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Le son du grisli
6 mars 2012

Bernard Girard : Conversations avec Tom Johnson (AEDAM Musicae, 2011)

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En préambule de ses Conversations avec Tom Johnson, Bernard Girard dresse un fin portrait du compositeur et critique, soulignant l'importance dans son oeuvre de la partition et d'un échange réfléchi avec le public. Les entretiens, eux, suivent le cours d'une vie : étudiant à Yale, Johnson écoute un jour John Cage parler d'art et d'architecture. De son propre aveu, l'homme deviendra compositeur lorsqu'il s'installera à New York, en 1967 – quinze années plus tard, il gagnera Paris.

Après avoir évoqué Morton Feldman, Phill Niblock et Frederic RzewskiJohnson s'attèle à une définition du minimalisme qui souligne ses origines anciennes, sa pluralité féconde (musique répétitive, de bourdonnement, d'ameublement, de bruitage ou encore de silences – toutes différences étant de subtilités) et une traversée de l'Atlantique qui lui assurera de belles transformations (importance d'Eliane Radigue).

Pour ce qui est de son oeuvre musical, Johnson explique son intérêt pour les mathématiques et révèle son attachement à la note (moins soumise à modification que le son) quand Girard traite dans le détail de ses grands ouvrages (oratorio, opéra...) – étude que complètent deux textes sur l'art de Tom Johnson signés du mathématicien Franck Jedrzejewski et du musicologue Gilbert Delor. Du premier, citer un extrait : « Cage avait donné un premier tournant à la musique minimale. Tom Johnson lui en a donné un autre, en utilisant des structures algébriques. » Soulignant le rôle essentiel joué par Johnson dans l'histoire de la musique contemporaine, l'affirmation ne doit pas occulter la liberté et la fantaisie qui animent son art depuis plus de quarante ans.

EXTRAITS >>> Conversations avec Tom Johnson

Bruno Girard : Conversations avec Tom Johnson (AEDAM Musicae / Souffle Continu)
Livre.
Edition : 2011.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

8 mars 2012

El Infierno Musical : El Infierno Musical (Mikroton, 2011)

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Sur les mots d’Alejandra Pizarnik, poétesse argentine, Christof Kurzmann a pensé son propre Infierno Musical. Le Prince des Enfers de Bosch, coiffé de son chapeau-chaudron, préside à la rencontre de Kurzmann et d’invités de choix : Ken Vandermark, Eva Reiter, Clayton Thomas et Martin Brandlmayr. L’idée est la même que celle qui anime The Magic I.D. : faire appel à l’imagination d’improvisateurs souvent inspirés pour servir (voire améliorer) des chansons d’une pop expérimentale.

Créateurs d’atmosphères convaincants, ceux-là n’arrivent pourtant pas à contrecarrer les maladresses de Kurzmann : lorsqu’il récite (la prosodie rappelle David Sylvian, Mark Hollis ou David Byrne), sa nonchalance maniérée peine à convaincre ; lorsqu’il dirige, ses arrangements sont souvent naïfs quand ce n’est pas branlants ; ailleurs encore, il installe un folk qui en appelle à la soul ou se contente d’improvisations bridées pour espérer convaincre de l'originalité de son propos. Au-delà de deux ou trois courts moments appréciables, El Infierno Musical évolue loin de toutes fureurs, entre minauderies et fadeur.

El Infierno Musical : El Infierno Musical (Mikroton / Metamkine)
Enregistrement : 2009. Edition : 2011.
CD / LP : 01/ El Infierno Musical 02/ Ashes I 03/ Dianas Tree 04/ Para Janis Joplin 05/ Cold In Hand Blues 06/ Ashes II
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

2 avril 2012

Chicago Underground Duo : Age of Energy (Northern Spy, 2012)

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En quinze ans d’âge le Chicago Underground Duo (Chad Taylor, Rob Mazurek) n’aura jamais aussi bien porté son nom. Trouble et hypnotique pourraient être les adjectifs convenant le mieux à ces quarante-cinq minutes de  musique s’il n’était quelques rares saillies aux reliefs secs et coupants.

Les electronics portent cette musique et ne la lâchent plus. Et quels que soient les surgissements ordonnés par la dureté de la frappe de l’un (Age of Energy) ou le cornet vaporeux de l’autre (It’s Alright), ils enrobent et déterminent une musique aux densités inégales : la fusion est totale quand mbira et cornet dialoguent avec abandon (Castle in Your Heart) mais se perd quand la masse n’a rien d’autre à offrir que son inaction (Winds & Sweeping Pines). Disque en demi-teinte donc.

Chicago Underground Duo : Age of Energy (Nothern Spy / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2010-2011. Edition : 2012.  
CD : 01/ Winds & Sweeping Pines 02/ It’s Alright 03/ Castle in Your Heart 04/ Age of Energy
Luc Bouquet © Le son du grisli

8 mai 2012

Bérangère Maximin : No One is an Island (Sub Rosa, 2012)

bérangère maximin no one is an island

Je ne sais si on comprendra où veut en venir Bérangère Maximin en écoutant No One Is An Island. Il y a quelques années, j’avais, moi, déjà eu du mal à saisir l’idée de Tant que les heures passent  (Tzadik). Expérimental ? Illustration ? Folk bizarroïde ? Rien de transfigurant en tout cas.

Si No One Is An Island change un peu la donne c’est qu’on y croise des invités tels que Christian Fennesz, Richard Pinhas, Frederic Oberland et Rhys Chatham. Avec eux, Maximin remet parfois le couvert d’une musique électroacoustique légère diront les uns, simpliste diront les autres (avec Fennesz, elle se contente par exemple de contrefaire du Fennesz sur Bicéphale Ballade). D’autres fois, c’est plus abouti : avec Pinhas, elle signe un magnétique Carnaval Cannibale foutraque et répétitif, avec Chatham elle marrie sa légèreté avec la rudesse d’une trompette, et avec Fennesz une seconde fois sur Knitting in the Air elle prend, à la voix, des poses à la Kim Gordon qui ne choquent pas l’oreille.

Si bien qu’à la fin, on sent encore des hésitations chez Bérangère Maximin, mais on ne peut que constater que ses propositions s’affinent. Et lui adresser tous nos encouragements.

EN ECOUTE >>> No One is an Island

Bérangère Maximin : No One Is An Island (Sub Rosa)
Edition : 2012.
CD / LP : 01/ How Warm Is Our Love 02/ Un Jour, Mes Restes Au Soleil 03/ Knitting In The Air 04/ Carnaval Cannibale 05/ Bicéphale Ballade 06/ Where The Skin Meets The Bone
Pierre Cécile © Le son du grisli

16 mai 2012

Frode Gjerstad Expéditives

frode gjerstad expéditives

GjerstadSideFrode Gjerstad, Paal Nilssen-Love : Side by Side (CIMP, 2012)
Après Day Before One et Gromka, Frode Gjerstad et Paal Nilssen-Love se retrouvent en duo sur Side by Side, souvenir d’une tournée dans le Nord de l’Amérique datée de 2008. L’enregistrement est celui d’un concert donné au Spirit Room de Rossie : la paire y fut une autre fois efficiente : rapide, âpre, sèche, l’alto s’accrochant au cadre d’une caisse claire ou dérapant sur peaux. La clarinette basse, de prendre plus de place encore, jouant de ses peines ou arborant des sonorités hybrides que la batterie invective avec un panache égale.

FGTRIOMIRFrode Gjerstad Trio : MIR (Circulasione Totale, 2011)
Dans le Frode Gjerstad Trio, le contrebassiste Jon Run Storm a succédé à Øyvind Storesund. MIR revient sur la première rencontre de Gjerstad, Storm et Nilssen-Love, enregistrée au Café MIR à Oslo en septembre 2010. Là, le contrebassiste réussissait à se faire une place entre deux vigueurs complices : les débuts de la nouvelle mouture du trio sont en conséquence féroces.

eastofwestFrode Gjerstad Trio : East of West (Circulasione Totale, 2011)
9 avril 2011 à Stavanger : à la veille de partir en tournée, le même Frode Gjerstad Trio invente en espérant trouver quelques « trucs » : la prise de son est lointaine mais la verve du saxophoniste, la dextérité de Storm et la frappe de Nilssen-Love relativisent rapidement la chose. Bondissant, l’alto s’appuie en outre sur un duo rythmique qui fait désormais sa source d’inspiration de tout éclatement. A la clarinette, Gjerstad se réserve même un solo qui convainc des bienfaits de l’expression libre et isolée.

CTO-philaOsloCirculasione Totale Orchestra : PhilaOslo (Circulasione Totale, 2011)
Dates des concerts donnés par le Circulasione Totale Orchestra à trouver sur ce disque double : 30 janvier 2010 pour Philadelphie, 9 mars 2011 pour Oslo. Ici et là, le grand orchestre de Gjerstad impressionne encore : l’électroacoustique jouant avec les codes de la musique libre et même bruyante (présences de plus en plus affirmées de Lasse Marhaug et John Hegre), le swing corrompu par des élans individualistes (cet air de blues perdu que chante Bobby Bradford à Philadelphie), l’opposition envisagée comme manière de faire lorsque ce n’est pas le tour de la provocation (Anders Hana et Per Zanussi convertissant la musique d’Oslo au tout électrique). Monumental.

stinglargeCalling Signals : From Cafe Sting (Loose Torque, 2011)
Enregistré en 2007 au Café Sting de Stavanger, le Calling Signals de Frode Gjerstad et Nick Stephens était aussi celui d’Eivin Pederssen et de Louis Moholo-Moholo. L’accordéon changeant la donne, l’improvisation fait avec quelques tensions mais presque autant de subtilités. De hauts reliefs en atmosphères nonchalantes, le quartette profite d’ententes ponctuelles : celle de l’accordéon et de la contrebasse sur Rogaland ; celle du saxophone alto et des cymbales sur Trekkspill Blues. De l’enregistrement se dégage un mystère qui en fait une des références de la discographie du groupe.

6tetSekstett : Sekstett (Conrad Sound, 2010)
Dans ce Sekstett, Gjerstad n’intervient qu’aux clarinettes. Ses partenaires ont pour noms Håvard Skaset (guitares), Lene Grenager (violoncelle), Hilde Sofie Tafjord (cor d'harmonie), Børre Mølstad (tuba) et Guro Skumsnes Moe (contrebasse). Enregistrée en 2009, la rencontre est acoustique : les instruments à vent s’y emmêlent tout en s’y accordant, les cordes y glissent des pièges minuscules mais inévitables, et la musique infuse.

1 juin 2012

Birgit Ulher : Hochdruckzone (Entr'acte, 2012)

birgit ulher hochdruchzone

L’hommage qu’adresse ici Birgit Ulher à Bill Dixon débute au son d’un souffle grêle porté par un léger mouvement de balancier : approchant d’une mécanique complexe (trompette, enceintes, radio, objets…), il l’actionne bientôt. C’est alors l’intérêt d’Ulher pour les réactions en chaîne qui nous revient en mémoire. Les artifices instrumentaux sont multiples et les sons qu’ils inventent énigmatiques (grésillement, sirène, surfaces vibrantes, sifflements, pneumatiques, presque silences…).

D’actions et de leurs conséquences, Uhler fait donc son langage improvisé. L’abstraction n’est cependant pas son seul propos. La musicienne peut ainsi décider de faire tourner en chercheuse d’or un plateau large et rond : la rumeur naissante a un goût de métal qui contraste avec les notes que la trompette étouffe – mais qui pourront ensuite résonner – et débite par salves. Chaque nouvel enregistrement atteste l’évolution de l’art de Birgit Ulher, d’une pratique instrumentale obsessionnelle qu’elle ne cesse de parfaire.  

Birgit Ulher : Hochdruckzone (Entr’acte)
Enregistrement : 21-24 juin 2010. Edition : 2012.
CD : 01/ Antizyklone 02/ Hochdrukkern 03/ Zwischenhoch 04/ Grenzschicht 05/ Inversion 06/ Polar Kaltluft 07/ Hochdruckzone 08/ Isobaren
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

11 juillet 2012

Steve Lehman : Dialect Fluorescent (Pi, 2012)

steve lehman dialect fluorescent

Pour avoir plusieurs fois regretté que Steve Lehman ne mette sa sonorité singulière au service d’une musique qui le soit au moins autant, faudra-t-il dire de Dialect Fluorescent – enregistré en trio avec le contrebassiste Matt Brewer et le batteur Damion Reid – qu’il est un disque qui n’est pas loin de tenir de l’exception ?

Sans savoir si, enhardi par l’exception, Lehman envisagera de changer de cap, goûtons pour l’heure aux effets sur son langage d’airs choisis (Mr.E. de Jackie McLean et Jeannine de Duke Pearson, que l’alto soumet avec délice à l’épreuve de ses phrases courtes et bancales) et même à quelques compositions originales : Allocentric, dont la marche contrariée sans cesse par une fièvre inspirante que se transmettent les musiciens engage son auditeur, ou Pure Imagination sur lequel Lehman démontre sa force de frappe et convainc de ses dispositions pour l’art du rebond.

Mais – est-ce rassurant ? – Lehman reste Lehman, et voici qu’en Dialect Fluorescent se glissent quelques brouillons (euphémisme) qui le lestent : Foster Brothers et Fumba Rebel (tentatives perdues d'avance de funk hors de portée si ce n'est hors-sujet) ou, moins avilissant tout de même, Moment’s Notice, reprise de Coltrane épaissie par une section rythmique bravache. Ceci étant : trop tard, le mieux est fait et, si l’on sait qu'il est l’ennemi du bien, rien n’empêche de profiter d’un mieux quand l’occasion s’y prête.

Steve Lehman : Dialect Fluorescent (Pi Recordings / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2011. Edition : 2012.
CD : 01/ Allocentric (Into) 02/ Allocentric 03/ Moment’s Notice 04/ Foster Brothers 05/ Jeannine 06/ Alloy 07/ Pure Imagination 08/ Fumba Rebel 09/ Mr. E.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

3 août 2012

Terrie Ex, Paal Nilssen-Love : Hurgu! (PNL, 2012)

terrie ex paal nilssen-love hurgu

Hors d'Offonoff et Lean LeftTerrie Ex et Paal Nilssen-Love, qui publie la rencontre, improvisèrent  en 2009 aux Pays-Bas les quatre temps, impressions éthiopiennes relevées, d’Hurgu!

C’est Harar, d’abord, que le guitariste et le batteur assaillent en camarades : cymbales lancinées et slides sur cordes défaites qu’un aigu chasse pour prendre place dans le décorum vrombissant. Terrie Ex y va d’interventions brutes et changeantes (avec ou sans artifices, là en sourdine, ailleurs en furieux) sous des coups dont l’efficacité à remuer les bas-fonds pour en extraire des sons insoupçonnés a plus d’une fois été prouvée – récemment encore sous étiquette PNL sur Slime Zone ou AM/FM.

Les résultats donnés par l’association de deux tempéraments de feu sont entretenus par une fougue en partage : le médiator écrase quelques accords et découpe même leur chant, les toms jouent d’épaisseur et d’insistance, et voici les musiciens investis grenadiers : saturations et tambours roulants portent chacun des coups d’éclat sortis de leur rencontre. C’est de cette sorte, après avoir œuvré à la redécouverte, voire à la renaissance, du Swinging Addis, qu’Ex et Nilssen-Love traduisent en éthiopique de grands principes de no wave improvisée.

Terrie Ex, Paal Nilssen-Love : Hurgu! (PNL / Metamkine)
Enregistrement : 29 novembre 2009. Edition : 2012.
CD : 01/ Harar 02/ St. George 03/ Bedele 04/ Meta
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

14 mars 2012

Ostravská Banda : On Tour (Mutable, 2011)

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Le chef d’orchestre Petr Kotik a fait le choix des compositions interprétées par l’Ostravská Banda qu’il dirige. C’est pourquoi les deux CD recèlent de trouvailles, que ce soit dans les présences au répertoire de Luca Francesconi (sur Riti Neutrali, la violoniste Hana Kotkova est poussée dans ses derniers retranchements par ses camarades), Paulina Zalubska (qui signe une Dispersion tumultueuse) ou Bernard Lang (qui prouve que le contemporain peut être bien entraînant), ou dans les travaux d’arrangements que respectent le Canticum Ostrava  et les barytons Thomas Buckner et Gregory Purnhagen (sur une Passion langoureuse de Somei Satoh) ou le pianiste Joseph Bukera.

Et puis il y a John Cage, encore et toujours. Sur Concert for Piano and Orchestra, Bukera est la proie de ses collègues : Cage montre qu’il n’est pas tout de faire partie d’un orchestre, qu’il vaut même mieux s’entendre avec la masse  sous peine de se faire hacher le sifflet. Mais Cage peut aussi être une « simple » source d’inspiration : In Four Parts (3, 6 & 11 for John Cage) est une composition de Kotik qui utilise des percussions de toutes les tailles. Encore une fois, Petr Kotik s’est montré en musicien contemporain hétéroclite : c’est ce qui a toujours fait sa force. Je ne vois pas de raison que cela change.

Ostravská Banda : On Tour (Mutable)
Edition : 2011.
CD1 : 01/ Luca Francesconi : Riti Neutrali (1991) 02/ Petr Bakla : Serenade. 03/ Paulina Zalubska : Dispersion (2007) 04/ Somei Satoh : The Passion (2009) – CD2 : 01/ John Cage :  Concert for piano and orchestra (1957-1958) 02/ Petr Kotik : In Four Parts (3, 6 & 11 for John Cage) 03/ Bernard Lang : Monadologie IV  
Héctor Cabrero © Le son du grisli

11 octobre 2012

Øyvind Skarbø : Die, Allround Handwerker! (+3dB, 2012)

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Øyvind Skarbø est batteur de son état. C’est pourquoi on peut imaginer qu'est représentée sur la couverture de Die, Allround Handwerker ! une batterie étendue au maximum des possibilités permises par la (raisonnable) taille humaine. Ou encore une ville réduite et prête à résonner (un hommage à John Cage, encore ?). Ou un atelier au bois épais pour mieux supporter les coups.

La musique de Skarbø (et de Kresten Osgood qui joue avec lui) est pourtant minimaliste, tout du moins d’aspect. Les frappes et les constructions sont minces, la lutherie électronique craquèle contre le bruit de conques et un goût pour l’électronique s'impose. Grâce à elle, le batteur propulse des billes qui tournent dans un plateau ou repasse à l’envers une cymbale agressive. Elle contrastera avec la charley coincée en fin de parcours, comme sont coincés de beaux moments dans la volubilité de cet enregistrement explosif.  

Øyvind Skarbø : Die, Allround Handwerker! (+3dB)
Edition : 2012.
CD : Die, Allround Handwerker!
Héctor Cabrero © Le son du grisli

28 décembre 2012

Fritz Hauser, Boa Baumann : Architektur Musik (Niggli)

fritz hauser boa baumann architektur musik

En 1987, invité par l’architecte Boa Baumann à donner un concert à Castel Burio dans le Piémont, Fritz Hauser découvrait dans le même temps et un collaborateur inspirant et un pays – dans lequel le percussionniste s’est depuis aménagé un asile : Casa delle Masche. C’est l’histoire de cette rencontre et des fruits qu’elle ne cesse de donner que racontent, chacun à sa manière, un livre et un disque.

A l’œil, le premier réserve des couleurs qui parsèment la chronologie qu’Hauser et Baumann ont en commun : photographies et/ou plans du Castel Burio (où furent notamment donné Pensieri Bianchi et installé Fundus) et de Casa delle Masche, des projets d’architecture envisagée comme partition que sont Polyblox à Zurich et Triobox à Aarau, des scénographies de Schallmaschine (l’auditeur pouvant s’y promener à la Caserne de Bâle), Stilllifes et Schraffur (pour gong et théâtre). A l’image, ajouter la présentation par Hubertus Adam de chacun de ces travaux ainsi qu’un long entretien dans lequel Hauser dit voir en l’architecture l'alliée de la musique avant de louer les « boîtes à sons » que Baumann conçoit pour et avec lui.

A l’oreille, le disque découvre la voix de matériaux chantant qui se souviennent ou inventent des scènes de genres étonnamment musical : on y prend plaisir à entendre tomber la pluie ou à suivre le voyage d’un animal pressé, à chercher ce que nous cache Hauser et ce que nous révèle dans le même temps le tour qu’il nous joue, à nous repérer enfin dans cet espace-temps qu’il a pour nous pensés, décomptes dont les codes et balises se chevauchent et interfèrent. La cloche d’une vieille église nous ramène à la réalité : voilà un nouveau rêve que le culte, jaloux sans doute, ravit.

Hubertus Adam, Fritz Hauser, Boa Baumann : Architektur Musik (Niggli)
Edition : 2012.
Livre & CD : Architektur Musik
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

31 décembre 2014

John Hudak, Miguel Angel Tolosa : Garten (Winds Measure, 2014)

john hudak miguel angel tolosa garten

John Hudak (field recordings, processing) et Miguel Angel Tolosa (processing, mixing) demandent à l’auditeur de passer leur CD en mode « repeat ». Chronophage ? Peut-être. Mais chiche : on passera Garten en mode « loop » pendant des heures, des jours, des semaines…

De quoi nous faire tenir jusqu’à l’année prochaine voire passer toute cette année prochaine avec en bande-son leur ambient obsédante. Et avec leurs voix, à tous les deux. Car Garten est un enregistrement de voix et de sons qui mettent du temps à nous parvenir avant de devenir un bien meuble indispensable à notre confort. On le changera de place, de temps à autre. On l’abandonnera à son mode « repeat » ou « loop ». On se surprendra même un jour de l’année qui arrive à l’écouter et à l’apprécier. Alors on le laissera tourner encore et encore. C’est pourquoi Garten ne pouvait prétendre à être l’un des CD de l’année 2014. Il pourrait bien être l’un des CD de l’année 2015, 2016, 2017…

écoute le son du grisliJohn Hudak, Miguel Angel Tolosa
Garten (extrait)

John Hudak, Miguel Angel Tolosa : Garten (Winds Measure)
Rec 2005-2012. Edition : 2014.
CD : 01/ Garten
Pierre Cécile © Le son du grisli

9 novembre 2015

Chaz Underriner : Reinterprets Song 6 , Song 8, Song 9 by Anastassis Philippakopoulos (Edition Wandelweiser, 2015)

chaz underriner reinterprets song 6 song 8 song 9 by anastassis philippakopoulos

Les pièces d’Anastassis Philippakopoulos que « réinterprète » ici le guitariste Chaz Underriner ont été écrites pour d’autres instruments que le sien : flûte (Song 6, que les éditions Wandelweiser ont publiée plus tôt sous le nom du compositeur sur Songs And Piano Pieces), section de cordes (Song 8, qu’Underriner interprète avec trois autres guitaristes : Armin Abdihodzic, Greg Dixon et Robert Trusko) et clarinette basse (Song 9).

Trois chansons qui se suivent en toute discrétion, remuant légèrement sous l’effet des notes sorties de l’ampli. Elles – qui changent selon l’intensité de l’attaque du guitariste –, oscillent, traînent quelques secondes (les basses, surtout) puis disparaissent. C’est alors le moment de leur régénération : dans leur redite ou leur remplacement. Sur la couverture du disque, Michael Pisaro écrit que les suites d’événements que sont les pièces d’Anastassis Philippakopoulos obligent leurs interprètes à y trouver eux-mêmes la « chanson ». En prenant un peu de recul, Underriner en aura révélé les mélodies aspirées.



Chaz Underriner : Reinterprets Song 6 , Song 8, Song 9 by Anastassis Philippakopoulos (Edition Wandelweiser / Metamkine)
Edition : 2015.
CD : 01/ Song 6 02/ Song 8 03/ Song 9
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

25 avril 2005

Konono No1 / The Dead C : Split Single (Fat Cat, 2005)

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Le 18ème titre de la série de Split singles format 12’’ instiguée par Fat Cat records a le charme des utopies minuscules menées à bien. Ici, la rencontre des antipodes, d’un Sud géopolitique et d’un Sud géographique, du Congo Kinshasa de Konono No1 et de la Nouvelle Zélande de The Dead C. L’expérience comme point commun le plus fondamental.

Fondé par les guitaristes Michael Morley et Bruce Russell, The Dead C est un groupe incontournable de la scène rock improvisé / expérimental depuis bientôt vingt ans. Référence (australe) pour Sonic Youth, Pavement ou Sebadoh, il pose, sur ce single, 3 titres en guise d’explication sonore. Déstabilisé par les ruptures de rythme du batteur Robbie Yeats, un garage désinvolte se met d’abord en place (1). La voix tente des incursions chaotiques sur ce titre de « studio », avant de se taire le temps de deux instrumentaux enregistrés en concert. Là, il est encore plus facile de se faire une idée du goût des deux guitaristes pour les larsens et saturations de toutes sortes (2). Sur le vif, on évalue des effets dont on aura bien le temps, plus tard, de juger de l’opportunité. Quoiqu’il en soit, les trajectoires des cordes sont inébranlables, quoi que tente la batterie, qui cèdera bientôt, pour enfin accompagner les expérimentations nouvelles sur mouvements lents (3).

Sur l’autre face – la première, même , Konono No1 avait déjà délivré sa façon d’envisager un partage de ce genre. Amplifiant de manière artisanale des instruments traditionnels comme le likembé, n’hésitant pas à user de mégaphones, le groupe déploie une musique folklorique tirant sa superbe du crachin des rendus, de saturations qu’on tolère, et d’une énergie contagieuse au son de récitatifs repris en chœur.

Alors, tout devient plus clair, et l’on comprend mieux ce qui a permis d’oser ce rapprochement. Enregistrant sans faire appel au re-recording ou à l’utilisation asynchrone des multipistes, The Dead C et Konono No1 ont, en plus, une manière similaire d’accueillir les surprises sonores et de bien traiter les parasites de passage : à la fois désinvolte et sagace, elle convainc du bien-fondé du parallèle imaginé.

Konono No1 / The Dead C : Split Single (Fat Cat Records)
Edition : 2005. 

12": A/ Konono No1 : 01/ Lufuala Ndonga 02/ Masikulu - B/
The Dead C : 01/ 1 02/ 2 03/ 3
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

18 janvier 2008

Joe Giardullo: Red Morocco (Rogue Art - 2007)

giardullogrisli

A la tête d’un ensemble de 14 musiciens (parmi lesquels on trouve Daniel Levin, Joe McPhee, Lori Freedman, ou Dom Minasi), Joe Giardullo donnait en 2005 de belles couleurs au Third Stream de George Russell.

Ajoutant à son étude de la théorie une pratique en compagnie de partenaires compétents, Giardullo convoque ainsi quelques fantômes entre quelques phases improvisées : Gershwin autant que Schönberg sur les soupçons de cordes appliquées à OPB. Ailleurs, une musique impressionniste disparaît peu à peu sous l’insistance des cuivres (Memory Root), une progression contemporaine dispose des notes soudaines de piano sur d’autres mouvements de cordes. Et puis, en guise de conclusion, Giardullo peint sur Red Morocco un univers ouaté, subtil et décisif. Qui confirme la réussite d’une expérience dans laquelle beaucoup se sont perdus.

CD : 01/ OPB 02/ OPG 03/ 2T(m) 04/ Memory Root 05/ OPD 06/ Q-2G(e) 08/ Calabar 09/ Hikori 10/ Red Morocco

Joe Giardullo Open Ensemble - Red Morocco - 2007 - Rogue Art.

26 mars 2008

Rameses III: Basilica (Important - 2008)

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Partenaires occasionnels de David Grubbs, Christina Carter ou Fursaxa, Rameses III – trio formé par Spencer Grady, Steve Lewis et Daniel Freeman – voit ici remixées quelques unes de ses pièces enregistrées en concert : par Robert Horton, Gregg Kowalsky, Keith Berry et l’Astral Social Club de Neil Campbell.

Cousines, les réinterprétations prennent l’allure de longs et lents développements allant crescendo, faits de couches de rumeurs différentes perturbées à peine par l’apparition de parasites, de chuchotements ou des feulements d’un bestiaire peu rassurant. Dense, l’épreuve du remix persuade de la qualité des quatre intervenants.

Sur un autre disque, trouver les morceaux d’où est parti le projet : Origins aux nappes lointaines de claviers et aux guitares électriques prises de tremblement, sur lequel d’autres bourdons graves ne pourront rien contre les effets d’une conclusion plus mélodique. Dépareillées mais persuasives, les deux faces de Basilica.


Rameses III, Basilica (Keith Berry remix). Courtesy of Rameses III.

CD1: Basilica: 01/ After The Red Rose (Robert Horton / Rameses III remix) 02/ Basilica (Keith Berry remix) 03/ Rose Blood (Gregg Kowalsky remix) 04/ Tigers In The Snake Pit (Astral Social Club remix) – CD2: Origins: 01/ Origins I 02/ Origins II 03/ Origins III 04/ Origins IV 05/ Origins V

Rameses III - Basilica - 2008 - Important Records.

19 décembre 2008

Zeitkratzer, Keiji Haino : Electronics 3 (Zeitkratzer Records, 2008)

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Parti au son d’une combinaison sans nuance d’un lyrisme pseudo-contemporain et d’une simple musique post-industrielle, cet enregistrement d’un concert donné à Berlin par Zeitkratzer et Keiji Haino – dernier volume d’une série de trois collaborations motivées par le groupe de Reinhold Friedl – doit attendre quelques minutes pour convaincre ; et puis : s’imposer.

Après s’être laissé aller à une pratique expérimentale sur thérémin et saxophone, Haino abandonne l’espace sonore au développement d’un long tableau au sujet inquiet : cortèges de spectres engouffrés en tunnels, prêts à tout pour s’en sortir. Pour tout référent, l’intervention d’une note de clarinette basse, l’espoir d’une sirène à suivre, et, soudain, l’apparition d’un rythme implacable, remonté et endurant. Alors, l’ensemble peut céder sous les coups portés qui finissent de mettre au jour un univers véritable, à l'intensité désormais enfermée sur disque. 

Zeitkratzer, Keiji Haino : Electronics 3 (Zeitkratzer Records)
Edition : 2008.
CD : 01/ Ari I 02/ Aria II 03/ Sinfonia 04/ Drum Duo
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

8 mars 2016

André O. Möller, Hans Eberhard Maldfield : In Memory of James Tenney (Wandelweiser, 2015)

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Il y a une dizaine d’années, André O. Möller publiait son premier disque sous étiquette Wandelweiser : Blue/Dense, du nom d’une de ses compositions, beau jeu d’interférences entre les interprètes Erik Drescher (flûte basse) et Frank Eickhoff (live sampling). En 2007, c’était Eva-Maria Houben qui interprétait à l’orgue son Musik Für Orgel Und Eine(n) Tonsetzer(in).

Et puis plus rien, jusqu’à l’année dernière. Sous l’influence encore de son ouvrage pour orgue, Möller rendait hommage au compositeur James Tenney en compagnie d’Hans Eberhard Maldfeld. Tous deux à la trompette marine – on aurait pu imaginer un autre piano agacé de l’intérieur ou une harpe extraordinaire –, les musiciens y passent de rumeurs de cordes grêles en ronflements merveilleux et de paysages capables de tenir en une seule et unique seconde (one just second) en incommensurables zones de dépressions qui s’en nourrissent justement (expanding the universe).

C’est ainsi qu’In Memory of James Tenney ravira tout amateur de drone, et même : l’obligera à prêter l’oreille à des bourdons d’une autre trempe que ceux du commun. Portées par les oscillations, messes basses et cris de harpies s'y rejoignent en effet pour exprimer un même aveu : de force, monocorde et baroque.

in memory of james tenney

André O. Möller, Hans Eberhard Maldfield : In Memory of James Tenney
Edition Wandelweiser
Enregistrement : 2007-2014. Edition : 2015.
CD : 01/ In Memory of James Tenney I (One Just Second) 02/ In Memory of James Tenney II (Expanding the Univers) 03/ In Memory of James Tenney III (Reprise) 04/ In Memory of James Tenney IV (When Eight Is Seven)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

14 mars 2016

Free Jazz Group Wiesbaden : Frictions / Frictions Now (NoBusiness, 2015)

free jazz group wiesbaden frictions now

En cinq petites années d’existence le Free Jazz Group Wiesbaden n’aura enregistré que deux vinyles (le premier tiré à 330 exemplaires, le second à 500 : comme quoi, rien n’a vraiment changé). Les influences (ne parlons pas de maîtres : les vrais libertaires refusent les maîtres) de Michael Sell, Dieter Scherf, Gerhard König et Wolfgang Schlick se nomment Don Cherry, Ornette Coleman, Milford Graves, Ayler Brothers & co.

Entre Complete Communion (surtout) et BYG Sessions (parfois), Frictions (enregistré le 12 juillet 1969) récolte le free des (presque) origines. La trame est là, qui donne à chacun tout loisir de faire exploser le cri. Et personne ne s’en prive. Frictions Now (9 juillet 1971) admet et exige l’étreinte des stridences. Solos, amalgames et superpositions s’encastrent, se chevauchent. Nous sommes en plein cœur d’un cri furieux et enragé.

Ceci pour la face A. La face B sera plus nuancée, stagnante (tout est relatif !), interrogative, apaisée (tout est relatif, bis !). Et l’on quittera à regret ce chant du cygne blessé, ici, superbement réactivé.

frictions

Free Jazz Group Wiesbaden : Frictions / Frictions Now
NoBusiness

Enregistrement : 12 juillet 1969 & 9 juillet 1971. Edition : 2015.
CD : 01/ Frictions 02/ Frictions Now Part I 03/ Frictions Now Part II
Luc Bouquet © Le son du grisli

29 mars 2016

Staffan Harde : Staffan Harde (Corbett vs. Dempsey, 2015)

staffan harde

On peut encore apercevoir l’édition originale du seul vinyle jamais publié par Staffan Harde (1938-2004) sur le site de Mats Gustafsson – sous la photo, celui-ci notait : a true favourite of Thurston Moore! one of the most amazing and weird swedish and european records of freer jazz… with a young Bengt Berger on drums! very very very personal and simply fantastic! Aujourd’hui, Gustafsson signe les notes qui accompagnent cette réédition sur CD du label Corbett vs Dempsey.

On y lira entre autres choses que, sur sa petite île de Smögen, le guitariste enregistra beaucoup, autoproduisit quelques cassettes de ses travaux avant de faire éditer cette carte de visite faite d’enregistrements en solo ou en quartette avec Lars Sjösten (piano), Lars-Urban Helje (contrebasse) et Bengt Berger (batterie). Dès les premières secondes, on constate une rapidité d’exécution faite force de frappe – un rien de Billy Bauer – qui ne manque pas d’impressionner.

Mais l’invention d’Harde saisit encore davantage. Seul, il soumet ainsi sa pratique à des exercices inspirants : progressions affolées, digressions libres, suites d’accords renversées… sur lesquelles il pincera ou harponnera ses cordes, étouffera ses micros, travaillera son picking singulier, et qu’il comblera toujours de dissonances – voici les comptines qu’il emprunte sur Substance I & II débarrassées de leur candeur. C’est en effronté qu’Harde manie donc la guitare, et ce aussi bien seul qu’accompagné. En quartette (en duo aussi, une fois, avec Helje), il emmène des sortes de répétitions « informelles » qui n’en recèlent pas moins de moments rares : avec, à la relance, et Sjösten et Berger (qu'on entendra beaucoup par la suite avec Don Cherry), Harde développe un art musical sublimé pas un impératif : dire, et vite encore. Après quoi, il se retirera des affaires, en laissant derrière lui ce bel autoportrait en « substances ».

harde

Staffan Harde : Staffan Harde
Corbett vs. Dempsey / Orkhêstra International
Enregistrement : 1968-1971. Edition : 1972. Réédition : 2015.
CD : 01/ Substance I 02/ Incitement 03/ Bigaroon 04/ Substance II 05/ Cordial L 06/ Electrification
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

19 avril 2016

David Grubbs : Prismrose (Blue Chopsticks, 2016)

david grubbs prismorose

Autant le dire tout de suite, Prismrose ne bouleversera pas le cours du Grubbs. Mais le disque a ses charmes et si l’on est nostalgique on pourra même applaudir, ému, à cette collection de six pièces pour electric guitar (Grubbs n’y chante qu’une seule fois, et du Walt Whitman en plus) qui poursuivent l’introspective-exploration des deux CD An Optimist Notes the Dusk & The Plain Where the Palace Stood.

Cordes pincées, médiator, pompe, riffs… l'homme touche à tout pour explorer à la Telecaster le champ des possibles mélodiques et harmoniques. En plus, il varie les exercices : duos avec la batterie fouino-fouilleuse d’Eli Keszler (par trois fois), exploration libre ou historique (une rapide relecture de Guillaume de Machaut sur Cheery eh). Ici on pense (inévitablement) à la guitare de Jim O’Rourke et là aux soliloques de Jandek mais cette succession d’instantanés dit surtout beaucoup de la personnalité de Grubbs et de ses réflexions instrumentales…

prismrose

David Grubbs : Prismrose
Blue Chopsticks
Edition : 2016.
CD / LP / DL : 01/ How to Hear What’s Less than Meets the Ear 02/ Cheery Eh 03/ When I Heard the Learn’d Astronomer 04/ Manifesto in Clear Language 05/ Nightfall in the Covered Cage 06/ The Bonsai Waterfall
Pierre Cécile © Le son du grisli

les-disques_FLe samedi 23 avril,  David Grubbs et Pierre-Yves Macé seront à Paris, au Monte-en-l'air, pour parler du livre Les Disques gâchent le paysage paru aux Presses du Réel. 

5 septembre 2016

Richard Pinhas, John Livengood : Cyborg Sally (Souffle Continu, 2016)

richard pinhas john livengood cyborg sally

Il est fou, voire surnaturel, de constater combien les vieux délires programmatiques de Richard Pinhas font encore effet de nos jours. Après les rééditions Heldon, c’est au tour de son Cyborg Sally, enregistré avec John Livengood (clavier qui a joué dans Red Noise & Heldon), de le prouver – mention spéciale au Souffle Continu pour les efforts de réédition et à Stefan Thanneur pour cette magnifique double pochette de vinyle alors que le disque original était sorti sur CD.

Quand je dis « vieux », ce n’est pas aussi « vieux » qu’Heldon, of course… Inspirés par l’écrivain de SF Norman Spinrad et son Rock Machine, c’est entre 1992 et 1994 que Pinhas (electronics, guitars) & Livengood (electronics, sampling, digital process) ont accouché de ces onze morceaux intemporels. Et ça ne se sent pas, car les hallucinantes danses célestes, les chansons-cyborg, les morceaux d’ambient sur delay, les extraits d’opéra cosmique (référence à Wag) et les musiques de manèges intergalactiques de cette galette ont gardé une fraîcheur et une qualité qui surpassent même celles des plus récentes rencontres de Pinhas avec Oren Ambarchi ou Yoshida Tatsuya… Allez comprendre : c’est maintenant dans les vieux CD qu’on fait les meilleurs vinyles ?

cyborg sally

Richard Pinhas, John Livengood : Cyborg Sally
Souffle Continu
Enregistrement : 1992-1994. Réédition : 2016.
2 LP : A1 Intro : Hyperion A2/ Cyborg Sally A3/ Derita (toward a creepy afternnon) – B1/ Rock Machine : Red Ripe Anarchy B2/ Gilles Deleuze : Beyond Hyperion – C1/ Nuke (the ultimate « interface » interstellar part) C2/ Moira C3/ Wag (variation sur les quatre notes fondatrices de Parsifal) – D1/ Tales from Hyperion D2/ Ritournelle D3/ …
Pierre Cécile © Le son du grisli

21 février 2018

Shigemasa Horio, Itaru Oki, Kei Yoshida, Izumi Ose, Akira Ando, Makoto Sato : Paris, Le Chat Noir, 12 décembre 2017

makoto sato

À quelques pas des trottoirs verglacés du boulevard de Belleville, au sous-sol du bar Le Chat noir. Derrière une porte un peu dissimulée qui demande à ce qu’on ne l’ouvre pas, un sextet entièrement japonais. Makoto Sato à la batterie, Akira Ando au violoncelle, Izumi Ose à la voix et au piano (tous deux résidents de Berlin), et trois trompettes : le légendaire Itaru Oki, Shigemasa Horio (qui vient de Fukuoka, au sud du Japon), et Kei Yoshida.

Progressivement, la musique s'installe, sous-tendue par les motifs énigmatiques du violoncelle et le jeu plein d'espace de Sato, qui suspend souvent sa baguette dans les airs quelques instants décisifs avant de frapper. Les musiciens jouent d'abord en quartet. Quelque chose se met en place, avec assez de douceur pour qu'il soit possible de remarquer que les sons émis par les glaçons du verre d'un spectateur s'accordent étrangement avec ce qui est en train de se dérouler. Oki se lève et rejoint le groupe. Les deux trompettes se voient complétées brièvement par le mélodica d'Ose. Démarre un souffle collectif qui ne retombera pas.

Cette musique improvisée là, repose sur le son juste, et son plein potentiel se révèle quand elle peut faire entendre tous les sons justes à la fois. Les deux trompettes et le mélodica, bientôt les trois trompettes, jouent ensemble de longues lignes. Les musiciens, maintenant au complet, forment presque un cercle. Dans ce que jouent les trois cuivres se mêlent la pureté du son de l'instrument, la force de l'unisson, et l’ouverture vers toutes les possibilités du registre free. Une ligne rauque, presque brutale, de Yoshida, vient créer l'appel d'air. Le jeu de salive d’Oki, ses interjections de voix – auxquelles répondent les wordless vocals d'Ose –, forment comme un seuil derrière lequel existent les très nombreuses autres choses qu'il sait jouer. Des accords graves plaqués au piano à l'exact bon moment. La batterie qui passe un cap et montre qu'espace n'est pas l'inverse de puissance. Le chat noir sait où il va.

L'archet d'Ando a souffert, mais la musique a résonné très fort ce soir. Les musiciens se serrent la main. En haut, des gens fêtent un anniversaire. C'est une bonne soirée.

Itaru Oki par jjgfree  Ose Ando par jjgfree



Pierre Crépon © Le son du grisli
Photos originales : JJGFREE

 

22 juin 2020

Mesa of the Lost Women : Les tables noires (Specific, 2020)

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Quand on connaît (sans pour autant avoir terminé de le soupçonner) l’instrumentarium hybride d’Yves Botz, on n’est pas étonné d’apprendre que ses compagnons en Mesa of the Lost Women, Christophe Sorro et Florian Schall, sont respectivement au « metal » et au « glaire » en plus d’être à la batterie et au chant.

Sur son deuxième album (le premier, I Remember How Free We Were, datait de 2011 et ne donnait pas encore à entendre Schall mais Junko, en invitée), le trio improvise, fait tourner des tables – six, forcément noires – puis les renverse. La couleur choisie n’empêchant pas les contrastes, le vinyle compose de provocations en chambardements des chansons mues par quelle injonction et des plages instrumentales douées d’emportement.

Dans un bruit de ferraille ou sur un retour d’ampli, Mesa of the Lost Women conserve un équilibre qu’on ne dira pas savant mais sachant : son free – dans le premier volume d’Agitation Frite, Botz évoque Arthur Doyle auprès de Philippe Robert en amateur sidéré : Cette manière d’épuiser interminablement un son me sidère. Variations du corps totalement instrumentalisé sur une sonorité. –, sa noise et (quoi ?) sa mystérieuse chanson de geste. 

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Mesa of the Lost Women : Les tables noires 
Specific 
Edition : 2020. 

Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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7 novembre 2020

ESP Summer : 天国の王国 (Onkonomiyaki, 2020)

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On pourra trouver ici l'histoire résumée de Pale Saints telle que publiée dans le livre Pop fin de siècle. Et recommander bien sûr ce nouvel ESP Summer, lathe cut tiré à... 23 exemplaires.  

C’est une drôle de valse qui va d’abord sur deux accords : la guitare à l’avant, la voix – celle de Ian Masters – à l’arrière. Chevrotante, celle-ci dépose des paroles qu’on ne saisit pas tout de suite, occupé que l’on est à craindre pour l’équilibre d’un morceau qui ne fait pourtant que débuter. Comme pour un vieux Cocteau Twins (Blood Bitch, par exemple) ou une lasse danse de Lynch (Pinky's Dream, disons), on attend le mouvement de trop qui fera basculer l’ensemble…

Et puis c’est Masters qu’on réentend. Imposant une chanson qu’on n’attendait plus – c’est l’effet qu’auront fait tous les enregistrements du musicien depuis qu’il a quitté Pale Saints –, enregistrée en compagnie de Warren Defever (His Name Is Alive, entre autres). Kingdom Of Heaven nous chante ainsi le retour d’ESP Summer : un air prétexte et même une mélodie (celle du morceau-titre, qui court d’un bout à l’autre – qu’il soit franchement exécuté ou plutôt évoqué par la rumeur – de ces quatre plages), que Masters et Defever vont défaire, contrarier, réinventer.

Quelques notes passées en kaléidoscope et la lumière qui entre en jeu : la mélodie de Kingdom Of Heaven se délite lentement, peut s’effacer derrière une plage où une boucle de guitare compose avec une flûte et quelques percussions, plus loin revenir pour être aussitôt plongée dans un bain de vapeurs, ailleurs encore céder tout le terrain à une digression bruitiste.

Continuant de s’adonner en renégat à des travaux d’atmosphère qui se passent très bien de paroles – c’était déjà le cas hier sur Mars Is A Ten, album publié par Karina Square, ou plus récemment avec David Rothon sous le nom de Sore & Steal), Ian Masters continue de composer en ange du bizarre et fait de ce nouveau chant de délitement, de cet air à distance, la marque de son éternelle présence.

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ESP Summer : Kingdom Of Heaven
Onkonomiyaki
Edition : 2020.
Lathe Cut : 01/ Kingdom Of Heaven 02/ Noh Insect 03/ Universe 04/ Kingdom Of Taishogoto
Guillaume Belhomme © Le son du grisli


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