzle, travaille sur l’instant à la cohésion d’un trio étourdissant.

24 octobre 2014

Brussel : Härskeri / Soixante étages : Lumpen Orchestra (33revpermi, 2013)

brussel harskeri

Bruno Fleurence (guitare, orgue & trompette) et Hugo Roussel (guitares) forment un duo-valise. Sur celui-ci a été collé un autocollant qui vante les mérites de… Brussel. Le dépliant de l’agence de voyage promet « un duo psyché-post-blues qui expérimente des espaces précaires » et, pour son premier CD, Härskeri, « une bande originale pour western finlandais ».

Ce serait donc la première fois dans l’histoire de l’humanité qu’on aurait l’occasion de relocaliser une capitale européenne. Plus au Nord encore ! Le Grand Nord même, mais un Grand Nord de cinéma. Car Härskeri déroule des instrumentaux de musique de films, c’est vrai. Pour les images il y a le vent qui soulève les tapis pastel tressés par les guitares et l’orgue. Un paysage de précarité, comme promis, appréciable mais sans grand caractère, sauf à la fin du voyage, quand Fleurence et Roussel se balancent pour se (nous ?) réchauffer.

Brussel : Härskeri (33 Revpermi / Metamkine)
Enregistrement : 2011-2013. Edition : 2013.
CD : 01-10/
Pierre Cécile © Le son du grisli

soixante étages lumpen orchestra

On retrouve Fleurence et Roussel sur Lumpen Orchestra, huitième enregistrement de Soixante étages (collectif fondé en 1982 par Ana Ban). Avec Dominique Répécaud, Heidi Bouzeng, François Dietz et Henri Jules Julien, ils donnent cette fois dans le cabaret frappé : dans le shaker, des bouts de Nina Hagen, John Cage, Ute Lemper, Alan Vega… Bref, une demi-heure de rock réaliste, de no wave dada… enthousiasmant !

Soixante étages : Lumpen Orchestra (33 Revpermi / Metamkine)
Edition : 2013.
CD : Lumpen Orchestra
Pierre Cécile © Le son du grisli

densités 75Dans le cadre du festival Densités, Brussel jouera ce vendredi 24 octobre en compagnie du chanteur Steve Gander. Naissance de Burganssel.

3 mai 2013

Michael Esposito Expéditives

Michael Esposito Expéditives

1

Phantom Airwaves : Unsure (PAW, 2006)
Le dos d’Unsure prévient : « These recordings on the CD contain voices of unknown origin. These voices may be of deceased persons and may be offensive to some listeners ». S’il souligne l’intérêt pour l’EVP (Electronic Voice Phenomenon / Phénomène de voix électronique) qui anime les travaux de Michael Esposito (Phantom Airwaves), la référence – nappes synthétiques en boucle et déclenchement d’appareils d’enregistrement – n’est pas la plus enthousiasmante de la discographie de l’artiste en question.

2

Phantom Airwaves : Perryville Battlefield (PAW, 2007)
Sur le champ de bataille de Perryville, Esposito enregistra le 10 mai 2007 : la guerre civile américaine évoquée au son d’une ambient en suspension qui accueille la voix de Thomas Edison consignée sur cylindre phonographique, une nuée de criquets ou des grisailles sonores d’origine inconnue. C’est ainsi que Perryville Battlefield se fait remarquer et impose avec autorité l’art qu’a Esposito de la transfiguration.

3

Michael Esposito, Leif Elggren, Emanuel Swedenborg : The Summerhouse (Firework Edition, 2007)
En sa compagnie (et celle de Leif Elggren), Esposito passa le 17 juillet 2007 dans la maison d’été d’Emanuel Swedenborg, à Stockholm. Le temps de mettre en boîte un peu de vent infiltré, le bruit de vibrations supposées, enfin des voix qui se bousculent : plaintes d’hommes et suppliques de femmes bouclées bientôt, mais aussi bruits de moteurs et craquements divers. Etonnant.

4

Michael Esposito, Leif Elggren : Fire Station 6 (Firework Edition, 2007)
Quelques semaines plus tard, avec Leif Elggren encore, Esposito enregistrait dans une caserne de pompiers de l’Indiana. C’est là une réflexion sur l’accident, la catastrophe et la mort, sur l’instant qui soudain vous dérobe au monde. Au son : des boucles de bruits minuscules, des questions adressées par les agents du feu à quelque victime, des échos de voix attrapés au passage. Des morceaux d’atmosphères graves où Esposito et Elggren envisagent le document en artistes qu’ils sont.

5

Michael Esposito, FM Einheit : The Sallie House (Firework Edition, 2008)
Avec FM Einheit (Einstürzende Neubauten), Esposito fit deux courts séjours, en 2005 et 2006, dans une maison hantée du Kansas : The Sallie House. Sur un drone, il semblerait que des présences se fassent déjà entendre : une rengaine de quelques notes va et vient, des dialogues de drame, une femme répétant « why ? », des sursauts de saut comme autant de flashs cinématographiques et le noir et blanc de saturations et de parasites. Ambiance.

6

Michael Esposito, Brent Gutzeit : Enemy  (Firework Edition, 2008)
C’est avec Brent Gutzeit (TV Pow) qu’Esposito installa ses micros dans un club de Chicago consacré à la scène noise : Enemy – la charge énergétique de l’endroit n’aide-t-elle pas les défunts à établir le contact avec les vivants ? De l’expérience, naquit une demi-heure à peine de field recordings crachant des éclats de métal et de cordes à saturation ou, d’un concret plus rassurant, des bruits de pas ou la rumeur de la rue.

7

Fantom Auditory Operations : The Child Witch of Pilot’s Knob (Tapeworm, 2012)
Sous le nom de Fantom Auditory Operations, Esposito expose sur cassette Tapeworm le résultat de ses prospections en cimetière (Pilot’s Knob, Kentuky) où fut enterrée une jeune fille en son temps soupçonnée, comme sa mère, d’actes de sorcellerie – en conséquence : toutes deux, brûlées vives – et où roderait « The Watcher », spectre qui chercherait à récupérer son enfant. De son pèlerinage, Esposito retient l’impression et, à coups de crépitements (le feu), de cloches aux mouvements transformés (le glas), de hennissements et de voix d’un autre âge, reconstitue les actes du drame. Après quoi, il applique sur sa composition ses captations « vocales » – auxquelles le support cassette (la bande) ajoute encore un peu d’étrange.

muennich esposito jupitter-larsen

23 décembre 2014

Aki Takase, Alexander von Schlippenbach : So Long, Eric! (Intakt, 2014)

aki takase alexander von schlippenbach so long eric

L’heure (décembre avancé) est encore à l’hommage, obligé presque par un anniversaire – il y  a cinquante ans, disparut Eric Dolphy. Celui adressé par le couple de pianistes (et arrangeurs pour l’occasion) Aki Takase / Alexander von Schlippenbach a été enregistré plus tôt (19 et 20 juin 2014), en public, à Berlin – où disparut Dolphy.

Les comparses sont plus ou moins anciens – Han Bennink et Karl Berger, jadis recrues du Globe Unity, le saxophoniste alto Henrik Walsdorff ou encore Axel Dörner et Rudi Mahall, moitié de Die Enttäuschung avec laquelle Schlippenbach interprétait encore récemment l’entier répertoire de Thelonious Monk (Monk’s Casino) – qui interviennent sur des relectures que l’audace de Dolphy aurait peut-être pu inspirer davantage.

Ainsi, si de courts solos déstabilisent encore Les, si les dissonances courent d’un bout à l’autre du disque (pianos en désaccord d’Hat and Beard ou embrouillés en introduction d’Out There) et si l’on assomme le motif mélodique à force de décalages rythmiques (Hat and Beard) ou de langueur distante (The Prophet), les forces en présence font avec un manque d’allant jamais contrarié et se satisfont souvent d’évocations entendues. Après être revenu à Dolphy par l’hommage, l’heure (décembre avancé toujours) est désormais à l’envie d'aller l'entendre, lui.

écoute le son du grisliAki Takase, Alexander von Schlippenbach
So Long, Eric! (extraits)

Aki Takase, Alexander von Schlippenbach : So Long, Eric! Homage to Eric Dolphy (Intakt / Orkhêstra International)
Enregistrement : 19 et 20 juin 2014. Edition : 2014.  
CD : 01/ Les 02/ Hat and Beard 03/ The Prophet 04/ 17 West 05/ Serene 06/ Miss Ann 07/ Something Sweet, Something Tender 08/ Out There 09/ Out to Lunch
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

le son du grisli

Image of A paraître : Eric Dolphy de Guillaume Belhomme

19 septembre 2016

Sven-Åke Johansson : The 80's Selected Concerts (SÅJ, 2014)

sven-ake johansson 80's selected concerts

Veillant à la bonne garde et à la restauration de précieux documents archéologiques, de bienveillants ingénieurs du son (ici Christian Fänghaus ou les musiciens eux-mêmes) ont su documenter Sven-Åke Johansson tout au long des eighties. Ainsi :

Le 6 septembre 1990 à Berlin, SÅJ, Wolfgang Fuchs et Mats Gustafsson se répondaient du tac au tac et naissait une utopique fanfare. Clarinettiste et saxophoniste faisaient concours de babillages. Les prises de becs (mémorables !) ne se calculaient plus. L’accordéoniste et le clarinettiste sectionnaient l’horizon. Wolgang Fuchs jouait au crapahuteur chevronné. Sven-Åke Johansson devenait prolixe et inspiré-inspirant. Mats Gustafsson, tout juste la trentaine, ne jouait pas encore au fier-à-bras (depuis…). Précieux document que celui-ci.

A Berlin, un jour oublié de l’an (19)85 un pianiste et un percussionniste combattaient la routine. L’un faisait se télescoper ses claviers acoustique et électronique, débordait de tous côtés tandis que l’autre, émerveillé, frappait et grattait les surfaces passant à sa portée. Instables et fiers de l’âtre, Richard Teitelbaum et Svan-Åke Johansson jouaient à se désarticuler l’un l’autre. Zappant d’une cime à l’autre, parcourant la caverne aux sombres réverbérations, crochetant quelques virages brusques, ils perçaient l’insondable et y prenaient plaisir. Et au mitan de ce trouble magma, le batteur prenait le temps de « friser » en grande vitesse (et haute sensibilité) renforçant ainsi son statut de percutant hors-norme(s).

A Berlin, le 18 mars 1991, ils étaient cinq teutons (Günter Christmann, Wolfgang Fuchs, Torsten Müller, Alex von Schlippenbach, Tristan Honsinger) et un teuton d’adoption (Sven-Åke Johansson) à croiser leur(s) science(s). Il y avait de faux mouvements de jazz, des souffleurs sans états d’âme, un violoncelliste imposait des lignes franches, le pianiste dévastait son clavier (normal : AvS !), on investissait le centre et on ne le quittait pas, violoncelle et piano s’isolaient pour mieux s’agripper, on décrochait des tensions-détentes… Et si n’étaient ces shunts systématiques, on classerait cet enregistrement parmi les plus évidentes références de la fourmilière improvisée.
 
A Umeå, en novembre 1989, on retenait les cymbales frémissantes du leader, le fin caquetage du sopranino de Wolfgang Fuchs, le trombone-poulailler de Günter Christmann, les crispations d’un violoncelle extravagant. Extravagant, ce cher Tristan Honsinger (qui d’autre ?), et la plupart du temps lanceur et guide d’alertes toujours soutenues par ses trois amis. Risque de décomposition, remous grandissants, souci de ne jamais récidiver, stratigraphie contrariée, voix sans assise, césures permanentes, disgracieux babillages, décapant duo violoncelle-accordéon, jungle déphasée : soit l’art de se rendre profondément ouvert à l’autre.

Au Dunois parisien en 1982, la guitare d’acier d’Hans Reichel réveillait les morts, un flipper passait par là, l’essaim Rüdiger Carl piquait à tout-va, Steve Beresford encanaillait un vieux standard, un cabaret improbable s’installait, la samba était d’épouvante et tous jouaient aux sales gosses (le batteur-accordéoniste semblait y prendre plaisir). A la fin du voyage, l’évidence s’imposait : le désordre avait trouvé à qui parler.


saj selected concerts

Sven-Åke Johansson : The 80’s Selected Concerts
SÅJ
Enregistrement : 1982-1991. Edition : 2014.
5 CD : Rimski / Erkelenzdamm / Splittersonata / Umeå / BBBQ Chinese Music
Luc Bouquet © Le son du grisli

10 octobre 2016

Festival Musica [2016] : Strasbourg, du 21 septembre au 8 octobre 2016

festival musica 2016

Le Festival Musica de Strasbourg, qui en est à sa 34e édition, est en général très largement dévolu aux musiques contemporaines plutôt académiques, voire institutionnelles, nonobstant quelques ouvertures à l'occasion de certaines éditions à des esthétiques plus proches des musiques improvisées (surtout lors de ses quinze premières éditions (Un Drame Musical Instantané, Anthony Braxton, Cecil Taylor, Trio Traband a Roma, Cassiber, Phil Minton, David Moss…). Les musiques électroacoustiques, plus précisément acousmatiques, y furent longtemps les parents pauvres : absentes de certaines éditions, tout au plus une rencontre parmi la trentaine de rendez-vous proposée chaque année, elles ont l'honneur de cette présente édition. Est-ce dû à la création d’un département consacré à ces esthétiques au Conservatoire de Strasbourg, appuyé par le partenariat avec l’Université de Strasbourg / HEAR (Haute école des arts du Rhin) ? Toujours est-il que le programme de l’édition 2016 de Musica alignait près d’une dizaine d’événements en rapport avec ces courants des musiques contemporaines.

La première semaine (du 21 au 24 septembre) à laquelle on peut rattacher la soirée du mercredi 28 septembre avec le concert de Thierry Balasse (Messe pour le temps présent) tournait principalement autour du GRM, dont le directeur actuel, Daniel Teruggi, présenta en prologue l’acousmonium, avant d’animer une discussion avec Thierry Balasse et eRikm. Cette installation permit tout d’abord d’entendre des créations de certains étudiants de la classe du département d’électroacoustique de l’académie supérieure de musique de Strasbourg, ainsi qu’une de l’enseignant coordinateur, Tom Mays dont le Presque rien pour Karlax usait d’archives de Luc Ferrari fournies par Brunhild Ferrari. Parmi celles des trois étudiants, Dreaming Expanses d’Antonio Tules apparaissait la plus évocatrice d’un cinéma sonore, les deux autres, quoique ambitieuses, affichaient encore un côté « étude » moins propice à l’imaginaire de l’auditeur : très techniques et pleines de heurts pour Les cheveux ondulés me rappellent la mer de mon pays, du Chilien Sergio Nunez Meneses, une utilisation plus intense des ressources de l’ensemble de l’acousmonium, avec Registres de Loïc Le Roux.

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Le lendemain, ce fut la présentation de la dernière œuvre de Pierre Henry (absent pour raison de santé), Chroniques terriennes. Celle-ci n’a pas la densité sonore d’autres œuvres du maître, et pourrait presque s’apparenter à une sorte d’écologie sonore, proche de l’acceptation canadienne de ce vocable, avec ses stridences de cigales, ces ululements ou roucoulements s’ils n’étaient perturbés par des sonorités plus mécaniques, plus anthropiques. Assurée par Thierry Balasse, la diffusion spatialisée de cette création fut suivie par celle de Dracula, créée il y a une quinzaine d’années.
Les auditeurs de Musica retrouvèrent le lendemain l’acousmonium du GRM pour deux sets de présentation d’œuvres réalisées en son sein. D’abord quelques œuvres historiques (deux études de Pierre Schaeffer, forcément, trois œuvres de la fin des années 1960, début 1970 à travers Luc Ferrari, Bernard Parmegiani et François Bayle, dont L’expérience acoustique use de sons empruntés à Soft Machine !, et plus récente, Anamorphées de Gilles Racot). Histoire de montrer les diverses approches. Le second set proposait des œuvres plus récentes. Celle de Vincent-Raphaël Carinola, Cielo Vivo, basée sur quelques vers de Garcia Lorca et offrait une spatialisation intéressante à une trame mouvante et fortement rythmée, plutôt emphatique. Draugalimur, membre fantôme d’eRikm devait suivre : « C’est une pièce que j’ai faite à la suite d’un voyage en Islande en 2013 er ça tourne autour d’un conte islandais sur l’infanticide des familles pauvres, un conte dont j’avais entendu parlé par une amie qui a beaucoup vécu en Islande. J’ai rencontré différentes personnes, je suis entré dans différents paysages, et avec Natacha Muslera nous avons fait des prises de sons... J’ai puisé dans ces enregistrements pour réaliser cette pièce en octophonie… »*. Peut-être la pièce la plus riche en sonorités des quatre présentées durant ce set. Celle de Guiseppe Ielasi, Untitled, January 2014, semble débuter comme une étude mais se meut peu à peu en un récit, parfois linéaire, tantôt plus animé. Springtime de Daniel Teruggi proposa un environnement sonore plutôt onirique, plaisant et prenant, assez rythmé, nourri toutefois d’une voix mutante tantôt proche de la diction d’un Donald Duck, tantôt plus cérémoniale, voire presque sépulcrale.

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Deux rendez-vous marquèrent la deuxième semaine. La soirée du mercredi 28 septembre, Thierry Balasse proposa sa re-création, plus instrumentale, et jouée par sa formation Inouie, de la Messe pour le temps présent de Pierre Henry, précédée de deux autres pièces, une récente création de Pierre Henry encore, Fanfare et arc-en-ciel, pièce plutôt ludique diffusée sur des haut-parleurs mixant orchestre et sons purement acousmatiques et Fusion A.A.N. de son propre cru, présenté par les musiciens d’Inouie (Thierry Balasse lui-même au cadre de piano, bagues-larsen, theremin, cymbale, cloches tubulaires, synthés…, Benoit Meurot aux guitare et synthé, Cécile Maisonhaute aux piano préparé, flûte, guitare, voix, Eric Groleau aux hang, cadre de piano et batterie, Eric Löhrer à la guitare, Elise Blanchard à la basse, Antonin Rayon aux synthé et orgue, enfin Julien Reboux au trombone).
ElectroA, ou la prestation soliste d’eRikm fut le second rendez-vous de la semaine. Dans un halo de lumière rougeâtre, le musicien improvisa pendant près d’une heure avec ses deux platines CDs, divers ustensiles et effets, mixant les sons, mettant d’autres en boucles, créant une fresque sonore mouvante, parcourue de pulsations avant d’évoluer vers des sections plus linéaires, presque minimales mais régulièrement perturbées par divers couinements, triturations, maintenant l’auditoire dans un qui-vive permanent.

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Les musiques électroacoustiques se déclinèrent en trois prestations lors de la troisième semaine de Musica. Les festivaliers eurent d’abord droit à un troisième acousmonium (après celui du GRM et celui de Pierre Henry) : c’est le studio Musiques et Recherches, de la musicienne belge Annette Vande Gorne, invité par Exhibitronic (Festival international des Arts Sonores, né à Strasbourg en 2011 auquel Musica a proposé une carte blanche !) qui en assura la maintenance pour diffuser quatre pièces, quelque peu inégales. La première, Avant les tigres, due à un jeune élève de Musiques et Recherches, Laurent Delforge était plutôt narrative, colorée, proposant une sorte de paysage mouvant sans agressivité. Annette Vande Gorne diffusa une de ses dernières créations, Déluges et laissés par les actions humaines, avec forces références (Claude Lévi-Strauss, Anatole France, Pasolini) et un questionnement. Pourquoi ? Cette pièce ne fit pas l’unanimité dans l’audience, contrairement à espace-escape, pièce de 1989 que Francis Dhomont présenta au public strasbourgeois après la courte séquence dévolue à Yérri-Gaspar Hummel (directeur artistique d’Exibitronic) et son point de contrôle C, qui évoquait, de manière plus emphatique (malgré les sons d’orage) la condition humaine, la liberté, les frontières.
Deux concerts mixtes (instruments et acousmatique conjoints) constituèrent le plat de la pénultième journée du festival, dont le concert de clôture officiel. Tout d’abord le décoiffant KLANG4, avec Armand Angster (saxophone, clarinettes), Françoise Kubler (voix, harmonica, percussion) entourés d’un platiniste / sampleur, Pablo Valentino, et du compositeur électroacousticien Yérri-Gaspar Hummel. Cette prestation fut aussi mixte dans sa conception, entre trame apparente écrite et pratique improvisée. Tout en nuances, les deux acousticiens surent créer un environnement sonore raffiné et renouvelé aux interventions d’Armand Angster qui, ainsi, dérogeait à l’attitude souvent convenu  inhérente à ses interprétations de la musique contemporaine, en se lâchant. De même, malicieuse, Françoise Kubler, vocalisant, minaudant, susurrant, chantant en diverses langues conquit son public. Un concert réjouissant.

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Drum-Machines. Cela fait un peu plus d’un an que l’on attendait cette création associant eRikm (interprète et concepteur) et Les Percussions de Strasbourg (à travers quatre de ses membres). Elle débuta en septembre 2015 par une première séance de travail, se met progressivement en place au cours de l’année pour être enfin présentée à cette édition de Musica. Le résultat, ce fut d’abord l’esthétique musicale d’eRikm démultiplié, densifié, qui, pendant près d’une heure, apparut comme une machine infernale dans laquelle les instruments acoustiques (frottés, triturés…) se confondaient tantôt avec les sons distillés par le compositeur, tantôt s’individualisaient délicatement tout en en proposant des  usages iconoclastes (qu’un jeu de caméras et d’écran permettait de visualiser) : vielle à roue, brindilles sur peau de tambour vibrant à la caresse d’une bille, plaque de métal, polystyrène… Un concert final étonnant et dynamique qui apparemment sut aussi ravir les aficionados des interprétations de musiques plus institutionnelles par les Percussions de Strasbourg.

P.S. Quoique ces quelques lignes se limitent volontairement à un aspect de la programmation, je ne peux m’empêcher de citer, parmi la trentaine d’autres rendez-vous concernant de l’édition 2016 de MUSICA, le compositeur espagnol Arturo Posadas, dont les œuvres « noires » (La lumière du noir, Anamorfosis, Oscuro abismo de llanto y de ternura), proposées par l’ensemble Linéa,Sombras (par le Quatuor Diotima, une soprano et un clarinettiste) et même Kerguelen (par l’orchestra national des Pays de la Loire) révélèrent une esthétique particulière. Il régnait dans ces prestations un esprit presque zeuhlien, en tout cas proche des ambiances distillées par Univers Zéro ou Présent. Et le même quatuor Diotima, avec Visual Exformation composée par le suédois Jesper Nordin** fit penser à l'Art Zoyd des années 1970. Voire à Sandglasses de la compositrice lituanienne Justė Janulytė (Musica 2011). Ou encore à Hildur Guðnadottir, violoncelliste islandaise (que Musica ferait bien d’inviter !)

Pierre Durr (textes & photos) © Le son du grisli

* extrait de l’interview réalisé pour le compte de Radio Bienvenue Strasbourg
** lequel a justement proposé sa pièce Pendants à l’ensemble L’itinéraire sur le CD Experiences de vol #8 édité par Art Zoyd Studio en 2010

2 mai 2017

Strotter Inst. : Miszellen (Hallow Ground, 2017)

strotter inst miszellen

Depuis la fin des années 1990, Christoph Hess fait tourner ses platines sous pseudo Strotter Inst. La particularité est qu’il ne prend même plus la peine de déposer de vinyles sur ses machines tournantes et donc qu’il compose dans le vide. C’est d’ailleurs là que réside le mystère de sa techno minimaliste ou de sa rotobik envoûtante.

Maintenant, la particularité de Miszellen est de prouver que Strotter Inst. ne respecte rien, même par la particularité dont je viens de parler. Sur ce double LP, il puise en effet dans ses influences musicales pour s’en servir de matériau brut (de défrocage). C’est ce qui explique que ce nouveau Strotter Inst., eh bien, ne sonne pas tellement Strotter Inst. Il n’en est pas moins recommandable, car Hess y ouvre des boîtes qui cachent des boîtes qui cachent des boîtes…

Et c’est à force d’ouvrir tout ça qu’il habille ses structures élastiques, jonglant avec des samples qui donnent à ses atmosphères de nouvelles couleurs. Si ce n’est pas toujours convaincant (je pense au violoncelle qui a du mal à faire bon ménage avec l’électronique sur la plage Asmus Tietchens ou à la relecture de Darsombra) on trouve quelques perles sur ce disque, que ce soit dans le genre d’une strange ambient inspirée par Nurse With Wound ou Ultra ou quand il joue à la roulette sous les encouragements de RLW. L’autre grand intérêt de Miszellen est qu’il permet de dénicher des morceaux d’indus sur lesquels on ne serait peut-être jamais tombé sans les conseils avisés de Strotter Inst.


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Strotter Inst. : Miszellen
Hallow Ground
Edition : 2017.
2 LP : A1. AAADSTY : Spassreiz beim Polen (a miscellany about TASADAY) A2. ABDMORRS : Yaeh-Namp (a miscellany about DARSOMBRA) A3. ACEEH IMNSSSTTU : Artigst nach Gutem changiert (a miscellany about ASMUS TIETCHENS) – B1. BEEEENQU : Snijdende Tests (a miscellany about BEEQUEEN) B2. DEHIN NOR STUUWW : 105 Humorous Print Diseases (a miscellany about NURSE WITH WOUND) B3. GIILLMSS U : Juli enteist Jute (a miscellany about SIGILLUM S) – C1. 146DP : typisch CH-Hofpresse (a miscellany about P16D4) C2. AHMNOT : Ahnenreihe O.T. (a miscellany about MATHON) C3. EFOSTU : Acid Hang (a miscellany about FOETUS) - D1. LRW : Keilhirnrinde... (a miscellany about RLW) D2. ÄDEKL : Seismic Sofa Gang 44 (a miscellany about DÄLEK) D3. ALRTU : Mysterious Flowershirts (a miscellany about ULTRA)
Pierre Cécile © Le son du grisli

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2 mars 2017

Barney Wilen : Moshi (Souffle Continu, 2017)

A l’occasion de la parution d’Agitation Frite, livre de Philippe Robert consacré à l’underground musical français de 1968 à nos jours, le son du grisli publie cette semaine une poignée de chroniques en rapport avec quelques-uns des musiciens concernés en plus de deux entretiens inédits tirés de l’ouvrage...

barney wilen moshi souffle continu

On commencera par dire le soin apporté par le label Souffle Continu à la réédition (deux LP, un DVD et un livret de taille) de cette référence Saravah : Moshi de Barney Wilen. De ces figures rares qui ne purent se résoudre à « exploiter un filon » – suite à l’enregistrement de la bande-son d’Ascenseur pour l’échafaud auprès de Miles Davis, pour celle qui nous intéresse –, Wilen disait en 1966 dans les colonnes de Jazz Magazine avoir rapidement eu « le sentiment de piétiner dans le bop » : « Je me suis senti pris dans un engrenage. J’avais l’impression que tout sortait d’un même moule. Ça devenait une musique stéréotypée. »

Alors, le saxophoniste fraya avec Jacques Thollot et François Tusques avant de publier sous son nom quelques expériences de taille : Auto-Jazz en 1968 et puis Moshi cinq ans plus tard. Caroline de Bendern, compagne de voyage à la caméra, raconte dans les notes l’occasion (tournage d’un film et enregistrement de sa bande-son) qui a permis à une équipée de sillonner l’Afrique de l’Ouest – certes, l’objectif était de relier Tanger à Zanzibar, mais des raisons géopolitiques ont changé tous les plans. Elle raconte surtout les diverses rencontres qui ont jalonné le parcours, notamment celle avec les Bororogis, nomades que le Moshi, un état de transe, « débarrasse du blues ».

Pour Wilen et ses camarades, ce long voyage a pu faire office de Moshi – le disque qui nous intéresse n’est-il pas l’un de ses effets ? Ambitieux, l’œuvre mêle ou juxtapose des enregistrements de terrain (mélodie de passage ou simple conversation, c’est là un « folklore » mis au jour) à des airs et à des chansons que le saxophoniste enregistra à son retour à Paris – avec Michel Graillier (piano électrique), Pierre Chaze (guitare électrique), Simon Boissezon et Christian Tritsh (basse), Didier Léon (luth), Micheline Pelzer (batterie) et Caroline de Bendern, Babeth Lamy, Laurence Apithi et Marva Broome (voix).

Comme la musique qu’il dispense, les notes du disque l’attestent : les musiciens qui ne furent pas du voyage ont su saisir quand même « l’âme de l’Afrique ». Si ce n’est quelques combinaisons maladroites d’une fusion tenant du mirage (le morceau-titre, au son duquel les musiciens prennent précautionneusement place dans le paysage, ou encore Zombizar), Moshi recèle de trésors : témoignages attrapés au micro, empreinte de mélodie laissé par un balafon, courte expérimentation opposant un xylophone et une guitare électrique, morceau de saxophone s’invitant à la fête ou sur le chant d’une inconnue…  Surtout, Wilen parvient là à composer de grandes pièces de joie : Gardenia Devil, sur des paroles en anglais de Bendern, et Afrika Freak Out, qui rappelle The Creator Has A Master Plan de Pharoah Sanders et Leon Thomas.

Le disque finira d’ailleurs dans un grand éclat de rire, à l’image du film de Bendern, A l’intention de Mademoiselle Issoufou A Bilma, que le bel objet qu’est cette réédition donne à voir. Expérimental, lui aussi, celui-ci raconte autrement le voyage au gré de scènes de la vie quotidienne (repas, bain, concours de beauté…) et – entre Jean Rouch et Chris Marker – au plus près des corps et des gestes. Sa bande-son, en décalage, lui donne un charme particulier et documente la façon dont l’image utilise ces sons glanés ou inventés. Voilà de quelle manière ce Moshi qui fantasma l’Afrique dans le même temps qu’il la fit exister nous revient aujourd’hui.

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Barney Wilen : Moshi
Souffle Continu
Edition : 1972. Réédition : 2017.
2 LP + DVD : Moshi + A l’intention de Mademoiselle Issoufou A Bilma
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

 

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22 août 2017

Festival Le bruit de la musique #5 : Saint-Silvain-sous-Toulx, 17-19 août 2017

le bruit de la musique 5

Vous arrivez dans la petite église de Domeyrot, un village de la Creuse. L'autel, baroque, coloré, naïf, est surmonté d'un Dieu-le-Père joufflu, assis sur un nuage floconneux. Les chaises sont disposées en long face à la chapelle latérale. Le concert est sur le point de commencer : un duo d'accordéonistes qui joue de la musique contemporaine. C'est curieux, vous dites-vous. Ça va être amusant. Sur la petite scène, deux chaises vides, deux accordéons posés au sol. Le premier musicien commence à jouer. C'est Jean-Etienne Sotty. Il est sur le côté, il enlace un autre accordéon. Un son long, tenu, tendu. Dans votre dos, vous percevez une sonorité, ténue, subtile, en harmonie. Une réverbération ? Non, un second accordéon, celui de Fanny Vicens. Ce qui vous arrive dans les oreilles et dans le cœur est d'une infinie tendresse pleine de légèreté. Ce n'est pas de l'accordéon, c'est le chant des anges. Vos yeux errent sur la sculpture d'une mignonne Vierge, toute de doré vêtue. Sur les candides peintures qui évoquent le ciel. Vous y êtes, au ciel.

xamp

Ce premier morceau joué par le duo Xamp est inspiré du gagaku, la musique savante japonaise, vieille de plus mille ans. Balayées, vos suppositions d'avant le concert. Ce n'est ni curieux, ni amusant : Xamp vous emmène plusieurs étages au-dessus de tout ça. Les deux musiciens sont les seuls en France à jouer d'instruments accordés en quarts de ton. A Domeyrat, ils interprètent des morceaux écrits spécialement pour leur duo, par Bastien Davis, Régis Campo et Davor B. Vincze. Et d'autres arrangés par eux-mêmes : du Ligeti et, clin d'œil aux racines de l'instrument, une musette de cour de Couperin. Certains sur un accordéon « normal », d'autres sur des instruments microtonaux. Le concert se déroule, splendide. Le public du festival, venu – souvent de loin – pour ces trois jours de musique, et quelques habitants du coin, sont sous le charme.

Arrive le dernier morceau. « C'est très important pour nous », expliquent les deux jeunes interprètes. Une création, rien de moins. La compositrice, Pascale Criton, est présente. Sa pièce s'appelle Wander Steps. Elle est, au sens strict, inouïe. Un son continu sort des deux instruments, un lisse ruban qui module doucement son accord avec de doux frottements. Et au-dessus, quelque chose flotte, tournoie, vibre. Ça danse au-dessus de la musique. Parfois c'est une soufflerie, un son chaud comme issu d'une forge. Plus tard, c'est une rotation d'étoiles dans le froid vide et noir de l'espace. Un seul souffle, du début à la fin de cette pièce, qui suspend le temps et envoie ses auditeurs illico au 7e ciel.

le quan ninh

Le Bruit de la musique est un festival inimaginable. A l'écart des sentiers battus, géographiquement (la Creuse est loin des grande migrations estivales) et musicalement. Comment imaginer écouter Xamp dans l'église d'un patelin de 220 habitants ? Ce jeune duo (formé il y a trois ans) est plus habitué aux salles de musique contemporaine de grandes villes qu'à ce lieu, simple et chaleureux, où les repas sont servis, public et musiciens mélangés, dans une prairie, sur de grandes tables collectives, dans des assiettes dépareillées achetées chez Emmaüs. Ce festival irréel, qui s'est déroulé à Saint-Silvain-sous-Toulx et dans des communes voisines du 17 au 19 août 2017, en est à sa cinquième édition. Et il marche bien. La direction musicale est assurée par Lê Quan Ninh et Martine Altenburger, tous deux membres-fondateurs de l'ensemble Hiatus, et de l'association Ryoanji. Des bénévoles viennent des quatre coins de l'hexagone pour donner un coup de main ici.

Une idée de la diversité des propositions ? Voici le Petit cirque de Laurent Bigot. La piste fait un bon mètre de diamètre. De bric et de broc, bouts de ficelle, cordes de piano, bidouillages électriques, trapéziste en papier découpé, ombres chinoises, acrobates jouets, et même un panda sur pile, en plastique, skiant sur deux concombres. L'univers de Laurent Bigot est farfelu, poétique, musical. Il faut le voir encourager un jouet mécanique comme si c'était un fauve sur le point se sauter dans un cerceau de feu. Un enchantement.

Apartment House est une formation britannique à dimension variable, créée en 1995 pour interpréter des oeuvres de musique expérimentale contemporaine. Les musiciens ont choisi de venir en Creuse en quatuor à cordes. Ils ont donné deux concerts. Le premier dans l'église de Domeyrot, avec entre autres, une pièce de Tom Nixon, entièrement en pizzicato, et un joyau écrit par Pelle Gudmundsen-Homgreen, qui joue sur des sortes de frottements du son, de vibration des quatre instruments collectivement. Pour employer une plate métaphore entomologique, on dirait un ballet d'insectes en vol, vibrionnant tous ensemble en de rapides aller-retour. Palpitant.

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Le second concert d'Apartment House s'est déroulé dans l'église de Toulx-Sainte-Croix, village perché sur une colline. Au programme, une pièce mythique (et atrocement difficile à jouer) de Jürg Frey, le String Quartet No. 2. Longue : près de 30 minutes. Ardue : elle joue sur de microscopiques variations autour de montées et de descentes d'archet, tous les quatre ensemble, sur un tempo immuable (et qui parfois semble ralentir). Avec, avant tout, un son extrêmement étonnant, comme blanc, bien en dessous de la vibration « normale » des instruments. Les violons, l'alto, le violoncelle ne sonnent pas pleinement, ils sont effleurés, avec une technique très particulière (un doigt appuie sur la corde, un autre la frôle un peu plus loin). C'est monstrueux à jouer, cela demande une intensité de concentration hors du commun. Du côté de l'auditeur aussi, il est nécessaire de se plonger dans un état de réception complet. Quand on y arrive, c'est l'extase ! Une vraie expérience de vie, au-delà de la musique.

Il faut aussi parler de Sébastien Lespinasse, poète sonore, qui a ouvert le festival, avec ses textes décalés, engagés, abstraits, et parfois sans parole. La poésie sonore est une des spécialités du Bruit de la musique (l'an dernier, on était tombé des nues en découvrant le dadaïste Marc Guillerot). C'est totalement régalant. Il faut saluer Konk Pack (Roger Turner, Tim Hodgkinson et Thomas Lehn). Ils sont plus connus que d'autres dans cette programmation, et ont été à la hauteur des attentes, avec un concert riche en dynamiques, atteignant des sommets d'intensité ébouriffants.

frédéric le junter

On a ri aux larmes lors de la prestation de Frédéric Le Junter, chanteur-bricoleur. Il fabrique des instruments de récupération, aux automatismes approximatifs, qui fonctionnent avec des pinces à linge et leur bonne volonté d'objets qui ont une âme. Il fait un peu le clown, il nous prend à témoin, il est drôle comme tout, il est bouleversant de sensibilité. Lionel Marchetti a, quant à lui, joué deux duos de musique électronique, l'un avec Nadia Lena Blue, l'autre avec Carole Rieussec. Je n'ai pas grand-chose à en dire, ça ne m'a pas énormément intéressée.

Beaucoup plus étonnant est le duo danse-saxophone de Lotus Eddé Khoury et Jean-Luc Guionnet. Lui, on le connaît bien. Elle, moins. Ils se présentent, debout, côte à côte. Il improvise, avec beaucoup de silences. Elle offre une danse abstraite, avec beaucoup de moments d'immobilité (qui sont à la danse ce que les silences sont à la musique). Elle reste là où elle se trouve, il n'y aucun déplacement, comme si elle tentait de danser le contraire de la danse. Ses mouvements sont souvent très ténus, minimalistes. Ou brusques et amples. Le plus intense, selon moi, est ce moment où elle bouge uniquement son estomac, mouvement à peine deviné par les spectateurs : elle est habillée comme vous et moi, un pantalon, un débardeur ample, qui par un léger flottement du léger tissu laisse deviner sa « danse du ventre », en harmonie parfaite avec le souffle du saxophone de son compagnon.

Lotus Eddé Khoury, avec Jean-Luc Guionet

Le clou du festival, sa ponctuation, le dernier concert avant le buffet final, est une proposition déjantée, animée par Fabrice Charles, Michel Doneda, Michel Mathieu et Natacha Muslera : Opéra Touffe. C'est une fanfare constituée de tous ceux qui veulent y venir, de préférence s'ils n'ont jamais soufflé dans une trompette, un trombone à coulisse, voire un hélicon. Trois répétitions durant le festival, des indications efficaces des quatre pros (qui ont fait jouer, depuis 22 ans, plus de 20 000 personnes dans cette formation). A Saint-Silvain-sous-Toulx, ils étaient 70, pour une heure de concert ébouriffant. Ou comment finir dans la joie collective et dans l'enthousiasme. Vivement l'an prochain !

fanfare de la touffe

Anne Kiesel © Le son du grisli

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