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Le son du grisli
2 avril 2023

Camizole : Erahtic

camizole erahtic le son du grisli

Certes, le son du grisli n'est plus, mais quoi ? De temps à autre, le son du zombie vous rappellera à son bon souvenir. 

 

Un Camizole sur le retour : enregistré il y a cinquante ans, Erahtic renferme les premiers enregistrements de Dominique Grimaud à la cithare bricolée, augmentée ici d’électronique, là de flûte ou de violon. Mais sous ses airs de vieilles bandes, l’album cache un peu de nouveauté.

C’est que les expérimentations d’hier ont été revues à la lumière du jour et gagnent en présence : le remuage sonore fait ainsi éclore des ritournelles de recyclerie d’une étonnante poésie ou la bande son d’un cinéma sans images on ne peut plus musical. Vents et cordes, sur un fil toujours, épousent le pleurage de ces archives qui bougent encore jusqu'à se mettre à danser.  

Pour les amateurs d'archives rares, noter que Souffle Continu réédite ces jours-ci Musiques pour garçons et filles, album de Vidéo-Aventures (Dominique Grimaud et Monique Alba ici épaulés par Gilbert Artman ou Guigou Chenevier, augmenté d'une poignée d'inédits... 

Camizole : Erahtic 
Edition : 2023. 
Rotorelief 
Guillaume Belhomme © Le son du grisli 

le son du grisli couv twitter

14 novembre 2016

For Promotional Use Only? Jemh Circs, Tucker Dulin & Ben Owen, John Chantler

for promotional use only jehm circs tucker dulin ben owen john chantler

Piqué par quelques remarques (la loi des séries, en mai et juin et même si mai et juin c'est déjà loin c'est quand même beaucoup) de lecteurs (c’est donc qu’il y en a, et ils sont parfois musiciens >> smiley clignant de l’œil) sur mon travail de « critique musical », l’envie m’a titillé d’expliquer pourquoi je fais vite et pourquoi je ne décris pas tant que ça la musique des galettes que je reçois. Et puis non. Non, je n’expliquerai rien, mais je promets que je ferai pire. Car je peux faire (encore) pire, évidemment. En plus de mon incapacité choisie (oui) à ne pas décrire, voilà que je survolerai maintenant la production FPUO (For Promotional Use Only > c'est pas à un mois de la fin des chroniques de disques en ligne sur le son du grisli que je vais lancer une rubrique, dommage mais tant pis j'avais qu'à y penser avant) que je reçois. Après tout, quand un disque est mauvais sa copie l’est tout autant (et même parfois elle saute mais parfois vaut mieux pour elle) et me voilà dans l’impossibilité de le revendre à un prix défiant toute concurrence = à la poubelle. Et dans la banlieue silencieuse où je réside, je suis lourdement taxé sur les déchets.

Dans la banlieue silencieuse où je réside, donc, qu’avais-je besoin de ces sauts de puce électronique, de ces plages qui ont la bougeotte triste ? La copie d’un LP de Jemh Circs (CD-R LC 06790 tamponné des noms de l’artiste et du label Cellule 75) qui saura ennuyer tout amateur de bonne électro à synthés. Du Bel Canto mou de la glotte ou du Momus instrumental qui se la jouerait expé (tiens là un bruit de verre, tiens là un larsen, lequel je garde putain ?…).



Quitte à donner dans l’expérimental, j’ouvre la pochette du Tucker Dulin / Ben Owen. Dans la version que j’ai reçue de For Echo of Echo il y a un carton plié en deux (un « /30 » apparaît au dos mais le mien est barré par un trait de crayon) et un CD-R (TDK 52X 700MB). Une demi-heure d’une prestation enregistrée en 2013 à New York, dans une galerie au public comblé je n’en doute pas par des bruits de trucs traînés par terre, un drone électronique ou deux notes de cuivre (je ne saurais dire lequel)… Je ne comprends pas vraiment ce que font Dulin et Owen, ce qu’ils cherchent et pourquoi ils pensent que le son de leur performance pourrait m’intéresser. La question restera en suspens.



Comme la question que pose John Chantler : Which Way to Leave? Retourner au bidouillage électro ? Bon. Va pour le Chantler alors… Un autocollant avec la tracklisting et les infos de base sur une pochette cartonnée avec dedans un autre CD-R imprimé… D’une autre trempe que celle de Jemh Circs, la copie de celui-là, alors qu’elle aussi peut sautiller mais avec une gaucherie classe qui la rend intéressante. Bizarre dans sa façon de se tenir, de s’aplatir à la Eno ou de saturer à la grecque, Chantler accouche d’une belle œuvre abstracto-dépressionniste. Ce qui me fait avouer qu’il y a bien sûr des FPUO que l’on garde. Et qu’il peut même arriver que le pauvre chroniqueur de banlieue achète « le vrai » bon disque qu’on lui a gentiment copié pour que, avec un peu de chance et même rapidement, il en fasse encore mieux après la publicité.  



jehm

Jemh Circs : Jemh Circs
Cellule 75
Edition : 2016.
CD : 01-09/ Jemh Circs

tucker dulin ben owen

Tucker Dulin, Ben Owen : For Echo of Echo
Enregistrement : 2013. Edition : 2016.
CD : 01/ Echo of Echo

john chantler

John Chantler : Which Way to Leave?
Room40
Edition : 2016.
CD : 01-09/ Which Way to Leave?
Pierre Cécile © Le son du grisli

 

P.S. : N'hésitez pas à réagir à cette rubrique afin qu'elle ait une chance de se poursuivre dans la version papier du son du grisli.

4 mars 2024

Guy Le Querrec : Michel Portal au fur et à mesures

Certes, le son du grisli n'est plus, mais quoi ? De temps à autre, le son du zombie vous rappellera à son bon souvenir. 

 

Au son d’Our Meanings And Our Feelings – en couverture de ce disque Pathé daté de 1969, Michel Portal nous apparaît au saxophone sur le profil de Joachim Kühn –, on pourra ouvrir l’ouvrage épais, estampillé Les éditions de Juillet : Michel Portal au fur et à mesures. La « mesure » est plurielle, c’est entendu : de sa rencontre avec John Coltrane en 1962, nous dit la préface de Bernard Perrine, à ses pérégrinations africaines en compagnie du trio Sclavis / Texier / Romano, en passant par ces beaux clichés reproduits en références BYG Actuel (Sunny Murray, Dewey Redman, Gong), l’œil du photographe est à l’écoute – prolongeant la formule de Claudel, Michel Le Bris dira de Le Querrec qu’il est un « sonneur d’images ».  

 

13 mars 1964, Paris : à la Salle Wagram, Le Querrec prend des photos d’un concert de bienfaisance imaginé par Sonny Grey pour récolter de quoi permettre à Bud Powell, alors parisien, de payer ses frais d’hôpital. Dans l’orchestre de Grey, on trouve Bernard Vitet, Jean-Louis Chautemps et Michel Portal. C’est la première fois que Le Querrec photographie Portal : l’histoire peut commencer, que nous raconte Jean Rochard. Pourquoi attendre pour le dire ? La poésie de « l’homme de nato », en plus de ses connaissances et de son souci du détail, épouse à merveille cette rétrospective querreco-portalienne.

 

Guy Le Querrec, d’abord : première photo en 1954, premier Rolleiflex en 1959 (année de l’obtention de son bac), fréquentation de Jean-Pierre Leloir dès 1964, amitié naissante avec Henri Texier, et puis Mai 68, le Festival Panafricain d’Alger, Châteauvallon… C’est donc Rochard qui raconte : la langue est passionnée, vivante en conséquence, que viennent fleurir combien de témoignages choisis (musiciens, journalistes… ne semblent manquer que ceux de Brahms et de Mozart) et qui transforme jusqu’aux légendes des photos – voici celles-ci non pas seulement décrites mais plutôt remises en perspective (hors champ, qu’imaginer voir ?).

 

Michel Portal, alors : en 1968 auprès de Sunny Murray ou François Tusques, en 1969 avec Beb Guérin et Alan Silva, la décennie suivante à la tête de l’Unit (Portal et Vitet, Beb Guérin, Léon Francioli, Pierre Favre et Tamia. Jean Rochard recontextualise : la création n’est pas morte, c’est encore l’heure aussi de grands Buñuel, Mingus, Fellini, Ornette, Paosolini et aussi le temps des Gazolines ou du Vietnam arrêté pour l’éternité par le photographe Nick Ut. « Il serait pathétique de murmurer » écrit Rochard. Alors !!! Portal enregistre pour le Futura de Gérard Terronès.

 

A la fin des années 1970, le souffleur est sur la scène de l’Olympia ou à la Chapelle des Lombards en compagnie de Sunny Murray et Barre Phillips. A l’orée de la décennie suivante, c’est le suicide de l’ami Beb Guérin : « rien ne pourra plus être comme avant », explique Rochard. Une autre époque commence pour Portal (qui poursuit son œuvre avec Jenny-Clark, Lubat, Sclavis, Texier, Drouet, Don Cherry, Han Bennink ou Gil Evans à l’occasion du premier concert donné par l’Orchestre National de Jazz), dont la figure n’a pas fini d’inspirer Le Querrec. Qu’il répète, dirige, salue, voyage, écoute, sourit…, le musicien fait confiance au photographe : Le Querrec, lui, fait bel et bien sonner l’image. Et la musique de Michel Portal avec.

 

Guillaume Belhomme © le son du grisli zombie

 

5 janvier 2013

Sonny Sharrock : Monckey-Pockie-Boo (BYG, 1970)

SONNY SHARROCK MONKEY

Ce texte est extrait du troisième des quatre fanzines Free Fight. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié aux éditions Lenka lente.

Les clichés d’époque du guitariste Sonny Sharrock le montrent souvent les pieds empêtrés dans les câbles, comme inconscient de ce qui se passe autour de lui, la tête absorbée par un tourbillon de sons qu’il faisait passer en force et au feeling. Ce que confirme un peu, à sa manière, la photo de Jacques Bisceglia à l’intérieur de Monkey-Pockie-Boo, où cet Afro-américain taillé comme un colosse empoigne son instrument à bras-le-corps – et à l’image d’un style : hors normes et non intellectualisé.

Son confrère Noël Akchoté, qui lui a rendu hommage dans le cadre d’un bel album sorti par Winter & Winter : « Je me souviens d’un concert de Sharrock à Paris, vers la fin des années 1980. Sa bouche était pleine de médiators de toutes les couleurs, dans sa main chacun ne durait pas plus d’une minute. Ils se fendaient en mille morceaux, explosaient littéralement sous la pression et volaient de partout, sans cesse remplacés par des neufs qu’il sortait de sa bouche. Dans ses mains la guitare semblait à tout moment pouvoir être réduite en un tas de bois, de ferraille et de cendres. Ce n’était pas Jimi Hendrix, il s’agissait vraiment d’autre chose : jamais aucune méthode n’avait parlé de ça. » Et pour cause : Sharrock était un pionnier du genre, sans Dieu ni maître (au point de friser l’arrogance dans les rares entretiens accordés à ses débuts) et, indéniablement, le premier guitariste free de l’histoire du jazz.

sha3

Mouvementée, sa carrière fut criblée d’absences suivies de retours inespérés, mais aussi de désirs contrariés. Elle commença par le saxophone, abandonné pour des raisons de santé au profit de la guitare. En 1965, à New York, il joua brièvement avec Ric Colbeck, Frank Wright, Sunny Murray, avant d’enregistrer avec Pharoah Sanders le superbe Tauhid, où son style singulier (que l’on pourrait apparenter au dripping de Jackson Pollock), produisit l’effet d’une bombe dont la déflagration traversa surtout les suivants Black Woman et Monkey-Pockie-Boo, réalisés dans la foulée, avec son épouse d’alors, Linda Sharrock, dont les vocalises convulsives évoquent Yoko Ono en plus sensuelle, voire Patty Waters dans sa relecture sidérale de « Black Is The Color Of My True Love’s Hair » de John Jacob Niles.

Pour l’épauler sur Monkey-Pockie-Boo, une rythmique de feu : Beb Guérin, bassiste inspiré de beaucoup des sessions BYG (dont l’immense William Parker a reconnu la talent) ; et Jacques Thollot, batteur (et compositeur du mythique Quand le son devient aigu jeter la girafe à la mer), probablement sous LSD (ce qu’il m’a confié alors qu’il avait été programmé en solo à Marseille, au festival Nuits d’Hiver, il y a quelques années).

Noël Akchoté, encore : « Personne n’avait jamais osé se libérer à ce point de toute contrainte. Tout en lui semblait prêt à transgresser, exploser, brûler. Au diable les conventions : Sonny traversait le manche de haut en bas, mais aussi au-dessus, en dessous, sur les côtés, tout autour, sans complexes ni complaisance. » En 1994, Sonny Sharrock succombe à une crise cardiaque, laissant orpheline la scène downtown new-yorkaise et les Elliott Sharp & Co. qu’il a plus qu’influencés.

ffenlibrairie

2 juin 2012

Bobby Bradford : With John Stevens and the Spontaneous Music Ensemble (Freedom, 1971)

bobby bradford john stevens

Ce texte est extrait du troisième des quatre fanzines Free Fight. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié aux éditions Lenka lente.

C’est à Londres, en 1971, que Bobby Bradford enregistra en compagnie du Spontaneous Music Ensemble de John Stevens. A l’intérieur de celui-ci, on trouvait l’incontournable saxophoniste Trevor Watts et puis la vocaliste Julie Tippetts, le tromboniste Bob Norden et le contrebassiste Ron Herman. Watts se souvient des circonstances : « Celui qui a suggéré à Bobby que John Stevens et moi étions les musiciens anglais qui pourraient faire honneur à sa musique, c’est le journaliste Richard Williams, qui travaillait à l’époque au Melody Maker. Il a, en quelque sorte, joué les agents de liaison… »

bradford 1

Dans les notes du livret accompagnant la réédition sur deux CD de ces séances – sous étiquette Nessa, label qui les réédita une première fois sur vinyle au début des années 1980 –, Bobby Bradford confirme : « A l’été 1971, j’appartenais à un groupe de professeurs de l’enseignement public qui avait organisé un séjour en Angleterre pour peu cher. A cette époque, je n’avais pas le moindre contact à Londres, mais en Californie, on m’avait donné un nom : Richard Williams. Quand j’ai appelé Richard, il m’a dit qu’il aimerait que je rencontre quelqu’un. Quelques heures après, John, Trevor et moi jouions ensemble, et le jour d’après Bob Norden, Julie Tippetts et Ron Herman, se sont fait une place sur la photo. Nous avons donné quelques concerts dans des pubs de Londres et ses environs puis nous sommes entrés en studio. Ce fut un événement magnifique : totalement spontané, enivrant, fou… Pour John, Trevor et moi, ça a été le début d’une longue et fructueuse collaboration. »

Depuis le milieu des années 1960, le Spontaneous Music Ensemble travaille à son adaptation du free jazz. Né au Little Theatre Club de la cuisse du quintette que Trevor Watts et le tromboniste Paul Rutherford menaient de concert et dont John Stevens tenait la batterie, le groupe appliqua à ses improvisations les processus compositionnels élaborés par ce-dernier – qui voudra en apprendre davantage sur les click et sustained pieces devra aller lire l’ouvrage, récemment réédité par Rockschool, Search and Reflect : Concepts and Pieces by John Stevens.

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A l’origine du double disque né des efforts de Nessa, il y a un disque unique, édité en 1974 par le label Freedom. Faisant fi des compositions de Bradford – « Room 408 », « His Majesty Louis », en hommage à Armstrong –, il consigne une improvisation et deux compositions de Stevens capables de permettre la rencontre du jazz inventif et de l’improvisation telle qu’on l’applique alors en Angleterre. A en croire Watts encore, malgré l’enjeu, l’atmosphère est accommodante : « Bobby était sans arrêt disposé au mieux. Après chaque concert (à l’époque, je fumais encore), nous partagions d’excellents cigares cubains qu’il avait apportés. C’était sa façon à lui de célébrer les moments que nous passions ensemble. Côté musique, il a toujours été très ouvert… »

Côté musique, pour s’en tenir au contenu du disque Freedom, Bobby Bradford With John Stevens and the Spontaneous Music Ensemble est un enregistrement remarquable. En ouverture, trouver trois pièces de Stevens assemblées : « Trane Ride », « Ornette-Ment » et « Doo Dee », qui déploient une dramaturgie sonore aux multiples confrontations. Stevens y tient le rythme, les souffleurs y bataillent avant de se tourner le dos pour s’exprimer en individualistes : replis dans le free jazz, Watts sifflant lorsque Bradford claironne. Une improvisation, ensuite : « Bridget’s Mother ». De l’autre côté du miroir, l’association déroule le fil ténu qui sort de la bouche de Tippetts : l’indolence suit un principe de réflexion, trompette et alto font œuvre d’artifices quand Stevens tient le silence en respect entre deux baguettes. La batterie réapparaît sur l’autre face : « Tolerance / To Bob » est d’abord une marche désespérée qui respecte l’allure d’une valse perdue ; « Tolerance / To Bob » est ensuite un aveu de mordant retrouvé : Stevens y commande : Watts évoquant Archie Shepp à l’alto, Bradford comblant son free de lyrisme hautain, Tippetts brillant en épileptique inspirée. Le dosage est précis et la formule intense : on y trouve une véhémence doublée de mystère ; un chant unique élevé en brumes océanes.

bradford 2

5 mars 2016

Steve Marcus : Count's Rock Band (Vortex, 1969)

steve marcus count's rock band

Ce texte est extrait du troisième des quatre fanzines Free Fight. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié aux éditions Lenka lente.

A l’époque on parlait de hard rock, de free jazz et de jazz-rock, mais pas encore de free rock. Symptomatique de ce qui se trame alors, ce que tente le saxophoniste Steve Marcus s’étiquette difficilement. Dans les notes de pochette de l’édition française de Count’s Rock Band (il existe deux pochettes : la française, en couleurs, créditant à tort Larry Coryell co-auteur de l’entreprise ; et l’anglo-saxonne, toute de noir et blanc), Patrice Blanc-Francard s’interroge sur le contenu, et parle de free rock : gageons en 2011 qu’il s’agit de tout autre chose, plutôt d’une cohabitation d’idiomes divers, sans aucune véritable fusion. Steve Marcus n’est pas Roberto Opalio de My Cat Is An Alien : il reste les pieds bien ancrés dans le jazz, le free et le rock, il les aborde à tour de rôle, de manière convaincante – et accessoirement datée. Qu’il ait dès lors convoqué le guitariste Larry Coryell et le batteur Bob Moses, fraîchement émoulus des Free Spirits aux préoccupations voisines, n’a rien d’étonnant.

Steve Marcus 1

Ensemble ils enregistrent donc Count’s Rock Band, fidèle à cet œcuménisme assumé, et dont la première face, bien plus que la seconde, vaut le détour. En ouverture « Theresa’s Blues » s’y impose en douze minutes denses et groovy se terminant en un free chaleureux précédant une reprise (très belle et habitée) du « Scarborough Fair » de Simon & Garfunkel, avant qu’un morceau de batterie en solo de trente-cinq secondes ne vienne bizarrement clore la face. On parle peu de Steve Marcus, comme de John Klemmer, de Jim Pepper, d'Azar Lawrence (que Larry Coryell a accompagné) ou de Steve Grossman : probablement parce qu’ils ne sont que de petits maîtres à l’œuvre assez mince et inégal. Sauf qu’en compagnie du guitariste Larry Coryell, alors encore marqué par Hendrix et au sommet de sa créativité (souvenons-nous de son étincelant solo de « Communications #9 » au sein du Jazz Composers Orchestra dirigé par Michael Mantler), Steve Marcus offre le meilleur, comme il le fit d’ailleurs en quartette aux côtés d’un guitariste encore plus explosif, Sonny Sharrock, sur l’excellent Green Line, en compagnie de la rythmique Miroslav Vitous / Daniel Humair. Count’s Rock Band est originellement sorti sur Vortex, sous-label d’Atlantic dirigé par le flûtiste Herbie Mann, chez qui on a justement pu entendre Larry Coryell et Sonny Sharrock ensemble le temps de Memphis Underground ; Herbie Mann également producteur du sulfureux It’s Not Up To Us de Byard Lancaster. Sur la pochette de The Lord’s Prayer, disque suivant de Steve Marcus pour le compte du même label, la photo ornant le recto est du jeune Larry Clark, pas encore cinéaste.

Steve Marcus 3

ffenlibrairie

30 juin 2012

Marion Brown : Marion Brown Quartet (ESP, 1965)

marion brown quartet

Ce texte est extrait du troisième des quatre fanzines Free Fight. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié aux éditions Lenka lente.

coltrane brown shorter

LeRoi Jones (Amiri Baraka) vit en Marion Brown l’un des premiers disciples d’Ornette Coleman. L’un des premiers dignes d’intérêt, s’entend… Par Coleman, qui lui prêta plusieurs fois son alto de plastique et de légende, Brown fut en quelque sorte adoubé. Après quoi, d’autres figures de taille reconnurent le talent du saxophoniste au point de l’employer : Bill Dixon, Archie Shepp (Fire Music, février 1965) et puis John Coltrane (Ascension, juin 1965). De la séance, Brown se souviendra : « On a fait deux prises, et elles avaient toutes les deux en elles le genre de truc qui fait hurler les gens. Les gens qui étaient dans le studio hurlaient. Je ne sais pas comment les ingénieurs ont préservé le disque des cris. »

En novembre de la même année, Brown aura l’opportunité d’enregistrer pour la première fois sous son nom. Son premier disque, estampillé ESP, prendra celui de la formation qu’il emmène : Marion Brown Quartet – un quartette un brin changeant : sur « Capricorn Moon », on trouve ainsi le saxophoniste en compagnie d’Alan Shorter (trompette), Ronnie Boykins et Reggie Johnson (contrebasses), et puis de Rashied Ali (batterie). Boykins, membre de l’Arkestra de Sun Ra, est ici celui qui augmente le quartette, enfonçant le gimmick qui impulse « Capricorn Moon », composition d’obédience latine sur laquelle l’alto et la trompette pourront tour à tour vriller avec nonchalance – les usages de Boykins vont au gimmick, comme le redira « The Will Come, Is Now », morceau-titre de son premier disque, enregistré une dizaine d’années plus tard.

MARION BROWN DOS

Sans Boykins et en présence du saxophoniste Bennie Maupin en lieu et place d’Alan Shorter, Brown enregistre « Exhibition », titre qui joue lui aussi d’un gimmick et d’unissons. Ainsi donc, ce n’est que sur un des trois titres de Marion Brown Quartet qu’il est donné d’entendre le Marion Brown Quartet : « 27 Cooper Square ». Noter que la pièce est courte : moins de quatre minutes d’un bop virant free dont Brown occupe tout l’espace – les dernières secondes, Shorter s’y fait entendre avant de revenir au thème afin que le groupe en finisse. Pour compenser peut-être (sans doute pas, en vérité), la formation défendra une composition de Shorter : « Mephistopheles », qui sera écartée du pressage original – une autre version de ce titre, enregistrée le mois précédent par Alan Shorter sous la conduite de son frère Wayne, paraîtra sur un disque Blue Note, The All Seing Eye. Le saxophoniste dira de « Mephistopheles » qu’il est un cri que le diable en personne pourrait vous arracher.

Marion Brown 3

Si on ôta ce cri de la version originale de Marion Brown Quartet, il n’en résonne pas moins dans l’ouvrage puisqu’il est le souffle de vie que se partagent Marion Brown et Alan Shorter, l’entente sur laquelle fleurit « le genre de truc qui fait hurler les gens ». Avec Shorter et Maupin sur Juba-Lee, disque Fontana dont l’audace est intimidante, Brown plaidera avec autant de verve que sur Marion Brown Quartet en faveur de cette affirmation de Luigi Russolo : « La caractéristique du bruit (est) de nous rappeler brutalement à la vie ». Aucun des disciples d’Ornette Coleman n’aurait pu contredire la formule ; peu l’auront illustrée avec autant de panache que Marion Brown

guillaume belhomme philippe robert free fight camion blanc

 

27 mai 2012

Kenneth Terroade : Love Rejoice (BYG Actuel, 1969)

Ce texte est extrait du troisième des quatre fanzines Free Fight. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié aux éditions Lenka lente.

kenneth terroade love rejoice

Love Rejoice est la vingt-deuxième référence de la mythique série « Actuel » du label BYG lancé en 1969. Une année fertile, symptomatique d’un certain bouillonnement révélé par l’historique festival Panafricain d’Alger, mais aussi par celui d’Amougies, où rock progressif et free jazz partagèrent la même scène. La contestation visait alors l’ordre établi comme toute forme de hiérarchie et d’autoritarisme. A Paris, quelques mois après les événements de mai 1968, le jazz s’en fit écho.

Parmi toutes les galettes BYG, dont beaucoup ont fini par devenir cultes, Love Rejoice ne fait pas partie de celles que l’Histoire a retenues – pas plus d’ailleurs que celles signées par Acting Trio ou Claude Delcloo. En guise de préambule pourtant, sur la pochette, Jean-Max Michel du magazine Actuel insistait : « Ce disque marque le commencement d’une nouvelle ère dans la nouvelle musique en France. » Absence de nuances et lourdeur de tels propos laissent songeur… Car honnêtement, aussi bon soit Love Rejoice, celui-ci appartient sans ambigüité possible à une esthétique balisée bien avant sa parution, en France y compris, si l’on veut bien considérer le travail de François Tusques, d’ailleurs ici présent au piano. Ce n’était pas lui rendre service que d’en faire par avance une sorte de Something Else!!! qu’il n’est évidemment pas.

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Pareilles prétentions expliqueraient-elles les attaques dont il fut l’objet à l’époque, jusqu’à représenter, pour quelques critiques tout du moins, l’idée qu’on pouvait se faire d’un jazz certes libéré, mais pas franchement libre. Jean-Max Michel, à nouveau : « Ce disque n’a pas été préparé. Les thèmes de Kenneth Terroade et Ronnie Beer ont été écrits spécialement pour la séance et déchiffrés « sur le tas ». Cela permet à l’enregistrement de conserver tout son caractère de spontanéité, indispensable à l’élaboration d’une telle musique. » Pourquoi pas ? La méthode avait été préalablement expérimentée aux Etats-Unis, et les disques ESP offrirent la preuve qu’elle était capable de porter ses fruits : les musiciens peuvent s’occuper de tout, le producteur ne se chargeant que de la logistique, sans que cela soit forcément préjudiciable. Une politique qu’annonçait déjà, à sa manière, Blue Note, avec ses disques au personnel modulable à l’envi, parfois peu préparé (et aux résultats certes variables).

Quoiqu’il en soit, Kenneth Terroade (ici secondé par Ronnie Beer, Evan Chandley, François Tusques, Beb Guérin, Earl Freeman, Claude Delcloo) allait devenir une cible privilégiée de ceux qui commençaient alors de questionner le free après en avoir soutenu l’émergence. Dans Jazz Magazine, au moment de sa sortie, Love Rejoice ne récolta qu’un 5/10 bien sévère. Et Alain Gerber d’argumenter : « Après cinq ans de cogitations houleuses, on commence d’entrevoir pourquoi, comment et dans quels buts est produit le jazz libertaire. On commence aussi à faire le départ entre ceux qui ont authentiquement constitué les nouvelles formes – Ayler, Shepp, Cherry, Sanders, Taylor, Coleman, Coltrane – et les autres dont la « spontanéité », comme par hasard, s’exprime selon des modèles suggérés par les premiers. C’est là leur erreur et celle d’un certain free jazz « bis » proliférant en ce moment et marquant la clôture d’un jazz véritablement free. Le statut idéologique dont on pare une musique (plus ou moins arbitrairement mais c’est une autre histoire) ne fait rien à l’affaire : bourgeois ou révolutionnaire, le jeune musicien, ne serait-ce que par souci d’efficacité, doit faire ses classes. On peut se demander si cette expérience valait d’être enregistrée. »

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Que dire ? Que Kenneth Terroade avait bel et bien fait ses classes auprès des musiciens britanniques qu’il rencontra à Londres, et parmi lesquels Chris McGregor ou John Stevens. Et qu’ensuite il fit partie d’une des formations de Sunny Murray, sans conteste un batteur révolutionnaire, tout comme John Stevens d’ailleurs. Idem pour Ronnie Beer à quelques détails près (Evan Chandley – à l’époque – étant par contre le moins connu du lot). Certes ces musiciens sont des seconds couteaux du free, mais qu’en aurait-il été sans eux ? Sans cette marge qu’ils incarnaient de leur indubitable engagement ? Ne peut-on apprécier d’un même élan le cinéma des Straub ET le « bis » d’un José Bénazéraf, d’un Jesus Franco ou d’un Jean Rollin ? Bien évidemment OUI, même si Rollin ne possède ni la virtuosité des Straub ni leur sens de l’analyse.

Kenneth Terroade et ses amis, pour revenir à eux (François Tusques et Beb Guérin ne furent cependant pas visés par les attaques d’Alain Gerber), se bornèrent probablement au rejet d’un ensemble de conventions nées de l’exploitation commerciale du jazz, sans autre objectif que d’en jouir dans l’urgence de l’instant. Rien de mal, ni de futile à tenter l’expérience une énième fois. Finalement, par une des ces surprises que l’Histoire se plaît régulièrement à réserver, cette musique a fini par nourrir l’underground noise des années 1990 et 2000, dont certains représentants la reconnaissent séminale. Comme quoi cet enregistrement valait d’être réalisé. Et même si Varèse l’aurait certainement qualifié de « pompe à merde » (alors qu’un Bach l’aurait condamné comme « crierie » à la « monotonie diabolique »), il vaut d’être réécouté pour ce qu’il offre de beautés convulsives accouchées sans préméditation.

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25 septembre 2011

Selwyn Lissack : Friendship Next of Kin (Goody, 1969)

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Ce texte est extrait du troisième des quatre fanzines Free Fight. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié aux éditions Lenka lente.

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En Afrique du Sud, en plein Apartheid, la loi interdit les spectacles multiraciaux. Afin de jouer en compagnie des Blue Notes dont il est le leader, le pianiste Chris McGregor doit s’enduire le visage d’huile de santal pour dissimuler la blancheur de sa peau. Après moult tracasseries policières, ce sextette est invité dans le sud de la France, à Juan, en 1964, où l’écrivain James Baldwin s’en entiche. Dans l’impossibilité de rentrer chez eux, les Blue Notes s’exilent un temps en Suisse avant de gagner Londres où ils irrigueront des années durant les milieux du free, de l’impro et même la scène dite de « Canterbury » (Soft Machine, etc.).

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Plus jeune que Dollar Brand et McGregor, le batteur et sculpteur Selwyn Lissack, originaire de Cape Town, en fait de même avec l'idée de rejoindre les Etats-Unis : débarqué en 1966 en Angleterre, il y restera quatre ans. C’est là qu’il rencontrera le Français Claude Delcloo, fondateur de la première mouture du magazine Actuel, encore en grande partie consacré au free jazz avant qu’il ne soit racheté par Jean-François Bizot. Claude Delcloo fut aussi le batteur de beaucoup des séances de la fameuse série Actuel du label BYG ; il était alors le leader du Full Moon Ensemble : un album en leur seul nom, deux en tant que backing band d’Archie Shepp au Festival du Jazz d’Antibes / Juan-les-Pins.

En 1969, Claude Delcloo s’occupe d'un sous-label BYG, Goody, en compagnie de Jean-Luc Young. Si BYG a réédité quelques Savoy, Bill Dixon par exemple, Goody éditera en France quelques Delmark, de Roscoe Mitchell, Joseph Jarman et Sun Ra. En matière de création originale : une curiosité, les Mad Rockers de Joachim et Rolf Kühn, avec Volker Kriegel et Stu Martin. Et surtout l’une des grandes réussites du free anglais : Friendship Next Of Kin de Selwyn Lissack.

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Un disque qui marquera malheureusement le début et la fin de la carrière de Lissack, suite à des embrouilles avec Delcloo à en croire l’intéressé. Deux morceaux, un par face, tous deux produits par l’ex-chanteur du groupe de blues-rock Aynsley Dunbar Retaliation, Victor Brox, avec la crème d’alors. Mongezi Feza à la trompette, bien avant qu’il n’enregistre avec Robert Wyatt. Mike Osborne et Kenneth Terroade aux saxophones – ce dernier venait juste d’enregistrer le tonitruant Love Rejoice pour BYG. Harry Miller à la contrebasse, doublé par Earl Freeman, du groupe de Sunny Murray. Et, curieusement, un mystérieux narrateur, et un pianiste, tous deux non crédités sur la pochette. A priori le narrateur peut être l’un des musiciens de cette séance, et pour le pianiste ce serait également le cas : selon certaines sources autorisées, il s'agirait d'Earl Freeman, mais le doute plane encore.

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La carrière de Lissack sera météorite, dommage. Il aura toutefois le temps de graver un autre LP, The Sun Is Coming Up pour le compte de Fontana, sous le leadership de Ric Colbeck, autre légende du free, en quartette avec le même Mike Osborne, et le bassiste français Jean-François Jenny-Clark.

23 juillet 2011

Patty Waters : Sings (ESP, 1966)

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Ce texte est extrait du troisième des quatre fanzines Free Fight. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié aux éditions Lenka lente.

 

Malgré une discographie squelettique, Patty Waters est devenue une figure légendaire, statut renforcé par le caractère sporadique de ses apparitions et le peu d’informations biographiques qu’elle a laissé filtrer. On sait qu’elle a grandi dans l’Iowa puis n’a cessé de déménager : à Denver d’abord, où elle a découvert Billie Holiday, Nancy Wilson et Anita O’Day qui irrigueront le registre classique de son chant ; à Los Angeles, puis San Francisco ensuite, où en 1963 elle rencontre Lenny Bruce ; et à New York, en 1964, où elle chante aux côtés de Bill Evans, Charles Mingus, Jaki Byard, Ben Webster, avant qu’Albert Ayler ne la découvre et présente à Bernard Stollman, patron du jeune label ESP chez qui, colporte la rumeur, l’on enregistre les plus obscurs novateurs. 

 

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C’est là que sortent les mythiques Sings et College Tour. Dès le premier, la dichotomie qu’elle n’aura de cesse de sublimer est évidente. Thurston Moore, du groupe Sonic Youth, a son idée sur le sujet : « De mettre son timbre reconnaissable entre mille, et légèrement voilé, au service de standards réinventés, ne l’empêche pas, par ailleurs, de larguer les amarres dans de folles envolées libertaires où le chant se fait cri, avec la même conviction, au point que le contraste entre ces deux composantes de son style soit saisissant. »  Effectivement, sur Sings, la première face est consacrée à de déchirantes histoires derrière lesquelles on croit deviner des éléments autobiographiques qu’elle accompagne au piano. Ces histoires sont incarnées par une voix fragile dont on n’est pas étonné qu’elle ait plu à Miles, tant le ton de la confidence est quasi murmuré et très pur. Patty Waters sait insuffler une tension paraissant s’éteindre dans l’exténuation du souffle, et sa fêlure participe d’un art de la suggestion. 

 

Sur la seconde face, c’est avec la même émotion qu’elle se lâche dans Black Is The Color Of My True Love’s Hair, portée par le trio de Burton Greene, qui, comme elle, navigue entre plusieurs eaux, entre accords classiques, clusters et réitérations orientalisantes. Les cris perçants de Patty Waters, qui constitueront l’essentiel du live College Tour, influenceront Yoko Ono (dont le premier disque ne sort qu’en 1968), puis Diamanda Galas (dans la conceptualisation d’un cri expressionniste nommé « shrei »). Dans le jazz rares sont celles qui osèrent de telles dissonances : Jeanne Lee, Linda Sharrock, Abbey Lincoln, Annette Peacock.  Après ces deux opus (le second lui permit de croiser Ran Blake, Dave Burrell et Giuseppi Logan), Patty Waters participe en 1968 à un enregistrement du Marzette Watts Ensemble, le temps d’un Lonely Woman de haute volée.

 

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Ensuite c’est le trou noir. L’absence au jazz – tout comme James Zitro, Giuseppi Logan, Henry Grimes, autres légendes ESP longtemps disparues. Alors qu’elle est encore la compagne du batteur Clifford Jarvis à qui elle dédia un de ses plus beaux morceaux, elle quitte le Lower East Side pour la Californie. Longtemps seuls Steve Swallow et Art Lande auront des nouvelles. Avant qu’elle ne revienne, et que sa voix ne soit plus que cendres. Un groupe de rock indie, Teenage Fanclub, a repris son Moon, Don’t Come Up Tonight et lui a dédié un morceau tout bêtement appelé Patty Waters. Sous le nom de Piero Manzoni, le leader du groupe psychédélique Ghost, Masaki Batoh, a repris Black Is The Color Of My True Love’s Hair, en hommage à Patty Waters justement, qu’il vénère.

9 juin 2012

Kent Carter : It Will Come (Le Chant du Monde, 1979)

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Ce texte est extrait du troisième des quatre fanzines Free Fight. Retrouvez l'intégrale Free Fight dans le livre Free Fight. This Is Our (New) Thing publié aux éditions Lenka lente.

Parcourir de multiples directions. Affiner ses compétences en matière de composition parallèlement à l’improvisation. Ne pas négliger l’organisation. Allier les qualités d’un orchestre de chambre à la cohésion d’une petite formation de jazz : ce sont là quelques-uns des axes que le bassiste (également violoncelliste) Kent Carter a inventoriés.

Dès qu’il a commencé de s’exprimer sous son propre nom, son vocabulaire s’est tout de suite enrichi de nouvelles dimensions associées à la composition, envisagée comme une sorte d’accomplissement dans sa vie musicale. Chez lui, composer a correspondu à un besoin intérieur, quasi viscéral, ce dont témoignent Beauvais Cathedral (Emanem) et Kent Carter Solo With Claude Bernard (Sun Records), tous deux issus d’un travail entrepris dans l’Oise, près de Paris, au Château de Maignelay où s’est installé Kent Carter pendant un temps.

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C’est au début des sixties, à Boston, aux Etats-Unis, que Kent Carter commença de s’illustrer dans le jazz après avoir suivi l’enseignement de la Berklee School of Music. Fort des leçons d’Herb Pomeroy, il intégra d’abord la rythmique d’un club local, At Lennie’s, en compagnie du pianiste Mike Nock et du batteur Alan Dawson, accompagnant les Booker Ervin, Zoot Sims, Phil Woods, Charlie Mariano ou Sonny Stitt de passage. Plus intéressant, il fit rapidement partie du trio du pianiste Lowell Davidson, dont un album paru chez ESP offre à entendre Gary Peacock à sa place – dommage pour Kent Carter… Sauf que ce groupe, pendant les quatre ans dont il allait en faire partie, l’amena à rencontrer à New York ceux qui allaient révolutionner le jazz : Bill Dixon, Cecil Taylor, Carla Bley et Mike Mantler qu’il côtoya tous, notamment au sein du Jazz Composers’ Orchestra, avant d’enregistrer en trio avec Paul Bley et Barry Atlschul. A la suite de quoi l’Europe fut parcourue, en quête d’expériences, dont les plus célèbres demeureront celles menées avec Don Cherry, puis, régulièrement, aux côtés de Steve Lacy.

Kent Carter a beaucoup écouté Henry Grimes, mais aussi Scott LaFaro, Gary Peacock, Alan Silva, tous bassistes émancipés. Faire progresser son instrument, au milieu des seventies, l’interpelle. Et à ce titre, il initie une rencontre intitulée Paris Bass Revolution, ce dont rendit compte un concert au Musée d’Art Moderne de Paris en compagnie de Peter Warren, Beb Guérin, Jean-François Jenny-Clark, Jean-Jacques Avenel et Oliver Johnson. Un rendez-vous malheureusement raté par manque de préparation selon l’instigateur lui-même – dommage… 

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Dans sa collection dédiée aux instruments de musique, le label Le Chant du Monde donnera toutefois à Kent Carter l’occasion de se rattraper en travaillant, cette fois, d’arrache-pied. En 1975, Kent Carter avait d’ailleurs été du disque consacré par cette même enseigne au piano, et confié à Michael Smith – un disque sans compromis d’aucune sorte, singulier, complexe.

Complexe, It Will Come ne le sera pas moins, qui se consacre donc à la contrebasse, et dont les notes de pochette insistent sur l’histoire. Diversité des formes associées à l’instrument et des bois utilisés, importance du luthier, variétés d’archets : tout ceci est évoqué. Ceux qui ignorent tout de l’archet allemand (différent du français) apprendront que sa hausse, plus large, nécessite une prise différente à l’origine d’effets spécifiques. Le didactisme de bon aloi que voici ! Hommages sont aussi rendus à Bertram Turetzky, Gary Karr et Pops Foster : Bass is beautiful! 

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Pour autant, cet album dont les deux faces s’articulent différemment n’a rien d’un inventaire. Ou bien alors il s’avère si subtil qu’on ne s’en rend pas compte. La Face A s’ouvre par un blues au tempo de marche typique du pizzicato, suivi par un quatuor à cordes avec section rythmique (contrebasse et batterie) précédant le morceau-titre en trio avec Takashi Kako au piano et Oliver Johnson à la batterie. La Face B quant à elle surprend : il s’agit d’une suite pour orchestre à cordes et deux solistes, en quatre mouvements. L’orchestre s’y compose de deux flûtes, quatorze premiers violons, huit deuxièmes violons, quatre altos, six violoncelles et quatre contrebasses – y participent l’épouse de Kent Carter, Michala Marcus (à qui fut autrefois dédiée une bien belle ballade), et Carlos Zingaro.

De l’ensemble se dégage un univers éminemment personnel, rigoureux, et à rapprocher – dans un registre différent – du premier opus de Barre Phillips en solo, de son duo avec Dave Holland également, voire de Taxi de Joëlle Léandre, ou encore des Conversations entre François Méchali et Beb Guérin.
 

24 avril 2013

Paul Rutherford, George Haslam : Raahe ’99 (Slam, 2012)

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D’un côté : un trio finlandais (Samuli Mikkonen : piano / Ulf Krofors : contrebasse / Mika Kallio : batterie). De l’autre : deux vieilles connaissances (Paul Rutherford, George Haslam). Le 31 juillet 1999, tous se retrouvent au festival Jazz on the Beach de Raahen (Finlande). Les bandes réapparaitront douze ans plus tard. Elles sont aujourd’hui éditées par Slam, le label du saxophoniste.

En une suite improvisée de cinquante-trois minutes, souffleurs et section rythmique ne perdent jamais le fil d’une improvisation emportée. Différentes structures vont se succéder puis se retrouver. Le trio servira de tremplin aux improvisations à venir puis s’engouffrera dans quelque obstiné riff du saxophoniste. Lequel saxophoniste ne cédera rien de son lyrisme habituel, laissant au tromboniste le soin d’arpenter des travées infiniment plus audacieuses. D’un Haslam aux phrasés secs et vibrants, d’un Rutheford aux lignes relâchées et d’un trio ravi de l’aubaine, on n’écrira que l’essentiel : éclat, intensité, connivence, complicité.

Paul Rutherford, George Haslam, Samuli Mikkonen Trio : Raahe ’99 : For Paul Rutheford (Slam Productions)
Enregistrement : 1999. Edition : 2012.
CD : 01-07/ First Movement  08-12/ Second Movement  13-15/ Third Movement
Luc Bouquet © Le son du grisli

17 mai 2013

Ensemble Hope : Triptyque (EH, 2013)

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Ce qui fait d’abord la singularité de l’Ensemble HOPE de Marc Antoine Millon et Frédéric Bousquet, c’est l’instrument qu’il utilise : le cristal Baschet. C’est ensuite l’éclectisme savant de son répertoire, on ne peut plus classique (Purcell, Ravel) et on ne peut plus contemporain (Alain Labarouste, Alain Voirpy, Jean-Philippe Calvin, et Marc Antoine Millon).

Sur Music for a While de Purcell, les timbres de la sculpture sonore embrassent la voix de Maëlle Vivarès dans un mouvement qui fait naître à sa traîne des poussières symbolistes. Sur Styx de Calvin, d'une grande réussite, le cristal Baschet tourne le dos à tout lyrisme sous la pluie de percussions de Xavier Bluhm-Soubira.

Le groupe des quatre interprète aussi Satie (deux fois) et Poulenc. La Méditation du premier revêt les atours des minimalistes américains et Mon cadavre est doux comme un gant du second met, tout comme C’est l’heure exquise de Roger Steptoe, la soprano en valeur, certes, mais sur des effets surannés. Ce qui ne doit pas gâcher la fête que mène l’Ensemble HOPE : celle à l’intrépidité et au cristal Baschet.

Ensemble Hope : Triptyque (EH)
Edition : 2013.
CD : 01/ Henry Purcell : Music for a While 02/ Marc Antoine Million : Antigone 03/ Maurice Ravel : Prelude 04/ Jean-Philippe Calvin : Styx 05/ Erik Satie : Gnossienne 1 06/ Erik Satie : Méditation 07/ Alain Labarousque : Rota Sensui 08/ Francis Poulenc : Mon cadaver est doux comme un gant 09/ Roger Steptoe : C’est l’heure exquise 10/ Alain Voirpy : Six miniatures 11/ Anonyme : Ay Luna Que Reluzes
Camille Barbarin © Le son du grisli

5 janvier 2007

Dax Pierson & Robert Horton: Pablo Feldman Sun Riley (Nosordo - 2006)

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Sur Pablo Feldman Sun Riley, un membre de Subtle (Dax Pierson) et un punk sur le joli retour (Robert Horton) adressent un hommage à quatre compositeurs de premier ordre, tous genres exigeants confondus : Augustus Pablo, Morton Feldman, Sun Ra et Terry Riley.

Entamant la construction d’un univers reconnaissant, mais aussi en train de se construire, Winterlong convoque un mélodica et un violoncelle déraillant, une voix grave fantasmant le râle d’une bête imaginaire et quelques silences. Sans cohérence évidente, le duo travaille ensuite à une composition répétitive changée bientôt en amas de drones sortis de guitares (When A Stone Speaks) puis à une pièce dont les premiers airs de baroque non aboutis disparaîtront au profit de boucles et d’interventions bruitistes (Winterworld Dub).

Sûrs de leur bon droit, Pierson et Horton continuent de multiplier les effets, et l’inspiration de ne pas faiblir : des field recordings choisis du Drive Along the Boundaries of Nothingness remixé par Subtle aux dérélictions électroniques de Piece Of the Sun, des larsens minuscules infiltrés par quelques clics d’Offguard aux conspirations des guitares de Living Room Music, les charges sont nombreuses, et souvent prodigieuses. Prétexte sensible et évocation permettant toutes les libertés, Pablo Feldman Sun Riley trahit sur toute sa longueur les influences profondes de Dax Pierson et Robert Horton : de celles qui refusent toute copie ; là, davantage, pour être sublimées.

Dax Pierson, Robert Horton : Pablo Feldman Sun Riley (Nosordo)
Edition : 2006.

CD: 01/ Winterlong 02/ When a Stone Speaks 03/ Winterworld Dub 04/ Piece of the Sun 05/ Drive Along the Boundaries of Nothingness (remix of Subtle) 06/ Offguard 07/ Living Room Music
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

22 août 2007

Reinhold Friedl : Xenakis [a]live! (Asphodel Records, 2007)

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Ancien   élève   d'Alexander  Von  Schlippenbach, le  pianiste Reinhold Friedl dirige son bruyant Zeitkratzer, orchestre de chambre d'accord avec le fait de se faire régulièrement électroniquement traiter, dans le but de réinvestir quelques oeuvres anciennes (Metal Music Machine de Lou Reed) ou de défendre des impressions plus personnelles, comme ce Xenakis [a]live!, hommage appuyé au compositeur grec.

Ayant collaboré avec Lee Ranaldo ou Merzbow, Friedl éprouve autant d’intérêt pour la scène rock bruitiste que pour une musique plus écrite et généralement sourcilleuse. Ménageant l’une et l’autre, il érige ici un univers de métal, oscillant, sifflant de mille façons, sujet à toutes déflagrations avancées par les musiciens qu’il dirige. Musique industrielle soumise à des pressions diverses, grondements et larsens ayant peu de goût pour l’accalmie, Xenakis [a]live! est un oiseau de feu parti sur les traces d'Icare, avec le même zèle, le condamnant à la même fin.

D’abord persuasif, le discours perd en effet peu à peu de sa saveur, traîne sur la longueur d’un développement impressionniste manquant de diversité et évacuant les possibilités d’une remise en question à laquelle Friedl aurait bien fait de céder un peu. Pour aider le curieux à tenir, un DVD propose une création du vidéaste Lillevan, mise en images de Xenakis [a]live!, diversion en noir et or d’un exposé trop éprouvant sans elle.

CD + DVD : 01/ Xenakis [a]live!

Reinhold Friedl - Xenakis [a]live! - 2007 - Asphodel Records.

15 décembre 2006

Kahil El'Zabar: Big M, A Tribute to Malachi Favors (Delmark - 2006)

kahilsliEn compagnie du violoniste Billy Bang, le Ritual Trio du percussionniste Kahil El’Zabar rend un hommage plus ou moins adroit à Malachi Favors, contrebassiste de l’Art Ensemble of Chicago, personnage emblématique de l’A.A.C.M. et figure sensible du jazz d’avant-garde de ces 50 dernières années.

A ses propres compositions, Zabar insuffle pas mal de l’esprit du jazz pratiqué à Chicago depuis les années 1960: gimmicks efficaces installés par la contrebasse de Yosef Ben Israel (Crumb-Puck-U-Lent), savant mélange de soul et de free (Kan) ou impressions d’Afrique construites avant tout par la kalimba du leader (Oof).

Mais ici ou là, le groupe se montre moins convaincant: lorsque Ari Brown préfère le piano au saxophone sur le poussif Freedom Flexibility, tandis qu’il avait réussi à rattrapper de justesse au moyen de son ténor le frêle fantasme d’Orient qu’est Maghoustut ; ou quand Bang se perd dans un lyrisme déplacé (Oof) alors qu’il s’était montré plutôt inspiré jusque là.

Soit, un hommage en demi-teinte, fait autant d’adresse que de faux-pas. Mais duquel il suffit de retenir la dédicace sincère, sublimée par quelques moments de grâce, pour être, au final, approuvé.

CD: 01/ Crumb-Puck-U-Lent 02/ Oof 03/ Freedom Flexibility 04/ Big M 05/ Kan 06/ Maghoustut 07/ Malachi

Kahil El'Zabar - Big M, A Tribute to Malachi Favors - 2006 - Delmark. Distribution Socadisc.

28 décembre 2009

Julia Wolfe : Dark Full Ride (Cantaloupe Music, 2009)

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Julia Wolfe, co-directrice avec Michael Gordon et David Lang du collectif Bang On A Can (un festival à New York ; un ensemble, le Bang On A Can All Stars ; un label, Cantaloupe Music), explore comme ses deux comparses les versants d'une musique contemporaine qui allie les héritages d'Elliott Carter, de Steve Reich et de la No Wave. Et ces versants sont parfois un peu arides.

Dark Full Ride qu'elle fait paraître sur Cantaloupe Music est d'un conceptualisme qui laisse d'abord un peu perplexe. Sous-titré « Music in Multiples », il contient quatre compositions, dont trois font intervenir un seul instrumentiste. Celui-ci aura donc successivement enregistré les différentes pistes avant qu'elles soient mixées ensemble, à moins qu'il n'ait joué par-dessus les précédentes, ce n'est pas précisé par le livret du CD. Dans le cas de la première pièce, LAD, il s'agit de neuf cornemuses jouées par Matthew Welch et le concept fonctionne plutôt bien, du fait même de la puissance des sonorités de l'instrument. Les cornemuses nous transportent par leurs drones plaintifs et enchevêtrés, pleurant on ne sait quel aïeul à kilt.

Dark Full Ride pour quatre batteries est dénué de ces sonorités affectives et peine à faire passer les jeux démultipliés de cymbales et de toms pour autre chose qu'un savant exercice. My Lips from Speaking » pour six pianos est plus réussie bien qu'elle soit aussi très technique. Les clusters et notes froidement plaqués sur les claviers rejoignent par moment le jeu stride de l'époque du ragtime. Ils font également penser aux stupéfiantes pièces pour piano mécanique de Conlon Nancarrow. Le recours à des artifices technologiques est en effet indispensable pour l'interprétation de certaines partitions. D'autres passages, ceux composés de notes très éparses, évoquent György Ligeti.

L'album se termine par des cordes jouées à l'archet sur Stronghold, pour huit contrebasses, sur lequel un certain charme opère. La première partie est plutôt enjouée, puis on plonge dans un monde sonore fait de grondements funestes non dénués d'émotions. Comme l'annonce le titre de l'album la balade est totalement sombre. Elle s'apprécie surtout lorsque l'austérité du travail laisse un peu de place aux sentiments, aussi cafardeux soient-ils.

Julia Wolfe : Dark Full Ride (Cantaloupe Music / Amazon)
CD : 01-02/ LAD (for nine bagpipes) performed by Matthew Welch 03-04/ Dark Full Ride (for four drum sets) performed by Talujon Percussion Quartet 05-07/ My Lips From Speaking (for six pianos) performed by Lisa Moore 08-09/ Stronghold (for eight double basses) performed by Robert Black.
Edition : 2009.
Eric Deshayes © Le son du grisli

1 juin 2010

Zeitkratzer : John Cage (Zeitkratzer, 2010)

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Inaugurant avec ce John Cage – et un autre disque consacré : James Tenney – une série de disques intitulée Old School, le pianiste Reinhold Friedl s'empare de grandes pièces de musique contemporaine pour conduire autrement son Zeitkratzer – à paraître : Alvin Lucier et Morton Feldman

Si Zeitkratzer a plusieurs fois déjà servi Cage, le programme est cette fois exclusif, qui reprend Four6, Five et Hymnkus, pour se les approprier :  longues pièces d'ouverture et de conclusion aux usages harmoniques établissant des ponts avec les manières de Phill Niblock et qui profitent d'un Zeitkratzer fait prisme singulier – auprès de Friedl, notamment, la trompette de Franz Hautzinger, la contrebasse d'Uli Philipp, les percussions de Maurice de Martin ou les clarinettes de Frank Gratkowski. Les couleurs à sortir des interventions des neuf membres de l'ensemble naissent alors des effets du passage de claires oscillations en résonances caverneuses (de Four6 en fin d'Hymnkus). Five mis à part – piano rébarbatif mais sur miniature de seulement cinq minutes –, la lecture est d'abord surprenante, assez remarquable ensuite. 

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Enregistrement : 2006. Edition : 2010.
CD : 01/ Four6 02/ Five 03/ Hymnkus
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

24 mai 2010

OM : Willisau (Intakt, 2010)

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OM déversa sa bouillonnante improvisation free rock entre 1972 et 1982. En attestent quelques vieux vinyls Japo dont ECM publia, il y a quelques mois, une compilation (OM – A Retrospective). Le 28 août 2008, Urs Leimgruber (saxophones), Christy Doran (guitare), Bobby Burri (contrebasse) et Fredy Studer (batterie) se retrouvaient dans le cadre du Jazzfestival Willisau.

De cette improvisation indexée en douze parties, on retiendra les fulgurances (Part VI & X) ; transes portées avec autorité et où se déchaînent les violences d’un saxophone et d’une guitare tribales. On retiendra aussi ces moments d’attente inquiète avant implosion, ce saxophone aux décrochages salivaires vérolés, cette folie d’un métallique foudroyant. Peut-être pourra-t-on regretter ces crescendos obligés, ces tentations de faire couple mais, jamais, on ne les surprendra à douter ou à cadenasser une action. Ici, ils passent d’un fiel à l’autre, les mains, toujours sales, d’un cambouis épais et résistant. OM est de retour et en bon archéologue de la chose sonique, fouille et arpente inlassablement, chaos, stridences et périls passant à sa portée. Pour la tendresse, on repassera…

OM : Willisau (Intakt / Orkhêstra International)
Enregistrement : 2008. Edition : 2010.
CD : 01/ Part I 02/ Part II 03/ Part III 04/ Part IV 05/ Part V 06/ Part VI 07/ Part VII 08/ Part VIII 09/ Part IX  10/ Part X 11/ Part XI 12/ Part XII
Luc Bouquet © Le son du grisli

17 novembre 2011

Tom Waits : Bad As Me (Anti, 2011)

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Bad As Me ne bouleversera sans doute pas la discographie de Tom Waits mais il en est un bon élément. Un CD de rocaille, de folk et le blues, de rock pris aux racines…

Parfois quand même, c’est la grosse cavalerie (Chicago) et on peut frôler la chanson de marin (les Pogues ne sont pas loin sur Pay Me). Pour se rattraper, Waits se déguise en diva post-Billie (Kiss Me touche au cœur sous ses allures de My Man) ou, au contraire, distribue des claques comme lui seul sait le faire (comme Screamin’ Jay Hawkins savait le faire en son temps, sur des canevas aux vapeurs enivrantes).

Sur un disque de chansons, on peut souvent imaginer le chanteur seul et unique interprète ; or Tom Waits est, là encore, un cas à part. Il sait s’entourer. Pour preuve : Marc Ribot à la guitare (et parfois Keith Richards), Gino Robair aux percussions ou encore Clint Maedgen aux saxophones (dont un baryton qu’aurait sûrement embauché sur le champ Little Richard). Avec tout ça, on se dit que si la chanson est aussi bonne que Tom Waits prétend être mauvais (Bad As Me), alors on a bien le droit d'y revenir !

Tom Waits : Bas As Me (Anti / Pias)
Enregistrement : 2011. Edition : 2011.
CD : 01/ Chicago 02/ Raised Right Men 03/ Talking at the Same Time 04/ Get Lost 05/ Face to the Highway 06/ Pay Me 07/ Back in the Crowd 08/ Bad As Me 09/ Kiss Me 10/ Satisfied 11/ Last Leaf 12/ Hell Broke Luce 13/ New Year’s Eve
Pierre Cécile © Le son du grisli

23 novembre 2011

Marianne Pousseur : Only (Sub Rosa, 2011)

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Only est une sélection d’airs qui permet à la soprano Marianne Pousseur de faire état des belles manières qu’elle a de s’emparer de mots mis en musique. Seule le plus souvent et « en situations » (dans une voiture en marche, une chapelle ou encore en forêt), elle reprend-là Cage, Feldman, Scelsi

Derrière la voix douce, le bruit d’un clignotant : The Wonderful Widow of Eighteen Springs pour lequel Cage a emprunté des éléments à Finnegans Wake est une berceuse captivante qui s’effacera devant les notes en dissolution lente que Feldman a cachées derrière des phrases de Rilke (Only). Une autre berceuse, mais menaçante et enregistrée dans une école, saura inspirer Pousseur : ce celte Lustukru de Théodore Botrel qui en appelle à l’Hungry Child de Frederic Rzewski.

Le recueil renferme aussi des airs de Giacinto Scelsi et Hanns Eisler, compositeurs auxquels la chanteuse a déjà consacré deux ouvrages – Songs et Trei Canti Popolari – , leurs structures flottantes ou strictes lui allant à merveille. Peut-être est-ce ici que Marianne Pousseur doit être attentive à son équilibre et, habile, parvient à ne le perdre jamais. Ce que pourraient confirmer les exceptions que sont ces quatre chants sépharades au goût de folklore las ou la Lettre d’Epicure de György Kurtág : pièces plus accommodantes qui se laissent, elles, interrompre par les bruits de notre quotidien.

EN ECOUTE >>> Hungry Child

Marianne Pousseur : Only (Sub Rosa / Orkhêstra International)
Edition : 2011.
CD : 01/ John  Cage : The Wonderful Widow of Eighteen Springs 02/ Morton Feldman : Only 03/ Hanns Eisler : Von der Freundlichkeit der Welt Hanns Eisler 04/ Giacinto Scelsi : Hô 1 / Hô 2 05/ György Kurtág : Letre d’Epicure 1, 2, 3, 4 06/ Henri Pousseur : Mnémosyne 07/ Frederic Rzewski : Hungry Child 08/ John Cage : Experience N°2 09/ Sephardic Songs : El mundo entero / Abre tu puerta / Bre sarica / Que hermoza 10/ Henri Pousseur : Un jour 11/ Théodore Botrel : Lustukru 12/ Rudolf Sieczynski : Wien Wien nur du allein
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

8 décembre 2011

Ig Henneman : Cut A Paper (Wig, 2011)

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Sûr que les recrues du sextette d’Ig Henneman font pâlir d’envie plus d’un orchestre épais – qu’ils versent ou non dans la musique intègre. Ainsi y trouve-t-on aux côtés de la violoniste : Ab Baars (saxophone ténor, clarinette, shakuhachi), Axel Dörner (trompette), Lori Freedman (clarinette, clarinette basse), Wilbert de Joode (contrebasse) et Marilyn Lerner (piano).

Sur des compositions d’Henneman, le groupe accorde ses savoir-faire et ses penchants fantasques : à partir d’une citation de Monk, sert une pièce aussi cérébrale que ludique (Moot) ; touché par le souffle de Dörner, caresse d’autres espoirs de réduction (Rivulet, Precarious Gait) ; enivré par ses frasques instrumentales, entame une danse macabre (Cut A Paper) ou transforme des souvenirs de standards en pièce d’un théâtre musical où les tirades en démontrent (Brain and Body).

A la proue du vaisseau – Hollandais volant, il va sans dire –, Henneman peut ressasser une trouvaille mélodique et l’interroger au gré d’arrangements précis (Light Verse), commander à tel élément de sa troupe de s’en extirper, histoire de voir ce qu’il est capable d’inventer hors d’elle (Narration) ou encore peindre à coup d’archet des collisions d’oiseaux de feu (Toe and Heel). N’est-ce pas assez pour aller entendre Cut A Paper * ?

EN ECOUTE >>> Fervid
 
Ig Henneman : Cut a Paper (Wig)
CD : 01/ Moot 02/ Light Verse 03/ Brain and Body 04/ Rivulet 05/ Narration 06/ Toe and Heel 07/ Fervid 08/ Cut a Paper 09/ Precarious Gait 10/ A Far Cry
Enregistrement : 19 et 20 décembre 2010. Edition : 2011.
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

tm* et, ce samedi 10 décembre, l’Ig Henneman Sextet à Tours, dans le cadre du festival Total Meeting?

18 octobre 2011

Otomo Yoshihide, Axel Dörner, Sachiko M, Martin Brandlmayr : Allurements of the Ellipsoid (NEOS, 2010)

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Ces allurements, autrement dit attirances, concerneraient des musiques expérimentales envisagées à Berlin pour l’une, à Vienne pour l’autre, à Tokyo pour les dernières. Non pas nationales, mais géographiques, réunies en 2005, et trois jours durant, à Donaueschingen (latitude : 47.9594, longitude : 8.4989).

Sorte de jumelage concrétisé en terrain d’entente, ces Allurements of the Ellipsoid sont quatre qui célébrèrent autant de pratiques instrumentales délicates – si l’on compte pour une et une seule celle d’Otomo Yoshihide qui manie ici électronique, platines et guitare, et à qui le présent quartette aurait dû emprunter le nom. Ses trois autres éléments : Sachiko M (ondes sinus), Axel Dörner (trompette) et Martin Brandlmayr (batteries et percussions).

Tous engins de pressions intiment à l’instant de former sa musique à partir de souffles blancs, de frottements sur caisse claire ou de métal en résonance, de ronflements et d’aigus courts ou longs. Parmi l’ensemble et tout en l’augmentant sans cesse, les musiciens parviennent à faire œuvre de cohésion. Les éléments les plus concrets – la frappe régulée de Brandlmayr, les cordes lasses dans lesquelles bute Yoshihide – n’affaiblissent pas l’abstraction du propos mais l’encadrent et l’ennoblissent, la parachèvent.

Dörner, en débiteur de courant d’air ou en soliste monomaniaque, et Sachiko M, en projeteuse d’aigus et de microcontacts, agissent davantage en perturbateurs nécessaires : il faut que sonne l’heure des luttes pour provoquer l’invention et faire que ses formes varient.  La fin sera d’ailleurs ténébreuse : la guitare s’y lèvera pour geindre avant que le calme l’emporte : sa trajectoire est une dernière ellipse.

Otomo Yoshihide, Axel Dörner, Sachiko M, Martin Brandlmayr : Allurements of the Ellipsoid (NEOS / Codaex)
Enregistrement : 10-12 octobre 2005. Edition : 2010.
CD1 : 01/ Allurement 1 02/ Allurement 2 – CD2 : 01/ Allurement 3 02/ Allurement 4
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

6 janvier 2012

Kim Cascone : The Knotted Constellation (Monotype, 2011)

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Kim Cascone a passé tant de temps derrière des ordinateurs qu’il en a gardé un goût pour les retouches. Sur son dernier disque en date, The Knotted Constellation, enregistré entre 2009 et 2010, celui qui travailla avec Lynch à l’ambiance sonore de Twin Peaks et collabora entre autres avec Merzbow, Scanner, Jason Kahn etc., triture des field recordings.

A ce jeu-là, Cascone fait de sa grande expérience un atout de choix. Sa une longue pièce musicale s'ouvre par des sons de cloches et, après des reverses, n'st plus qu'une affaire de oupçons. Les présences humaines détectées par les rayons ont pour nom Christopher et Cage Cascone, Darius Ciuta, C. Spencer Yeh… Soudain, perce un rire fou. On comprend que l’angoisse est de mise et distille un malaise comme peuvent le faire les installations parlantes de Dennis Oppenheim.

Ensuite les field recordings (Cascone a parcouru la planète entière) tout en rêvant de grands espaces se laissent enfermer dans de petites boîtes, autant de planètes qui forment un nouveau cosmos. Présentées tel quel ou électroniquement modifiése, elles sont les noires et les blanches de la partition céleste de Kim Cascone.

Kim Cascone : The Knotted Constellation (Fourteen Rotted Coordinates) (Monotype)
Enregistrement : 2009-2010. Edition : 2011.
CD : 01/ The Knotted Constellation (Fourteen Rotted Coordinates)
Pierre Cécile © Le son du grisli


21 décembre 2015

Martin Küchen, Jon Rune Strøm, Tollef Østvang : Melted Snow / Küchen, Berthling, Noble : Night in Europe (NoBusiness, 2015)

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En plus de donner à entendre une sonorité particulière aux saxophones (la sienne propre, ici au ténor et au soprano), on reconnaîtra à Martin Küchen l’élaboration méticuleuse d’un corpus capable de servir différentes formations.

Le trio qu’il forme avec Jon Rune Strøm à la contrebasse et Tollef Østvang à la batterie – soit: deux tiers d’Universal Indians – interprétera ainsi deux fois cet air qu’il servait encore récemment en All Included: Satan In Plain Clothes. En introduction du disque (dans les graves comme dans les plus aigus, le thème est le même, que Küchen répète et fait plier afin qu’il respecte l’allure de ses deux partenaires) et en conclusion aussi (seul plage dispensable des sept que compte le disque, question de « batterie rock »).

Presque autant que le solo, le trio convient à Küchen : sous l’orage, il convainc ses partenaires de trouver refuge dans un sillon grave (I’ve Been Lied To) ; sous l’averse seulement, il feint le free ancien (Three Courses) ou relativise un thème plus désinvolte (Melted Snow, précisément). Et lorsqu’il parvient à faire disparaître son alto dans un paquet de cordes (Stein) alors le trio fait son affaire : Melted Snow, justement.

Martin Küchen, Jon Rune Strøm, Tollef Østvang : Melted Snow (NoBusiness)
Enregistrement : 9 avril 2014. Edition : 2015.
LP : A1/ Satan in Plain Clothes (Breakdown) A2/ I’ve Been Lied To 03/ Tune for Martin – B1/ Melted Snow B2/ Three Courses B3/ Stein B4/ Satan in Plain Clothes (Beat Up)
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

martin küchen johan berthling steve noble night in europe

Sous cette pochette grise qui rappelle les noirs d’Odilon Redon, Martin Küchen se fait entendre en concert : 15 et 16 décembre 2014 au Glenn Miller café en compagnie de Johan Berthling et Steve Noble. Sur cymbales et cordes graves, le duo d’accompagnateurs sait attiser le jeu du saxophoniste : faussement contrarié, abrasif ensuite, Küchen répond avec un à-propos qui rehausse de déjà beaux éclats de batterie et d’impressionnants solos d’archet. Ainsi le trio fait-il concurrence, sans pour autant lui faire d’ombre, à celui de Melted Snow.

Martin Küchen, Johan Berthling, Steve Noble : Night in Europe (NoBusiness)
Enregistrement : 15 & 16 décembre 2014. Edition : 2015.
CD : 01/ Night in Europe 1 02/ Night in Europe (again) 03/ Night in Europe 02
Guillaume Belhomme © Le son du grisli

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